L’Algérie coloniale revisitée par Alexandre Arcady

Alexandre Arcady

Le célèbre cinéaste Juif français Alexandre Arcady a présenté son nouveau film, Ce que le jour doit à la nuit, dans le cadre du dernier Festival Cinémania de Montréal.

Dans l’Algérie des années 1930, Younes, 9 ans, est recueilli par son oncle et sa tante et rebaptisé Jonas. Élevé par ce couple peu ordinaire (Mohamed est Musulman, Madeleine Chrétienne), Jonas grandit à Oran puis à Rio Salado, véritable jardin d’Éden où la vie est douce et lente, jusqu’à ce qu’Émilie n’amène les premières violences de l’amour, et l’Histoire les premiers feux de la Guerre…

Adapté du roman à succès du grand écrivain algérien Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit est une fresque monumentale dans tous les sens du terme. Reconstitution détaillée à l’extrême, musique grandiose, mise en scène imposante, jusqu’aux orages, qui répondent avec un mimé­tisme verlainien aux émotions: que Jonas perde un instant le goût de vivre, et “il pleure dans son coeur comme il pleut sur la ville”…

Alexandre Arcady évoque avec une grande maestria l’Algérie coloniale, un pays torrentiel, passionné et douloureux, et éclaire d’un nouveau jour, avec des images tantôt éblouissantes tantôt très déchirantes, la dislocation atroce de deux Communautés amoureuses d’un même pays.

Né en 1947 à Alger, Alexandre Arcady a consacré sa vie au Théâtre et au Cinéma. Ce talentueux metteur en scène a réalisé une série de films qui ont connu un immense succès au box-office francophone: Le coup de Sirocco -le départ tragique des Pieds-Noirs d’Algérie au début des années 60-, Le Grand Pardon I et II -une plongée vertigineuse dans l’univers glauque de la Mafia juive-, Le Grand Carnaval -la vie dans un petit bourg d’Algérie lors du débarquement de Troupes militaires américaines pen­dant la Deuxième Guerre mondiale-, Comme Sacha -le récit très poignant de ce film a comme toile de fond la Guerre israélo-arabe des Six Jours de juin 1967-, K -un thriller haletant sur le Devoir de Mémoire face au nazisme-, L’Union sacrée, Là-bas mon pays -le problème du terrorisme islamiste en Algérie-, Mariage Mixte – une tragicomédie abordant l’épineuse question de l’assimilation dans les Communautés juives-, Comme les cinq doigts de la main – un film ma­gni­fique célébrant la solidarité indéfectible dans une famille Sépharade française…

Toute l’oeuvre cinématographique d’Alexandre Arcady souligne le combat de ce Sépharade franco-algérien contre l’intolérance et son profond attachement à un idéal humaniste et de fraternité.

Le Canadian Jewish News a rencontré Alexandre Arcady en 2006 lors de son passage éclair à Mont­réal, où il fut l’invité d’honneur du Festival Rétrospective, qui lui rendit un élogieux hommage et présenta ses principaux films -cette entrevue a été publiée dans l’édition du 19 janvier 2006 du Canadian Jewish News.

Le cinéaste nous avait alors livré ses vues sur l’antisémitisme en France et l’avenir de la Communauté juive vivant dans ce pays. Malheureusement, alors que l’antisémitisme resurgit de nouveau avec force dans la société française, les réflexions d’Alexandre Arcady sur cette question très épineuse n’ont pas pris une seule ride.

Nous avions alors demandé au réalisateur du Coup de Sirocco et du Grand Pardon comment envisageait-il l’avenir des Juifs de France? Était-il pessimiste ou optimiste?

“Je suis assez pessimiste pour deux raisons, nous avait-il dit. D’abord, parce qu’il y a actuellement en France une déperdition de la Communauté juive. Il y a beaucoup de Juifs qui ­quittent la France pour de multiples raisons: la recrudescence de l’antisémitisme, la détérioration du climat social et éco­no­mique; une fiscalité accablante… Il y a toujours un profond malaise dans la Communauté juive de France. Beaucoup de Juifs français se questionnent aujourd’hui sur leur avenir. Ils se posent des questions qu’ils ne se posaient pas il y a quinze ou dix ans: “Quelle place avons-nous dans la Communauté nationale française?” “Sommes-nous toujours des citoyens à part entière dans un pays où on est la cible d’attaques antisémites?”…”

L’autre raison majeure qui pousse des Juifs à quitter la France: l’intransigeance du Grand Rabbinat de France en ce qui a trait aux conversions au Judaïsme, précisa ­Alexandre Arcady.

“L’autre grand problème qui amoindrit le Judaïsme français est les mariages mixtes. Or, la position dogmatique du Grand Rabbinat de France sur cette question cruciale ne fait qu’aggraver ce problème. Le Grand Rabbinat de France interdit la Synagogue à beaucoup d’enfants issus de mariages mixtes. À mon avis, cette position rabbinique maximaliste est une erreur fondamentale car elle dépossède la Communauté de nouveaux membres. Beaucoup d’enfants issus de mariages mixtes, dont les pères ou les mères sont Sépharades, sont élevés dans la Tradition de la Judaïté sépharade. Ils célèbrent toutes les fêtes juives chez leurs grands-parents. Leur père, ou leur mère, ­s’escrime à leur transmettre des pans du Judaïsme traditionnel et bon enfant que nous avons connu en Algérie, au Maroc, en Tunisie… Et, au moment de leur Bar Mitzvah, ces adolescents, qui se considèrent Juifs sur le plan identitaire, sont exclus de la Synagogue par un Grand Rabbinat très intransigeant. C’est une situation très grave.”

 

Sephardi French filmmaker Alexandre Arcady presented his latest film, Ce que le jour doit à la nuit, at this year’s Festival Cinémania.