‘Le Hamas finira tôt ou tard par lâcher du lest’

Denise Ammoun est l’une des grandes journalistes femmes du monde arabe. Native du Liban, cette grande reporter chevronnée collabore à plusieurs pério­diques libanais, arabes et français. Elle est aussi la correspondante au Caire du Journal catholique La Croix et du Magazine Le Point.

Denise Ammoun est l’auteure d’une imposante Histoire du Liban, publiée en deux Tomes aux Éditions Fayard. Son dernier livre: Les Arabes et la Paix. Entre Guerre et Diplomatie. 1977-2010 (Éditions Fayard, 2010). Un essai atypique et passionnant retraçant 35 ans de diplomatie secrète et officielle entre Israël, le monde arabe et les Palestiniens.

Cette observatrice avertie de la scène moyen-orientale nous a accordé une entrevue lors de son récent passage à Montréal.

Canadian Jewish News: Quel est selon vous l’événement politico-diplomatique le plus marquant durant les trois décennies de négociations israélo-arabes que vous relatez dans votre livre?

Denise Ammoun: Le voyage historique que le Président égyptien, feu Anouar el-Sadate, effectua à Jéru­sa­lem le 19 novembre 1977 fut certainement le catalyseur de toutes les négociations secrètes ou directes qui ont eu lieu depuis entre Israël et des pays arabes et Israël et les Palestiniens. Cet événement inattendu et révolutionnaire fut le prélude à de longues années d’espoir, qui abou­tirent en 1993 à la signature des Accords israélo-palestiniens d’Oslo. Il faut rappeler que les Accords israélo-égyptiens de Camp David, signés par les deux parties en mars 1979 à Washington, recèlent un Accord cadre, basé sur les Résolutions 242 et 338 de l’O.N.U., qui a servi de balises aux négociations ultérieures qui ont eu lieu entre Israël et des pays arabes. Les Accords d’Oslo puisent aussi leur essence dans cet Accord cadre israélo-égyptien. Les Jordaniens s’en sont aussi fortement inspirés de cet Accord cadre pour élaborer avec les Israéliens le Traité de paix que les deux pays ont signé en 1994. Des pays arabes qui ont fustigé avec véhémence Anouar el-Sadate lorsqu’il a signé le Traité de paix avec Israël ont emprunté ensuite le chemin ardu et très tortueux que ce fervent partisan de la réconciliation judéo-arabe a tracé.

C.J.N.: Selon vous, les Accords d’Oslo ont radicalement changé les donnes du conflit israélo-palestinien. Pourtant, presque vingt ans après la signature de ces Accords intérimaires, Israéliens et Palestiniens ne sont toujours pas parvenus à résoudre le contentieux qui les oppose depuis plus d’un siècle.

Denise Ammoun: Au début des années 90, il était impensable qu’Israéliens et Palestiniens puissent parvenir à conclure un Accord de paix. Ce voeu très chimérique relevait alors d’un scénario de pure fiction politique. Pourtant, en 1993, Israéliens et Palestiniens assouplirent leurs positions respectives. À tel point que les Accords d’Oslo furent conclus par téléphone après douze rencontres plus ou moins fructu­euses. Cependant, neuf points de divergence subsistaient.

Shimon Péres, Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement travailliste dirigé par feu Yitzhak Rabin, qui était le tuteur de ces négociations, y jouait sa carrière politique. Il voulait absolument abou­tir à un résultat concret. Feu Johan Holst, alors Ministre des Affaires étrangères de la Norvège, se rendit à Jérusalem pour rencontrer son homologue israélien. Du bureau de Shimon Péres, ils téléphonèrent à Yasser Arafat à Tunis afin de le convaincre de donner son aval final à l’Accord négocié à Oslo par les émissaires israéliens et palestiniens. Après sept heures de discussions intensives, les deux parties firent des concessions mutuelles majeures. Les négociations d’Oslo ont prouvé que l’irréalisable peut être réalisé. Le principal et grand acquis de cet Accord historique israélo-palestinien est la reconnaissance mutuelle de deux peuples qui jusque-là s’ignoraient complètement. Depuis, peu importe les hauts et les bas du processus de paix, cette reconnaissance mutuelle est un acquis capital et définitif qu’on ne peut plus remettre en question.

C.J.N.: Le refus de l’État d’Israël de négocier avec le Hamas, une Organisation terroriste qui prône sans la moindre gêne la destruction de l’État hébreu, n’est-il pas légitime?

Denise Ammoun: Je suis résolument convaincue que le Hamas finira tôt ou tard par lâcher du lest. Je n’ai aucune preuve. C’est simplement une intuition personnelle. Jusqu’au début des années 90, l’O.L.P. de Yasser Arafat était aussi considérée par Israël, les États-Unis et bon nombre de pays occidentaux comme une Organisation terroriste entièrement vouée à la destruction de l’État d’Israël. Pourtant, les leaders de l’O.L.P. ont fini par renoncer au terrorisme et adopter des positions politiques pragmatiques et réalistes. Il est vrai que dans ses positions officielles, le Hamas est une Organisation très dogmatique. Mais si le Hamas veut se maintenir au pouvoir, il sera contraint de com­po­ser avec la réalité: reconnaître et négocier avec l’État d’Israël. Par ailleurs, c’est avec le Hamas et non avec l’Autorité Palestinienne que le gouvernement très à droite de Benyamin Netanyahou a négocié, par le biais de médiateurs allemands et égyptiens, la libération du soldat Guilad Shalit.

C.J.N.: Le Projet de reconnaissance par l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.) d’un État palestinien vous paraît-il réaliste?

