Une paix israélo-palestinienne sans le Hamas?

Alexandre Adler

Les Accords de réconciliation scellés au cours des deux dernières années entre le Fatah et le Hamas ne sont que des “subterfuges” visant à faire croire à la population palestinienne, au monde arabe et à la Communauté internationale que le Mouve­ment national palestinien parle désormais d’une seule voix coriace, estime un spécialiste réputé des questions politiques moyen-orientales et du conflit israélo-palestinien, le journaliste, historien et essayiste français Alexandre Adler.

D’après ce fin connaisseur des sociétés palestinienne et israélienne, aujourd’hui, l’Autorité Palestinienne, Présidée par Mahmoud Abbas, ga­gne­rait des élections libres face au Hamas parce que ce Mouvement islamiste radical a beaucoup déçu la population de Gaza alors que, grâce au labeur très efficace de son Premier mi­ni­stre, Salam Fayyad, le bilan de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie est beaucoup plus reluisant que celui du Hamas à Gaza. Force est de rappeler, ajoute Alexandre Adler, que ces résultats “très probants” de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie ont été obtenus grâce au concours du Gouvernement d’Israël, qui a tout fait pour aplanir les choses et rendre plus supportable la vie des Palestiniens de Cisjordanie.

D’après Alexandre Adler, le scénario politique selon lequel l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas s’engagerait dans une renégociation avec Israël sans le Hamas est “fort plausible”.

“Je ne dis pas que cette option se concrétisera à 100%. Mais, en tout cas, ce serait un geste d’une grande signification qu’Israël parvienne à un début de paix avec ses voisins immédiats en Cisjordanie. Si Gaza veut se joindre à ce processus, c’est évidemment une bonne chose. Ce n’est pas compliqué de rétablir l’Autoroute internationale que Shlomo Ben Ami, Ministre des Affaires étrangères et Ministre de la Sécurité publique d’Israël dans le Gouvernement travailliste dirigé par Ehoud Barak de 1999 à 2001, a inauguré en 2000, avant l’Intifada des Mosquées. Je pense que Gaza est en train de tomber sous la coupe des Frères Musulmans et de l’Armée égyptiens. Si nous donnions les moyens à Mahmoud Abbas et à l’Autorité Palestinienne de négocier avec Israël un statut définitif pour la Cisjordanie, il est fort probable que Gaza ne rejoindrait pas ce nouvel État palestinien. Mais pour que ce scénario se matérialise, il faudra préa­lable­ment que les Israéliens se mettent d’accord entre eux sur une question capitale: l’avenir des implantations. Il y a aujourd’hui bien des points de désaccord au sein de la société israélienne.”

Alexandre Adler croit que le Hamas était tombé sous la coupe des Services secrets iraniens mais que la montée en puissance des Frères Musulmans en Égypte a radicalement changé la donne.

“Tout d’un coup, le Hamas qui était dans une impasse a été repris en main par ses amis, les Frères Musulmans égyptiens, qui ont eu comme premier souci de rendre le Hamas moins dépendant des Iraniens. La première répercussion de l’ influence des Frères Musulmans égyptiens à Gaza a été la signature d’un Accord provisoire, qui n’a pas fait long feu, entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Dans un second temps, il est évident que le calcul du Hamas et des dirigeants des Frères Musulmans du Caire, c’est qu’il n’y aura pas un Accord de paix entre Israël et les Palestiniens, et que dans ces conditions la réunification palestinienne se fera sous l’égide du Hamas.”

Mais, poursuit Alexandre Adler, beaucoup de Gazaouis se rendent compte aujourd’hui que le Hamas a mis en danger leur vie et leur sécurité.

“Les Palestiniens savent très bien que quand Sharon a évacué Gaza il y avait une situation qu’ils auraient pu transformer positivement à leur avantage. Mais, les tirs systématiques de roquettes, qui ont été payées avec des caisses entières de billets de dollars par les Iraniens, n’ont fait qu’aggraver un contexte déjà très sombre.”

