Les grands défis éducatifs de l’Alliance Israélite

Armand Abécassis

L’Alliance Israélite Universelle (A.I.U.), qui a célébré en 2010 son 150ème anniversaire, est en train d’élaborer un nouveau Modèle éducatif qui a pour but d’assurer la pérennité de l’Identité juive en tablant sur la transmission du riche Patrimoine culturel, cultuel et historique du peuple juif.

L’A.I.U. a confié l’exigeante tâche d’élaborer ce Modèle éducatif à une personnalité marquante du Judaïsme français et du monde universitaire francophone, le Professeur Armand Abécassis. Cet éminent exégète de la Bible et spécialiste de la Pensée juive et de la Pensée chrétienne assume depuis quelques mois à l’A.I.U. la fonction de Directeur des Études juives et de la Formation d’enseignants.

Docteur d’État en Philosophie, certifié de langues sémitiques et certifié d’arabe et Professeur émérite de Philosophie à l’Université Michel-de-Montaigne de Bordeaux, Armand Abécassis est l’auteur de nombreux livres sur la Tradition juive, la Tradition chrétienne et le Dialogue intereligieux. Son dernier livre: Il était une fois le Judaïsme (Éditions Presses de la Renaissance, 2011). Dans cet essai remarquable et d’une grande lim­pi­dité, Armand Abécassis retrace, avec le souci de s’adresser à tous d’une manière objective, l’Histoire foisonnante et multimillénaire du peuple juif.

Armand Abécassis était dernièrement de passage à Montréal pour rencontrer les dirigeants des Amis Canadiens de l’Alliance Israélite Universelle et les directeurs et les Professeurs ­d’Études juives de plusieurs Écoles juives montréalaises, dont l’École Maïmonide, qui est affiliée au Réseau des Écoles de l’A.I.U.

Présidée par Ralph Benatar, ancien Président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et de la Campagne sépharade de l’Appel Juif Unifié de la FÉDÉRATION CJA et actuel co-Président de la Section Québec des Bonds d’Israël, l’Association des Amis Canadiens de l’A.I.U. vient de se doter d’une nouvelle structure organisationnelle qui portera désormais l’appellation d’A.I.U.-Canada. Philippe Elharrar, ancien Directeur des Affaires Publiques au Comité Canada-Israël, a été nommé récemment Directeur général de l’A.I.U.-Canada. Edmond Elbaz, qui a assumé pendant de nombreuses années la fonction de Délé­gué général de l’A.I.U. au Canada, sera le Conseiller du Président de l’A.I.U.-Canada, Ralph Benatar.

La “transmission” sera l’un des principaux éléments constitutifs du nouveau Modèle éducatif que l’A.I.U. s’attelle à concocter.

“Ce nouveau Modèle éducatif a pour finalité de répondre concrètement au problème de la transmission dans le Judaïsme. Est-ce qu’un peuple peut se perpétuer dans l’Histoire sans réfléchir aux modalités de la transmission de son héritage culturel? Un peuple peut-il se perpétuer dans l’Histoire si on arrête la transmission, ce qu’on appelle la Tradition -pas seulement la Tradition religieuse, mais aussi la Tradition du pays dont on est citoyen-, et on laisse se creuser un abîme entre les générations? Après la famille, c’est l’École qui est le lieu incontournable et nécessaire à l’Éducation et à la transmission du Patrimoine culturel vivant d’un peuple. Les questions que nous devons nous poser sont: que transmettre dans les Écoles? Comment transmettre, qui doit transmettre et quand transmettre?”, explique Armand Abécassis en entrevue.

L’A.I.U. propose un nouveau Modèle d’Éducation qui sera une alternative aux deux Modèles éducatifs juifs conventionnels qui continuent encore aujourd’hui à s’opposer comme deux extrêmes entre lesquels il faut choisir: 1-le Modèle éducatif prônant l’intégration de l’enfant Juif à la Société où il vit. C’est le Modèle qu’a préconisé l’A.I.U. depuis sa fondation, en 1860. 2-Le Modèle éducatif orthodoxe qui, d’après Armand Abécassis, “alimente une sorte de compétition inquiétante dans la suren­chère religieuse et cultive un repli identitaire incompréhensible et dangereux qui conduit à un retrait réel par rapport à la vie générale dans la Société et, en conséquence, à la reconstruction de ghettos sociaux anachroniques”.

D’après Armand Abécassis, l’affirmation d’une spécificité identitaire juive n’est en rien contradictoire avec la participation pleine et entière d’un Juif à la Société globale où il vit.

