‘Barack Obama, la grande désillusion

Professeur émérite à la Sorbonne, le réputé historien André Kaspi est l’un des meilleurs spécialistes français des États-Unis. Il est l’auteur d’une trentaine de livres sur l’Histoire, la civilisation, la politique et la société américaines.

Dans son dernier livre, Barack Obama, la grande désillusion, paru récemment aux Éditions Plon, ce fin connaisseur de l’Amérique brosse un bilan sans concession des quatre premières années de la Présidence de Barack Obama.

Dans ce remarquable essai, André Kaspi consacre un Chapitre très éclairant, intitulé “L’Orient compliqué”, à la politique moyen-orientale de Barack Obama, à ses incidences sur le conflit israélo-palestinien et à la crise qui oppose les États-Unis et les autres pays occidentaux à l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad.

Le Professeur André Kaspi nous a accordé une entrevue.

Canadian Jewish News: En dépit des nombreuses critiques dont il est l’objet, les Américains ont préféré confier à Barack Obama un deuxième mandat présidentiel. Comment interprétez-vous ce choix électoral?

André Kaspi: Une majorité d’Américains ont choisi Barack Obama non pas par conservatisme mais plutôt par résignation. Bien qu’ils étaient conscients que Barack Obama avait médiocrement réussi son premier mandat présidentiel, beaucoup d’Américains sont arrivés à la conclusion que Mitt Romney ne leur proposait pas un Programme suffisamment attrayant pour voter pour lui. Comme ils n’ont pas été vraiment très séduits par Mitt Romney, ils ont préféré voter pour le même candidat qu’ils avaient élu il y a quatre ans avec beaucoup plus d’enthousiasme. C’est pour cela que je parle d’une certaine résignation. Bon nombre d’Américains nourrissent aussi l’espoir que le second mandat de Barack Obama donnera de meilleurs résultats que son premier mandat présidentiel. Il faut aussi rappeler que beaucoup d’Américains se sont abstenus de voter et qu’un certain nombre d’entre eux ont préféré ne pas manifester leurs opinions plutôt que de les expri-mer contre Barack Obama.

C.J.N.: En ce qui a trait au Dossier israélo-palestinien, la politique de Barack Obama ne s’est-elle pas avérée jusqu’ici un grand échec?

André Kaspi: Oui, c’est un échec parce que dès le premier mois de sa Présidence, Barack Obama a voulu régler le conflit israélo-palestinien, mais il n’a abouti à rien. Il a été contraint de naviguer entre des situations très contradictoires. Par exemple, aujourd’hui, les Palestiniens ont l’intention de revenir devant l’Assemblée Générale des Nations Unies pour obtenir la reconnaissance d’un État de Palestine indépendant. Cette démarche palestinienne est contraire à la politique américaine. En même temps, il n’y a pas entre Barack Obama et le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou, une unité de pensée, une homogénéité dans les attitudes, une complicité quelconque. Les deux hommes s’entendent très mal, même si Israël et les États-Unis ont malgré tout des relations étroites.

C.J.N.: De nombreux observateurs avertis des relations israélo-américaines estiment que c’est la première fois qu’un Premier ministre d’Israël humilie un Président américain en opposant une fin de non-recevoir catégorique aux demandes formulées par le Gouvernement de Washington, notamment en ce qui a trait à la politique de colonisation d’Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Partagez-vous ce point de vue?

André Kaspi: Je crois que Benyamin Netanyahou fait son possible pour satisfaire les demandes émanant du Parti qu’il représente, c’est-à-dire de la Droite israélienne. Les positions qu’il défend correspondent à celles de l’opinion publique israélienne dans sa majorité, bien qu’il y a aussi un nombre important d’Israéliens qui souhaitent que leur Gouvernement adopte des positions politiques plus modérées que celles défendues actuellement par Benyamin Netanyahou. Je crois cependant qu’aujourd’hui le problème essentiel au Proche-Orient, c’est l’Iran. Le conflit israélo-palestinien est relativement secondaire par rapport à la course effrénée que les Iraniens mènent pour se doter de l’arme nucléaire. C’est celui-là le Dossier principal.

