Jésus vu par les Israéliens d’aujourd’hui

Salomon Malka

En septembre 1948, quatre mois après la création de l’État d’Israël, des prêtres et des théologiens Catho­liques, majoritairement Hollandais, demandèrent à la Cour suprême d’Israël, fraîchement instituée, de pro­cé­der à une révision du Procès de Jésus-Christ.

Les arguments étayés par les tenants de cette requête inouïe étaient stupéfiants. Ces derniers con­si­dé­raient que les Juifs ont refusé de reconnaître en Jésus le Messie parce que, dans leur conception, le Messie est inséparable de la délivrance. Or, d’après ces théologiens et prélats Catholiques, la délivrance n’était plus un voeu chimérique mais une réalité bien tangible: l’État d’Israël venait de renaître de ses cendres.

Le complexe cas de Jésus pouvait donc être ré­exa­mi­né. À leurs yeux, la Cour Suprême d’Israël, fleuron de la démocratie israélienne naissante, pouvait servir d’Instance d’Appel pour les décisions entérinées par le Sanhédrin -Tribunal religieux et civil formé de membres de la noblesse sacerdotale juive- à l’époque du Second Temple.

C’est l’étonnante révélation que rapporte le journaliste et écrivain Salomon Malka, Directeur de la Radio de la Communauté juive de Paris (R.C.J.), au terme de la passionnante enquête, menée en Israël, qu’il a consacrée au plus célèbre des Juifs de Nazareth: Jésus rendu aux siens. Enquête en Terre sainte sur une énigme de vingt siècles. Les Éditions Albin Michel viennent de rééditer cet ouvrage en livre de poche dans leur Collection “Espaces Libres”.

Dans ce remarquable essai, Salomon Malka s’est interrogé sur la façon dont les penseurs sionistes puis les chercheurs israéliens ont été amenés, au cours du XXe siècle, à réviser fondamentalement le discours juif sur Jésus. Salomon Malka nous fait découvrir les éminents exégètes, historiens et philosophes israéliens qui ont travaillé au cours des der­nières décennies sur le personnage historique du Juif Jésus. Leurs imposants Travaux de recherche ont fait franchir des bonds à la compréhension des rapports entre Juifs et Chrétiens. Salomon Malka a rencontré un a un les plus illustres spécialistes israéliens de Jésus et du Christianisme: l’historien David Flusser, le bibliste André Chouraqui, le Rabbin Adin Steinsaltz…

Le titre original de ce livre, paru pour la première fois en 1999 aux Éditions Albin Michel, est: Jésus rendu aux siens. Enquête en Israël sur une énigme vieille de vingt siècles. Le titre de la réédition de cet ouvrage est: Jésus rendu aux siens. Enquête en Terre sainte sur une énigme de vingt siècles. On ne peut que déplorer que l’éditeur de cet ouvrage ait substitué le mot “Israël”, un pays injustement dénigré ces jours-ci en France et en Europe,  par celui de “Terre sainte”, d’autant plus que tous les penseurs, intellectuels, historiens et philosophes interviewés par Salomon Malka dans le cadre de son enquête sont Israéliens.

Les Juges de la Cour suprême d’Israël se déclarèrent incompétents pour entreprendre une révision du Procès de Jésus. Ils décidèrent alors de laisser cette épineuse Affaire secrète. Mais la presse israélienne ébruita la nouvelle. Une avalanche de lettres déferla alors sur le Bureau du Président de la Cour suprême d’Israël de l’époque, le Dr Moshé Zamora. Ces missives réclamaient toutes la révision du Procès de Jésus. Le haut Magistrat finit par convaincre ses pairs de la nécessité de ré­exa­mi­ner les procédures du déroulement du Jugement de Jésus. Pour le seconder, le Dr Moshé Zamora fit appel à Chaïm Cohen, son gendre, Conseiller juridique du Gouvernement de David Ben Gourion et éminent spécialiste de l’Histoire du Droit. Ce Juriste chevronné prit connaissance de ces lettres et s’appliqua pendant vingt ans à reconstituer minutieusement les circonstances alambiquées de ce Procès. En 1965, Chaïm Cohen colligea les résultats de son enquête dans un livre intitulé Le Procès et la mort de Jésus. Cet ouvrage, traduit dans plusieurs langues mais jamais en français, a été réédité huit fois en Israël. C’est la lecture de ce livre étonnant qui a donné à Salomon Malka l’idée d’entreprendre l’enquête consignée dans Jésus rendu aux siens.

Spécialiste renommé de la période du Second Temple, l’historien israélien d’origine russe, feu Joseph Klausner, dont l’oeuvre capitale constitue dans l’Histoire juive la première approche globale et approfondie de Jésus et des débuts du Christianisme parue en langue hébraïque, fut le premier, dans les années 30, à réinterpréter en hébreu les Évangiles, en restituant l’“odeur du paysage” culturel et religieux qui les a vus naître. Dans le sillage de ce précurseur, d’autres savants et phi­lo­sophes Juifs israéliens -David Flusser, Martin Buber, André Chouraqui…- ont travaillé aussi pendant de nombreuses années sur le personnage historique de Jésus. Certains ont vu en lui un membre d’une secte communautariste qui vivait à l’écart du courant central du Judaïsme de l’époque, d’autres un farouche résistant Zélote, d’autres un Rabbin excen­trique…

“Tous ces chercheurs considèrent Jésus comme l’un des leurs. Ils sont résolument persuadés que Jésus est né, a vécu et est mort dans sa foi juive. Un des meilleurs spécialistes israéliens contemporains de Jésus, l’historien David Flusser -décédé en 2000-, s’est attaché dans ses Travaux à confronter les Évangiles et la Littérature rabbinique. Il a établi des analogies saisissantes entre les paraboles qui parsèment les discours de Jésus et les paraboles du Talmud. Les correspondances sont multiples et frappantes. Sa Thèse est que Jésus a vécu totalement dans la foi juive”, nous a dit Salomon Malka au cours de l’entrevue qu’il nous a accordée à l’occasion de la parution de Jésus rendu aux siens. Enquête en Israël sur une énigme vieille de vingt siècles -publiée dans l’édition du Canadian Jewish News du 4 novembre 1999.

La plupart des chercheurs israéliens qui ont étudié le personnage de Jésus sont des Juifs religieux pratiquants. Ce constat n’est-il pas paradoxal?

“Dans la Diaspora juive ce serait sans aucun doute un paradoxe. Pas en Israël, dit Salomon Malka. Pour les Juifs, l’Histoire du Christianisme a toujours évoqué des tragédies funestes: les croisades, les pogroms, l’Inquisition, la Shoah… Un tel état d’esprit pouvait difficilement favoriser une vision apaisée de l’Histoire de Jésus. Les Israéliens sont parvenus à s’affranchir des perceptions tronquées et des préjugés acrimonieux qui ont émaillé pendant longtemps le difficile dialogue judéo-chrétien. Aujourd’hui, les Israéliens ont un regard plus distancé sur l’aventure de Jésus le Nazaréen et cette période historique tumultueuse. Un regard dénué de préjugés qui contraste grandement avec le regard que continuent de porter sur ce personnage énigmatique beaucoup de Juifs de la Diaspora. C’est ce qui explique peut-être le fait que les plus grands spécialistes israéliens contemporains de Jésus et du Christianisme sont des Juifs religieux.”

 

French author and journalist Salomon Malka’s 1999 book on the trial of Jesus Christ was recently re-edited and published in paperback.