L’Istanbul Sépharade d’Esther Benbassa

Istanbul la Sépharade (Éditions CNRS) est un livre d’Histoire et de Mémoire magnifique dédié à la Communauté sépharade établie depuis 1492 dans cette grande métropole de la Turquie.

Un vrai bijou littéraire que tous les amateurs de livres d’Histoire et tous ceux et celles qui sont attachés au riche Héritage culturel sépharade devraient posséder dans leur Bibliothèque.

L’auteure de cet ouvrage passionnant, magnifiquement illustré avec des photos, certaines datant de la fin du XIXe siècle, et des Documents inédits dénichés dans les Archives turques, est une grande spécialiste franco-turque de l’Histoire des Sépharades, l’universitaire Esther Benbassa, Directrice d’Études à l’École Pratique des Hautes Études de Paris (Université Sorbonne), où elle est titulaire de la Chaire d’Histoire du Judaïsme moderne, et Directrice du Centre Alberto-Benveniste de Paris, spécialisé dans les Études sépharades et l’Histoire socioculturelle des Juifs.

1492 fut une année funeste pour les Sépharades d’Espagne. Expulsés de leur terroir natal par les Rois Catholiques, Isabel de Castille et Ferdinand d’Aragon, la majorité de ces Sefaradim -l’équivalent hébraïque d’Espagnols- trouvèrent refuge dans des pays situés autour du Bassin méditerranéen, en Italie, dans les Balkans, au Levant et en Afrique du Nord.

Sur les territoires ottomans des Balkans, sur la côte adriatique, en Bosnie, en Serbie, en Macédoine, en Bulgarie, en Grèce, en Thrace, en Asie mineure et dans la Turquie actuelle, et plus spécifiquement à Istanbul, une nouvelle aire culturelle sépharade émergea et se maintint en tant qu’unité judéo-espagnole distincte jusqu’au XXe siècle.

“Le fait que l’ensemble de ces Juifs des Balkans aient vécu sous domination ottomane pendant presque quatre cents ans favorisa l’émergence d’une telle aire culturelle, profondément une, en dépit de légères variantes régionales qui se traduisent dans la langue, la culture et certaines traditions. Intervint là aussi le modèle d’organisation prévalant en Terre d’islam, qui permit aux groupes juifs de sauvegarder leur identité ethnico-religieuse”, explique Esther Benbassa dans la préface de son livre.

L’ouvrage est subdivisé en quatre grandes parties:

1-Une introduction relatant l’histoire de l’immigration des Sépharades dans l’Empire ottoman.

2-Les Quartiers sépharades d’Istanbul- la Corne d’Or: Hasköy, Balat, Galata, Eminönü, Sirkeci…

3-La vie quotidienne, économique et sociale des Sépharades à Istanbul. Ces derniers étaient très actifs dans certains métiers et secteurs économiques -des personnalités Sépharades se sont brillamment distinguées dans le monde des affaires et de la finance, notamment l’illustre famille de banquiers, les Camondo. L’éducation moderne, avec l’ouverture à la fin du XIXe siècle d’une École de l’Alliance Israélite Universelle à Istanbul. L’antisémitisme durant la Première et la Deuxième Guerres mondiales…

4-Le monde religieux. Une plongée dans l’univers fascinant des coutumes religieuses des Sépharades d’Istanbul, légataires et porteurs d’un très riche héritage cultuel et rituel qu’ils se sont escrimés à transmettre au fil des générations.

Des pages très poignantes, illustrées avec des photos noir et blanc et en couleurs, sont consacrées aux cimetières israélites et aux principales synagogues d’Istanbul.

“Ce livre est une échappée dans l’univers sépharade, à travers une ville, autrefois un grand centre comptant environ 60000 âmes, qui s’est dérobée de justesse aux affres de la Shoah, et qui aujourd’hui encore abrite environ 20000 Judéo-Espagnols. Une sorte de voyage dans le temps pour évoquer, par touches successives, leurs quartiers, leurs métiers, leur mode de vie, leur culte, leurs visages riants, leur confiance dans l’avenir, avant qu’ils ne partent progressivement par vagues d’émigration successives vers la France, les Amériques et surtout en Israël”, écrit Esther Benbassa.

En dépit des nombreux départs des Sépharades Turcs de leur terroir natal, la Turquie demeure le plus grand réservoir de Sépharades de l’ancienne aire culturelle, avec Istanbul comme capitale, rappelle Esther Benbassa.

Les Sépharades vivant dans les autres régions de la Turquie, à l’exception de Smyrne et de quelques localités, ont émigré ou se sont installés à Istanbul, où se trouvent encore le Grand Rabbinat et diverses Institutions communautaires, dont un Musée juif et de nombreuses synagogues devenues des sortes de monuments historiques qui témoignent d’une vie sépharade autrefois si riche.

Les photos d’époque illustrant le très beau livre d’Esther Benbassa évoquent avec éclat la grandeur, malheureusement révolue, du Séphardisme d’Istanbul.

“Cet album de photos est un parcours nostalgique dans le passé des Sépharades d’Istanbul. Le regard ne peut être que furtif, l’imagination saura faire le reste. Rien ne sera comme avant, un avant embelli dans la Mémoire. Celle-ci en général ne fait que se construire et se reconstruire pour permettre aux Identités modernes de prendre racine là où elles se trouvent. Ces photographies éclectiques, ces visages emplis de bonheur, parfois graves, parfois lointains, ces monuments un peu décrépis, ces rues juives oubliées défilent au gré des pages, qui sont loin de refléter complètement la vie d’autrefois. Il s’agit d’un moment de retrouvailles entre eux et nous pour faire le pont entre passé et avenir, dans la mesure du possible”, conclut Esther Benbassa.