“On peut et on doit servir le Judaïsme et le pays dont on est citoyen. Pour cela, il faut transmettre aux élèves des Écoles juives une expression moderne de la Tradition juive authentique. On peut et on doit leur montrer comment rester fidèle au Judaïsme tout en faisant preuve de créativité. Fidélité et créativité sont liées l’une à l’autre. Une fidélité sans créativité fige le temps et immobilise l’Histoire. Une créativité sans fidélité n’est rien d’autre qu’anarchie et arbitraire. Nous sommes ici au coeur de la transmission, de ce qu’on appelle la Tradition, qui ne peut être celle d’un Dépôt à préserver, comme dans le domaine juridique, sans le renouveler ni l’enrichir.”

La Tradition juive s’est toujours ca­ractérisée par son “dynamisme” et son “renouvellement incessant”, rappelle Armand Abécassis.

“La transmission c’est aussi répondre aux interpellations des générations sans se trahir. Ce monde d’Étude et de transmission a pris le beau nom rabbinique de Midrash, qui signifie “enquête et recherche infinies”. Nous pensons que le Judaïsme s’enrichit toujours de ce qu’il emprunte aux Nations civilisées et responsables. En retour, celles-ci reçoivent du Judaïsme, directement ou indirectement, de nombreuses idées et valeurs.”

Le nouveau Modèle éducatif pro­posé par l’A.I.U. “évitera la surenchère orthodoxe et la surenchère du pôle culturel exclusif”, précise Armand Abécassis.

Ce Modèle éducatif accordera autant d’importance à l’enseignement juif qu’à l’enseignement général.

“Grâce au dialogue permanent entre la culture juive et la culture générale, l’enfant apprendra à se situer progressivement en tant que Juif dans le monde où il vit et à participer activement à la vie citoyenne. L’A.I.U. s’inspire de ce que Samson Raphaël Hirsch appelait Torah Im Dereckh Erets -“La Torah avec la culture générale”-.”

Le nouveau Modèle éducatif éla­bo­ré par l’A.I.U. n’a pas pour but d’“endoctriner” ou de “convertir” l’élève pour qu’il devienne observant, c’est-à-dire pour qu’il respecte le Shabbat, mette les Téfilim tous les matins, mange casher…

“Ce Modèle éducatif ne vise pas à transmettre la “Vérité” à un enfant Juif, ni à le rendre pratiquant, sio­niste, libéral, orthodoxe ou massorti. Il respecte la li­­berté de conscience de l’enfant appuyée sur des connaissances solides et le laisse choisir avec ses parents le sens qu’il cherche à donner à sa vie de Juif et de citoyen”, explique Armand Abécassis.

Le nouveau Modèle éducatif proposé par l’A.I.U. s’échinera à faire connaître à l’enfant Juif toutes les facettes du Judaïsme.

“Connaître le Judaïsme c’est s’informer sérieusement sur l’Histoire juive et sur l’Histoire des Juifs pour les replacer dans le contexte de l’Histoire générale des peuples et des Nations. C’est aussi apprendre la langue hébraïque dans laquelle ­s’exprime le peuple juif. L’enseignement de l’hébreu est prioritaire dans les cursus académiques des Écoles de l’A.I.U. C’est inadmissible qu’un jeune Juif ne sache pas parler couramment l’hébreu après avoir passé dix ou onze ans dans un système scolaire juif. Nous encourageons aussi nos élèves à réfléchir sur la pratique rituelle diversifiée et sur les significations que celle-ci a reçues des Maîtres de la Tradition juive. C’est aussi initier nos élèves à la littérature juive. Leur relater l’aventure sioniste avant et après la Shoah et l’Histoire de l’État d’Israël depuis 1948. Leur faire savoir aussi que le Messie ne viendra pas seulement pour les Juifs et que Dieu a créé l’homme à son image et pas le Juif uniquement.”

D’après Armand Abécassis, les parents joueront un “rôle fondamental” dans le processus de mise en oeuvre du nouveau Modèle éducatif forgé par l’A.I.U.

“Le Modèle éducatif que l’A.I.U. propose inclut également des acti­vi­tés extra-scolaires, en particulier avec les parents, qui ne doivent pas se sa­tis­faire d’inscrire leur enfant à l’École juive pour des raisons compréhensibles de sécurité, notamment dans les pays où l’antisémitisme prolifère, de qualité de l’enseignement général ou pour qu’il reste dans un milieu juif. Les parents doivent savoir qu’ils sont partie prenante dans ce que leur enfant apprend et fait à l’École. Ils jouent un rôle majeur dans la réussite du Projet éducatif proposé par l’École que fréquente leur enfant. Nous pouvons leur proposer des cours spéciaux. L’École instruit mais n’éduque pas. La famille ne peut pas instruire son enfant, mais elle peut l’éduquer en l’appuyant dans son cheminement éducatif juif.”

In an interview, educator Armand Abécassis talks about the new educational model being introduced by the Alliance Israélite Universelle.