C’est très frappant de constater la différence existant entre “le marasme relatif de Gaza, où la situation socioéconomique n’est pas aussi catastrophique qu’on le dit”, constate Alexandre Adler, et “la croissance économique importante” que la Cisjordanie a connue en 2011: 9%. Une croissance qui s’est traduite concrètement par une diminution considérable du chômage et une normalisation de la vie quotidienne.

“Dans un tel contexte, beaucoup de Palestiniens qui ont voté pour le Hamas en 2006 dans un moment d’égare­ment, à l’apogée de la guerre américaine en Irak, pourraient demain redonner un mandat à l’Autorité Palestinienne, même si la po­pu­la­rité locale du Hamas a connu une petite embellie après la libération de plus de 1000 terroristes palestiniens en échange du soldat israélien Guilad Shalit. Je ne suis pas persuadé que le Hamas soit aujourd’hui hégémonique à Gaza. Par contre, si Benyamin Netanyahou et son Ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, continuent leur politique, les historiens écriront que nous sommes passés à côté d’une réelle opportunité.”

D’après Alexandre Adler, le Gouvernement d’Israël “ne devrait pas dramatiser” la demande de reconnaissance d’un État palestinien formulée l’automne dernier auprès de l’O.N.U. par Mahmoud Abbas et les autres leaders de l’Autorité Palestinienne.

“Si le Gouvernement d’Israël était dans une veine plus constructive, il pourrait annoncer à la Tribune des Nations Unies qu’il serait le premier à voter pour un État palestinien indépendant, à condition bien sûr que tous les problèmes qui demeurent soient discutés sans préjugés dans une négociation ouverte. Mais, le sentiment que j’ai est que ce n’est pas la démarche que Benyamin Netanyahou, et encore moins Avigdor Lieberman, ont envie d’avoir. Ces dirigeants politiques, qui sont les représentants d’un Israël usé et en difficulté, n’ont cessé de jouer sur les doubles fautes au service de leurs adversaires arabes et palestiniens en pensant que ces derniers feraient toujours la bêtise qui allait les cond­amner. Plutôt que d’être résolument convaincu que ses adversaires palestiniens vont mettre directement la balle dans le filet, le Gouvernement de Benyamin Netanyahou devrait au contraire permettre à ces derniers de renvoyer de temps en temps des ­balles de l’autre côté du filet. C’est ça le bon tennis! À force de jouer avec des dictateurs imbéciles et des fanatiques idiots, la capacité de réaction et de prévision du Gouvernement d’Israël et des dirigeants israéliens s’est émoussée. Comme dans un sport, quand vous pratiquez régu­lièrement celui-ci avec des partenaires qui sont mauvais, votre niveau baisse. Par contre, quand vous prati­quez un sport avec des partenaires qui sont meilleurs que vous, votre niveau s’améliore.”

D’après Alexandre Adler, les leaders politiques actuels d’Israël devraient puiser leur inspiration dans l’ingéniosité dont ont fait preuve les anciens dirigeants de l’État hébreu, particulièrement David Ben Gourion, lorsqu’ils étaient confrontés à des si­tua­tions dramatiques.

“Dans les années 1940, l’Agence Juive dans l’état de difficulté immense que le peuple juif traversait a été vraiment à la hauteur d’événements mondiaux, presque cosmiques. C’était l’époque de David Ben Gourion. Devant le danger immense que courait alors l’État d’Israël, ce grand visionnaire a été capable de faire d’énormes sacrifices et a fait preuve d’une intelligence inouïe. Je pense que dans le monde d’aujourd’hui, où les sacrifices et l’intelligence semblent moins nécessaires parce que nous sous-estimons nos adversaires, eh bien nous faisons des bêtises. Voilà ce que je pense en toute franchise et sans aucune agressivité à l’égard du Gouvernement d’Israël, cela va de soi.”

Alexandre Adler vient de publier aux Éditions Grasset un nouvel essai, Le jour où l’Histoire a recommencé, consa­cré aux bouleversements immenses que le monde arabe a connus au cours de 2011.

 

French author and historian Alexandre Adler explains what he believes Israel and the Palestinians must do to ultimately achieve peace.