Iran-Israël. Les choix de Reza Pahlavi

Reza Pahlavi, fils du dernier Shah d’Iran, déchu en 1979 lors de la révolution islamique qui déferla sur sa contrée natale, et de l’impératrice Farah Pahlavi, comprendrait-il, soutiendrait-il ou dénoncerait-il une intervention militaire d’Israël -sous forme de frappes ciblées- ayant pour seul but d’affaiblir le potentiel militaire iranien et non bien évidemment d’envahir le pays?

“Comprendre et soutenir, ce n’est pas du tout la même chose! Est-ce que je comprendrais les inquiétudes de l’État d’Israël? Oui. Est-ce que j’approuverais une intervention militaire israélienne ou autre? Non, catégoriquement. En tant que patriote, je me sentirais attaqué à partir du moment où ce ne serait pas seulement le régime mais aussi le pays que l’on agresserait. Je ne peux, dans aucune hypothèse, soutenir une attaque contre mon pays. D’autant plus que toutes les options n’auraient pas été sérieusement envisagées avant de choisir la voie militaire. Si on passait comme cela de la diplomatie à la guerre, ce serait une faute grave! Car dans ce cas, tout le pays se sentirait attaqué. Ce ne serait pas la même chose si le peuple iranien avait le sentiment que l’on s’attaque au régime. Car le vrai danger, c’est le régime et son idéologie totalitaire”, explique Reza Pahlavi au journaliste français Michel Taubmann dans un livre d’entretiens passionnant, Iran. L’heure du choix, paru récemment aux Éditions Denoël.

Rédacteur en chef de la revue d’idées intellectuelles Le Meilleur des mondes et journaliste à la chaîne de télévision culturelle franco-allemande Arte, Michel Taubmann est l’auteur d’une biographie très remarquée du président iranien Mahmoud Ahmadinejad -La Bombe et le Coran (Éditions du Moment, 2008).

Mais, au fond, l’héritier du Shah d’Iran ne pense-t-il pas que seule une intervention militaire pourrait permettre le renversement du régime islamique au pouvoir à Téhéran?

“Comme je l’ai déjà dit, je suis catégoriquement opposé à une intervention militaire car je suis convaincu que, loin d’entraîner la fin du régime, elle conduirait plutôt à son renforcement ou a son chaos, estime Reza Pahlavi. Je distingue deux hypothèses. D’abord, celle d’une intervention militaire limitée aux installations nucléaires. Dans ce cas, le régime superficiellement affaibli aurait toutes les excuses pour durcir la répression à l’intérieur et enflammer la région. Je ne pense pas forcément à une offensive militaire directe contre le territoire israélien mais plutôt à des raids contre des navires dans le Golfe, un blocage du détroit d’Ormuz, des attentats en Afghanistan et en Irak, où les mollahs sont déjà responsables d’une grande part des violences. Je pense aussi au déclenchement d’une offensive de groupes comme le Hamas ou le Hezbollah contre Israël et au Liban. On peut aussi s’attendre à des attaques directes contre les intérêts économiques des Occidentaux ou leurs ambassades dans la région. Il ne faut pas oublier non plus le réveil des réseaux terroristes dormants au Maghreb, en Europe et même en Amérique latine. Ces représailles de l’Iran et de ses satellites provoqueraient évidemment une riposte militaire très importante des Occidentaux, qui nous précipiterait vers le chaos.”

Dans la deuxième hypothèse avancée par Reza Pahlavi, les puissances occidentales utilisant l’option militaire anticiperaient les réactions hautement dangereuses du régime d’Ahmadinejad en décidant dès le début de taper très fort, bien au-delà des installations nucléaires, soit pour anéantir le régime, soit pour l’affaiblir considérablement.

Cette initiative pourrait aussi entraîner des conséquences très graves pour l’Iran et le monde si aucune solution politique, impliquant la participation du peuple iranien, n’a été sérieusement préparée à l’instar de ce qui s’est passé en Irak, prédit Reza Pahlavi.

