‘La société israélienne est dans l’impasse’

Ami Bouganim

Ami Bouganim est indéniablement l’intellectuel et écrivain Sépharade Israélien qui a le mieux retracé le déracinement de la Communauté juive marocaine d’Israël, qui a fait son Aliya dans les années 50 et 60.

Cet essayiste, romancier, phi­lo­sophe et ancien Directeur délégué des Écoles de l’Alliance Israélite Universelle (A.I.U.), natif d’Essaouira (Maroc) et qui vit à Netanya depuis 1970, est l’auteur d’une trentaine de romans, nouvelles et essais, écrits en français et en hébreu, parmi lesquels: Récits du Mellah (Éditions Jean-Claude Lattès, 1982), Le Cri de l’Arbre (Éditions Stavit, 1984), Walter Benjamin, le rêve de vivre (Éditions Albin Michel, 2007), Tel-Aviv sans répit (Éditions Autrement, 2009), Asher le Divin et autres contes de Fès (Éditions Albin Michel, 2010)…

Son dernier livre: un essai de ré­flexion sur les perspectives d’avenir d’Israël, Vers la disparition d’Israël? (Éditions du Seuil, 2013).

Dans cet essai coup de poing, qui a suscité de vifs débats depuis sa parution, Ami Bouganim dresse une radioscopie décapante de la société israélienne de 2013 qui, selon lui, est confrontée à “une crise très grave qui hypothèque sérieusement l’avenir de l’État hébreu”.

“La société israélienne est dans l’impasse. Non pas à cause du conflit israélo-palestinien ni d’une crispation identitaire, mais en raison de lignes de rupture plus profondes, que ce livre s’escrime à restituer dans le cadre de l’évolution du Judaïsme contemporain”, explique Ami Bouganim en entrevue.

La tension entre le “philistinisme”, consumérisme effréné dénué de véritable spiritualité, insensible à tout souci de vie en commun, et un Judaïsme à la fois théocratique et messianiste, est à l’origine d’“une dynamique délétère dont l’issue pourrait s’avérer fatale à l’État hébreu”, estime Ami Bouganim.

Le renoncement par une majorité d’Israéliens à une société nouvelle, fondée à la fois sur la Tradition religieuse et sur une Éthique juive dont on ne saurait renier la vocation socialiste, exacerbe la colère d’Ami Bouganim, qui considère que, si elle veut sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est enfargée, la société israélienne doit impérativement “revoir les dogmes sur laquelle elle a été fondée, modifier ses relations avec la Diaspora et, plus important pour la situation théolo­gi­co-politique mondiale, avec ses voi­sins”.

Dans cet essai, Ami Bouganim consacre de longs passages à la “Question sépharade”.

Selon lui, cette “Question névralgique”, qui provoqua de grands remous sociaux en Israël dans les années 60 et 70, n’est pas désuète.

“Bien que cette problématique ne soit pas aussi aiguë que dans l’Israël des années 50 et 60 et 70, celle-ci n’a pas disparu pour autant. Dans des bourgades du Sud d’Israël, telles qu’Ofa­kim, Sdérot, Nétivot… les Juifs Marocains se sont tiers-mondialisés. Depuis cinquante ans, les  Autorités israéliennes dénomment ces cités exsangues “villes de développement”, rappelle Ami Bouganim. Ce qua­lificatif inepte me dérange beaucoup. À mon avis, soit le Gouvernement de Jé­ru­sa­lem considère ces bourgades commes des villes à part entière, et prend donc conséquemment les mesures nécessaires pour les dépêtrer une fois pour toutes de leur sinistrose économique et sociale, soit il devrait fermer définitivement ces cités délaissées.”

Plus de 50 ans après leur fondation, il est toujours frappant de constater que dans ces villes sous-développées, le clivage économique recouvre tou­jours un clivage communautaire, souligne Ami Bouganim.

“S’il est vrai que les habitants Marocains de ces villes du Sud d’Israël ont été rejoints par les autres couches sociales défavorisées de la société israélienne, en l’occurrence les Haredim Ashkénazes et les Arabes, force est de constater qu’un demi-siècle après leur Aliya, ces Sépharades Marocains sont toujours recensés dans la sinistre Catégorie sociale regroupant les citoyens les plus dé­mu­nis de la très inégalitaire société israélienne. Les dernières études socioéconomiques sur les Sépharades Marocains d’Israël n’ont pas démenti cette réalité sociale et communautaire pathétique. Aujourd’hui, en Israël, le Séphardisme marocain est dans un état de décrépitude consternant.”

L’action sociale menée par le Parti ultraorthodoxe Shass n’a-t-elle pas contribué à améliorer les conditions de vie des familles Sépharades les plus nécessiteuses?

“Il est vrai que durant ses premières années dans l’échiquier politique israélien, le Parti Shass a contribué à redonner un certain prestige au Judaïsme sépharade, marginalisé avec dédain pendant presque trente ans par les élites Ashkénazes. Mais, au­jourd’hui, le Shass n’est plus qu’un Parti obscurantiste. Son fondateur, le Rav Ovadia Yossef, est un nonagénaire n’ayant aucune culture générale qui ne cesse de débiter des sottises à relents racistes. Il ne rate pas une occasion pour stigmatiser avec véhémence les Arabes et les autres Israéliens non-Juifs. La vénération que ses adeptes inconditionnels lui portent témoigne de l’aliénation du Judaïsme sépharade israélien. Le Rav Ovadia Yossef est l’“antithèse” des grandes figures rabbiniques qui ont profondément marqué le Judaïsme maghrébin. Ces illustres Rabbins Marocains, Algériens, Tunisiens… avaient une grande culture générale qui fait cruellement défaut au Rav Ovadia Yossef. Le Judaïsme rabbinique marocain était très Sioniste. Or, aujourd’hui, on constate que derrière les positions défendues avec opiniâtreté par le Shass, oeuvre une idéologie pharisienne antiétatique, antisouverainiste et antisioniste.”

 

In his latest book, Israeli author Ami Bouganim presents his veiws on Israel’s future and the difficulties faced by Sephardim in the country, especially those of Moroccan ancestry.