Une entrevue avec l’Historien israélien Zeev Sternhell

Zeev Sternhell

“J’ai été “archi-Sioniste” et je le suis aujourd’hui encore.”

Éminente personnalité du monde universitaire israélien et figure marquante de la Gauche sioniste, l’Historien et intellectuel Zeev Sternhell ne reconnaît plus l’Israël d’aujourd’hui, un pays plongé de nouveau dans une Guerre dévastatrice.

Né en Pologne en 1935, survivant de la Shoah, Zeev Sternhell est arrivé orphelin en Israël en 1951, à l’âge de 16 ans. 

Historien de renommée mondiale, spécialiste internationalement reconnu de l’Histoire du fascisme, Professeur émérite de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Lauréat en 2008 du prestigieux Prix d’Israël et membre de l’Académie israélienne des Sciences et Lettres, Zeev Sternhell a eu durant sa brillante carrière universitaire des propositions très alléchantes pour enseigner dans des Universités américaines. Offres qu’il a déclinées. 

“J’ai fait un choix à l’âge de 16 ans: Israël. Pour moi, le Sionisme était avant tout le retour du Juif à la normalité. J’entends par “normalité” le fait que les gens deviennent ou redeviennent maîtres de leur destin. Je suis toujours un Sioniste libéral de Gauche invétéré. La solution binationale m’effraie beaucoup. Je pense par ailleurs que la colonisation de la Cisjordanie, qui agit comme un cancer, équivaut à mettre fin à l’existence de l’État d’Israël”, nous a confié Zeev Sternhell, dans un français impeccable à l’accent méridional, au cours d’une entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News depuis son domicile, à Jérusalem.

Ce réputé Historien vient de publier un livre autobiographique passionnant –Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison. Entretiens avec Nicolas Weill (Éditions Albin Michel), dans lequel il relate l’incroyable parcours de sa vie et étaye sa vision d’Israël dans un Chapitre fascinant, intitulé “Terre promise” (pp. 83-146).

Quand nous l’avons joint à Jérusalem, la Guerre entre Israël et le Hamas  faisait rage et les roquettes palestiniennes continuaient à pleuvoir sur les villes israéliennes. 

“Ce qui se passe aujourd’hui est inacceptable. Nous, Israéliens, ne pouvons pas accepter de recevoir des roquettes tout au long de la journée. Mais la question essentielle qui nous taraude est: quelle est la solution pour mettre fin à ce conflit? Chose certaine: il n’y a pas de solution militaire à ce contentieux plus que centenaire, sauf bien sûr si les Israéliens décident de réoccuper la bande de Gaza. Cette option insensée est rejetée par une grande majorité d’Israéliens. La seule solution à ce conflit ne peut donc être que politique.”

Zeev Sternhell reconnaît que le Hamas “rend les choses très difficiles”.

Mais, ajoute-t-il, il y a “une possibilité de contourner le Hamas” en parvenant à un Accord avec l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas installée à Ramallah. 

“Il existe une différence fondamentale entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Le Hamas refuse de reconnaître Israël alors que l’Autorité Palestinienne l’a reconnu. Israël devrait explorer sérieusement l’option de parvenir à un Accord avec le Gouvernement d’union nationale HamasFatah auquel participent non pas les dirigeants politiques du Hamas, mais des technocrates de cette organisation radicale palestinienne.”

D’après Zeev Sternhell, Israéliens et Palestiniens veulent tous deux parvenir à un Accord de paix.

“Le problème qui se pose, c’est qu’Israël et les Palestiniens veulent parvenir à un Accord chacun tel qu’il le conçoit, c’est-à-dire chacun en gagnant la partie et non pas en parvenant à un compromis. Israéliens et Palestiniens campent sur un même credo politico-idéologique immuable: nous sommes d’accord pour faire la paix, mais à nos conditions.”

Le problème qui se pose depuis 1948, année de la fondation de l’État d’Israël, c’est que ni les Israéliens, ni les Arabes, surtout les Palestiniens, n’ont pas été capables jusqu’ici d’accepter l’idée que la Guerre d’Indépendance d’Israël de 1948-1949 a été la “fin d’un processus”, dit Zeev Sternhell.

Aujourd’hui, les Israéliens ne sont toujours pas capables de reconnaître que leur Guerre d’Indépendance s’est terminée en 1949 et que la poursuite de la colonisation après 1967 a été “une erreur historique qu’il faut maintenant réparer”. 

Et, les Palestiniens considèrent que puisque la colonisation israélienne depuis 1967 est “illégitime”, il en est exactement de même en ce qui concerne celle d’avant 1949.

En ce qui a trait à l’avenir d’Israël, Zeev Sternhell est catégorique: il accorde une grande importance à la souveraineté, à l’existence d’un État d’Israël démocratique, où les Juifs seront majoritaires, capable d’assurer l’égalité totale des deux peuples qui y vivent.

“Je veux vivre dans un État d’Israël, qui soit évidemment le plus laïque possible, ayant une large majorité juive mais qui assure aux minorités arabes l’égalité absolue, non seulement formelle, mais réelle.”

La perspective d’un État binational judéo-arabe le “terrifie”.

“Je ne suis pas venu en Israël pour vivre dans un État binational, dit-il. L’avènement d’un État binational -un système politique qui s’est avéré un grand fiasco à Chypre, en Yougoslavie, en Tché-co-slo-va-quie…- marquerait la fin de l’État d’Israël et du Sionisme. Ce type d’État totalement dysfonctionnel provoquerait une Guerre civile permanente entre Juifs et Arabes. Je me suis établi en Israël, non pas parce qu’on y parlait hébreu et étudiait la Bible dans les écoles, mais parce que je pensais que, après cette effroyable hécatombe qu’a été la Shoah, les Juifs devaient absolument se munir de structures politiques autonomes pour devenir un peuple comme les autres. Tel est le slogan central et officiel du Sionisme, auquel j’ai adhéré de tout mon être.” n

In an interview from his home in Jerusalem, historian Zeev Sternhell discusses the current Israeli-Hamas  conflict and expresses his concerns about the possibilties for peace.