Le Traité de Paix israélo-égyptien est-il menacé?

Robert Solé [Photo: S. Jeremy]

L’écrivain et journaliste franco-­égyptien Robert Solé, ancien Directeur de la Rédaction du journal Le Monde et auteur de plusieurs romans très remarqués sur l’Égypte, vient de publier une biographie très fouillée et passionnante du Président égyptien, feu Anouar el-Sadate -Sadate. Éditions Perrin.

Les “Années Sadate”, qui ont laissé des traces profondes, sont une clé essentielle pour comprendre l’Égypte d’aujour­­d’hui et les enjeux des conflits qui enfièvrent de manière récurrente le Moyen-Orient, notamment le conflit israélo-palestinien.

Aujour­d’hui, le Traité de Paix israélo-égyptien, conclu en 1979, n’est-il pas fragilisé et sérieusement remis en cause par une majorité d’Égyptiens?

“Incontestablement, la grande ­oeuvre d’Anouar el-Sadate, c’est le Traité de Paix israélo-égyptien. Cet Accord de Paix a été parfaitement respecté par les Autorités égyptiennes depuis l’assassinat de Sadate, en 1981. Le Traité de Paix israélo-égyptien a résisté à deux Intifadas palestiniennes, à une Guerre civile au Liban, à la Guerre du Golfe, à un conflit armé entre Israël et le Hezbollah libanais, à l’occupation de l’Irak par les États-Unis et leurs Alliés, à deux conflits violents entre Israël et le Hamas à Gaza, à la chute de Hosni Moubarak, à l’arrivée des Frères Musulmans au pou­voir en Égypte… Déjouant les prédictions les plus sombres, les Frères Musulmans égyptiens n’ont pas mis fin à ce Traité de Paix”, rappelle Robert Solé en entrevue.

C’est vrai que la Paix scellée entre Israël et l’Égypte est une Paix entre deux États et non entre deux peuples, même si la majorité des Égyptiens ont approuvé celle-ci au moment où elle a été conclue, reconnaît Robert Solé.

“Les Égyptiens sont devenus de plus en plus critiques à l’endroit de ce Traité de Paix avec Israël parce qu’ils ne supportaient plus l’enlisement du conflit israélo-palestinien, ni la coloni­sa­tion croissante par Israël de la Cisjordanie. Cette Paix froide, qui a été essentiellement subie par les Égyptiens, a fini par devenir une Paix glaciale.”

D’après Robert Solé, c’est l’Égypte qui a tiré “le bénéfice le plus concret” du Traité de Paix israélo-égyptien puisqu’elle a récupéré tout le Territoire du Sinaï sans donner à Israël ce qu’il attendait en échange: une normalisation réelle des relations politiques entre les deux pays.

“Il est vrai aussi que l’Égypte n’a pas vraiment récupéré toute sa souveraineté sur le Sinaï puisque le Traité de Paix israélo-égyptien a institué une démilitarisation de ce Territoire. Les Israéliens ont bien profité aussi de la fin des hosti­lités avec l’Égypte. N’ayant plus rien à craindre sur le Front Sud, ils ont pu redéployer leurs Forces militaires pour envahir le Liban et faire la pluie et le beau temps à Gaza.”

Selon Robert Solé, la plus grande bourde politique commise par Sadate, c’est d’avoir fait entrer les islamistes dans le jeu politique égyptien pour combattre la Gauche et les Nassériens.

Sadate a fait entrer les Frères Musulmans à l’Université, à la Télévision, dans l’Éducation Nationale… Dès 1971, il a introduit la Charia dans la Con­sti­tution égyptienne alors que rien ne l’y obligeait. Une décision très lourde dont les conséquences se font encore sentir au­jour­d’hui dans la société égyptienne.

“Les Égyptiens n’ont pas encore pu supprimer l’Article 2 de leur Constitution, qui stipule que la Charia est la source principale de la Législation égyptienne”, rappelle Robert Solé.

En 1979, Sadate a été acculé à faire la Paix parce qu’il n’avait pas une autre alternative.

“Mais, Sadate n’a pas été pour autant le jouet des événéments. Il a montré sa stature de vrai homme d’État. En effet, il fallait beaucoup d’audace et de détermination pour se lancer successivement dans deux aventures des plus incertaines: la Guerre et la Paix. Face à une situation si ardue, peu de Chefs d’État auraient osé prendre des initiatives aussi risquées. Le voyage historique de Sadate à Jérusalem a été comparé au débarquement de ­l’homme sur la Lune. C’était quelque chose d’inouï!”, souligne Robert Solé.

Dans le monde arabo-musulman, en Algérie, en Palestine, en Tunisie… et dernièrement en Égypte, dès que des élections libres ont été organisées, les islamistes les ont remportées haut la main. Mais peu de temps après leur victoire électorale éclatante, ces derniers ont été évincés du pouvoir par l’Armée. L’Égypte n’a pas échappé à cette procédure politique très antidémocratique.

“C’est vrai ce que vous dites, mais force est de rappeler que l’Égypte n’est pas l’Algérie, ni la Palestine, ni la Tunisie… Il ne faut pas oublier que la destitution du Président islamiste égyptien, Mohamed Morsi, par l’Armée a été précédée de manifestations de millions d’Égyptiens qui demandaient aux militaires d’intervenir. Beaucoup d’Égyptiens pensent que l’Armée est intervenue trop tard, qu’elle aurait dû sévir dès que Mohamed Morsi, qui a été mal élu à vrai dire, s’est arrogé tous les pouvoirs constitutionnels. Si l’Armée était intervenue à ce moment-là, on n’aurait pas parlé de coup d’État. C’est vrai qu’il y a eu un coup d’État. Mais c’est un coup d’État appuyé par une majorité d’Égyptiens. Une grogne populaire très légitime. Les Égyptiens ont été terriblement déçus par les Frères Musulmans, qui ont montré leur grande incompétence dès qu’ils ont accédé au pouvoir et une gourmandise politique débridée, dont on ne les soupçonnait pas, en voulant contrôler toutes les Institutions de l’État. Les Égyptiens se sont dit alors: on est en train de passer d’un régime autoritaire à une dictature religieuse. On n’est pas dans le même cas de figure que celui de l’Algérie, où les islamistes démocratiquement élus du Front Islamique du Salut (F.I.S.) n’ont jamais gouverné. En Algérie, on a simplement interrompu un processus électoral.”

 

 

In an interview, Franco-Egyptian journalist Robert Sole, who recently published a biography of former Egyptian leader Anwar Sadat, talks about the Israeli-Egyptian peace treaty of 1929, signed during Sadat’s presidency.