C.J.N.: Les Israéliens reprochent à l’Administration Obama d’adopter une position pusillanime à l’endroit de l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad. Ce grief est-il justifié?

André Kaspi: Je crois simplement que Barack Obama a voulu aussi tendre la main aux Iraniens, mais elle n’a pas été saisie par le Gouvernement actuellement au pouvoir à Téhéran. Les Iraniens n’ont pas été sensibles aux appels que Barack Obama leur a lancés. De ce côté-là, ça a été un échec pour Barack Obama. Mais, d’un autre côté, les Américains disposent d’une force militaire et  d’une politique de sanctions qui peuvent contribuer à faire fléchir les Iraniens, mais à condition bien sûr que ces derniers comprennent bien le message que leur adresse l’Administration Obama et ne soient pas tentés par une montée aux extrêmes, c’est-à-dire par l’acquisition de l’arme nucléaire.

C.J.N.: Durant son deuxième mandat présidentiel, Barack Obama aura-t-il les coudées franches pour contraindre Israël à faire des concessions aux Palestiniens?

André Kaspi: L’Administration Obama dispose d’“armes” suffisantes pour exercer plus de pression sur l’État d’Israël. Mais, il ne faut pas oublier que dans le Dossier israélo-palestinien, la latitude d’action de Barack Obama est fortement restreinte par le Congrès américain, une Institution où l’État d’Israël compte beaucoup d’amis. Ce qui veut dire que les relations entre les États-Unis et Israël ont à la fois une dimension politique, militaire, idéologique, historique et sentimentale. Israël est un allié très particulier des États-Unis. Et, pour les Israéliens, les États-Unis sont l’allié indispensable. Il existe entre Israël et les États-Unis des liens très étroits, et indissolubles pour le moment, qui font que ces deux pays peuvent avoir des divergences mais ne peuvent pas rompre l’un avec l’autre. L’Amérique et Israël sont littéralement liés l’un à l’autre.

C.J.N.: Le deuxième mandat présidentiel de Barack Obama augure-t-il une amélioration des relations de ce dernier avec Benyamin Netanyahou ou, au contraire, ces rapports, souvent fort acrimonieux, demeureront-ils au beau fixe?

André Kaspi: Je pense que Benyamin Netanyahou devra faire de grands efforts pour se rapprocher de Barack Obama. En effet, l’actuel Premier ministre d’Israël aurait préféré que ce soit Mitt Romney le prochain locataire de la Maison Blanche.  Il ne l’a pas fait savoir aux Américains, mais il leur a fait comprendre. Benyamin Netanyahou est désormais conscient qu’il devra montrer une certaine volonté de conciliation à l’endroit de Barack Obama pour aller dans le sens des Américains. Est-ce que Benyamin Netanyahou a envie de faire ce pas? Je n’en sais rien. Est-ce qu’il peut le faire dans la perspective des prochaines élections israéliennes? Là aussi c’est à discuter. Mais, il n’empêche que le bon sens voudrait qu’il y ait un rapprochement entre Benyamin Netanyahou et Barack Obama.

C.J.N.: Depuis qu’il a accédé à la Présidence des États-Unis, en 2009, Barack Obama n’a effectué aucune visite officielle en Israël. N’est-ce pas une bourde de sa part?

André Kaspi: Oui. Je pense que Barack Obama devrait aller en Israël. Il a visité ce pays durant l’été 2008 lorsqu’il était candidat à la Présidence des États-Unis. Mais depuis qu’il est Président, il n’a jamais mis les pieds en Israël. À mon avis, c’est une erreur psychologique de sa part.

 

In an interview, French historian and author André Kaspi talks about how the re-election of Barack Obama could affect Israeli-U.S. relations.