Denise Ammoun: Les démarches entreprises par Mahmoud Abbas auprès de l’O.N.U. pour que les pays membres de cette Organisation supra­na­tio­nale reconnaissent l’État de Palestine ont redoré un peu son image très ternie auprès des Palestiniens. Mais, la Palestine ne sera pas le 194ème État de l’O.N.U. parce que le veto américain entravera ce dessein nationaliste. Cependant, en tablant sur la reconnaissance de l’État de Palestine par la Communauté internationale, Mahmoud Abbas a voulu prouver au monde entier qu’il est un leader politique charismatique, opi­niâtre et très visionnaire qui défend ardemment les Droits des Palestiniens.

C.J.N.: La politique moyen-orientale du Président améri­cain Barack Obama ne s’est-elle pas avérée ­jusqu’ici un cuisant échec?

Denise Ammoun: Depuis son accession au pouvoir en janvier 2009, le Président Barack Obama s’efforce de donner un nouvel élan aux négociations israélo-palestiniennes. Il veut absolument tenir sa promesse de candidat à la Maison-Blanche: oeuvrer pour une solution basée sur l’existence de deux États, l’un israélien et l’autre palestinien, vivant côte à côte en paix et en sécurité. Il l’a solennellement proclamé au Caire le 4 mai 2009 lors de son discours à l’adresse du monde musulman. Il a également demandé le gel de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Sous la pression américaine, le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou, a fini par accepter l’établissement d’un État palestinien. Mais un État “démilitarisé” en contrepartie de la reconnaissance de la spécificité juive de l’État d’Israël. Une équation catégoriquement refusée par l’Autorité Palestinienne, et évidemment par le Hamas.

Mais, au fil des mois, Barack Obama a pris conscience de ses limites. Son recul devant l’intransigeance de Benyamin Netanyahou a profondément déçu les Palestiniens, de plus en plus exaspérés par la politique de colonisation menée tambour battant par l’actuel gouvernement israélien. Chose certaine, le statu quo ne peut s’éterniser. Selon les Palestiniens, faute de re­prendre les négociations et d’aboutir au plus vite à la solution de deux États, il y aura de moins en moins de matière à discussion. La poursuite de la colonisation découpe la Cisjordanie en bantoustans, et finira par entraver toute possibilité de créer un État palestinien viable.

C.J.N.: Quel regard portez-vous sur les révoltes populaires qui ont embrasé ces derniers mois plusieurs pays arabes?

Denise Ammoun: Ces révoltes ont fait souffler un vent de renouveau et d’es­poir sur des sociétés arabes gouvernées par des dictateurs impi­toyables qui nous paraissaient complètement tétanisées. J’étais au Caire le 25 janvier 2011, quand des centaines de milliers d’Égyptiens de toutes les couches sociales se sont soulevés contre le régime de Hosni Moubarak. Je n’en croyais pas mes yeux! Mais ces Révolutions iront-elles jusqu’au bout, c’est-à-dire: dé­bou­cheront-elles sur de vraies démocraties? C’est la question qui nous taraude tous aujourd’hui.

C.J.N.: Les Israéliens considèrent désormais très plausible le scénario noir d’une annulation du Traité de paix israélo-égyptien par les Frères Musulmans, qui formeront le prochain gouvernement égyptien. Cette crainte lanci­nante est-elle fondée?

Denise Ammoun: En dépit des récentes tensions entre Israël et ­l’Égypte, provoquées notamment par la violente attaque contre l’Ambassade d’Israël au Caire et le sabotage du gazoduc acheminant le gaz naturel égyptien vers Israël, les relations entre les deux pays se sont sensiblement améliorées depuis la libération du soldat israélien Guilad Shalit. Les autorités égyptiennes ont joué un rôle déterminant dans les négociations avec le Hamas qui ont permis le retour sain et sauf en Israël de ce jeune Caporal tankiste de Tsahal.

Nous devons mettre les choses en perspective. S’ils forment le prochain gouvernement égyptien, les Frères Musulmans n’ont aucun intérêt à annuler brusquement l’Accord de paix israélo-égyptien, surtout à un moment très critique où le pays est confronté à de grandes difficultés économiques et sociales. Il ne faut pas oublier que l’aide financière substantielle, de l’ordre de 2 milliards de dollars US, que les États-Unis allouent annuellement à l’Égypte est assujettie au maintien de cet Accord de paix avec Israël. Il est possible par contre que des clauses du Volet économique de cet Accord de paix soient réexami­nées et modifiées. Je ne pense pas que l’Égypte va sombrer dans la mouvance islamiste. Le score des partis salafistes lors des dernières élections législatives a été marginal.

C.J.N.: Êtes-vous optimiste ou pessimiste en ce qui a trait aux perspectives futures des négociations entre Israël et les Palestiniens?

Denise Ammoun: Il y a des solutions. Simplement, pour aboutir à Accord de paix équitable et viable, cela requiert aussi de la volonté politique. Tant que Benyamin Netanyahou sera au pouvoir, il y aura peu de chances de parvenir à la paix. Netanyahou est phagocyté par l’aile extrême, et très influente, de sa coalition gouvernementale. Par ailleurs, on ne peut pas continuer à prendre les Palestiniens pour des imbéciles! La colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est n’est pas un gage de paix susceptible d’inciter les Palestiniens à retourner à la table des négociations. Mais, malgré la conjoncture politique morose qui sévit actuellement, je suis persuadée que la porte des négociations demeure ouverte et qu’une solution est toujours un scénario plausible. Le statu quo ne peut plus perdurer. Le maintien de ce statu quo très néfaste poussera le peuple palestinien au désespoir. Or, le désespoir palestinien hypothéquera l’avenir existentiel d’Israël.

In an interview when she was in Montreal, Lebanese-born Arab journalist Denise Ammoun talks about the possibilities for peace in the Middle East, the subject of her latest book.