“C’est pourquoi je propose une troisième voie, celle du peuple, moins coûteuse et plus légitime, dit-il. Elle est la seule capable de donner un résultat “gagnant-gagnant” pour le peuple iranien et le monde. Les autres options (la négociation et la guerre) n’auront qu’un seul vainqueur: le régime islamique iranien.”

En Droit international, on considère qu’un pays attaqué par un autre pays se trouve en situation de légitime défense. Avec le nucléaire, cette notion est difficile à appliquer, rappelle à son interlocuteur Michel Taubmann.  On ne peut pas demander à Israël ou à l’Arabie Saoudite d’attendre la première frappe nucléaire de l’Iran pour se défendre.

“Je ne demande à aucun pays d’attendre la première frappe nucléaire pour réagir, répond Reza Pahlavi. Mais d’après les éléments que nous possédons, l’état d’avancement du programme nucléaire militaire iranien laisse encore un peu de temps avant que la ligne rouge soit atteinte. Quand peut-on finalement jeter l’éponge? En tant que représentant de l’Opposition démocratique à ce régime totalitaire, je dirais qu’au moment où, d’une manière pragmatique, je constaterai que l’on a fait le maximum, que le monde a essayé réellement de nous aider et que l’on n’a pas réussi. Alors, à ce moment-là, je pourrai comprendre que l’on en arrive à une solution militaire. Je serai triste, je serai blessé en tant qu’Iranien car c’est mon pays, mais je pourrai le comprendre.”

Dans ses entretiens avec Michel Taubmann, Reza Pahlavi livre ses impressions sur le sort “des plus précaires” de la Communauté juive vivant toujours en Iran, constituée de quelque 20000 personnes.

“Acceptez-vous de mettre au crédit du régime la situation des Juifs d’Iran, bien meilleure que dans les pays arabes voisins où les Juifs ont quasiment disparu?”, lui a demandé le journaliste français.

“Allez poser cette question aux Juifs iraniens qui sont aujourd’hui éparpillés un peu partout dans le monde, rétorque l’héritier présomptif du trône d’Iran. Si les Juifs en Iran étaient bien traités, comment expliquer que tant d’entre eux se soient exilés? Ceux qui restent servent en quelque sorte d’otages. Le régime veut les garder comme moyen de pression sur la Communauté juive mondiale et sur Israël. En cas de crise très grave, ils pourraient servir de boucliers humains.”

Cette affirmation est-elle fondée?, renchérit Michel Taubmann.

“Vous pensez vraiment que ce régime respecte les Juifs?, lance tout à trac Reza Pahlavi. Vous savez très bien que la Communauté juive iranienne est totalement sous le contrôle du pouvoir islamique. Quand je parle aux Juifs iraniens de l’étranger, ils ne cachent pas leurs craintes pour leur famille restée là-bas. Pour cette raison, ils sont souvent réticents à s’engager publiquement contre le régime. N’oublions pas qu’actuellement en Iran, toutes les religions sont persécutées: les Juifs, les Chrétiens, les Zoroastriens, les Baha’is, dont les cimetières sont démolis au bulldozer, et même les Sunnites, oui même des Musulmans sont persécutés par ce régime qui se réclame de l’islam!”

Dans ce livre d’entretiens, Reza Pahlavi, qui démontre une fine connaissance des questions géopolitiques internationales, égrène ses réflexions et analyses sur la brûlante actualité moyen-orientale: le conflit israélo-palestinien, l’influence de plus en plus hégémonique exercée par le régime islamique iranien sur le Hamas et le Hezbollah, la menace nucléaire iranienne…

Dans ce vibrant plaidoyer pour un Iran démocratique tourné vers l’avenir, Reza Pahlavi conclut que le régime islamique au pouvoir à Téhéran n’est pas “réformable”, l’expérience Khatami n’ayant été qu’un “grand leurre” destiné à favoriser sa survie et à tromper la Communauté internationale sur ses véritables objectifs. Selon lui, aujourd’hui, la majorité des Iraniens ont abandonné l’idée d’une “démocratie islamique”, tellement la “parole divine” est opposée à la “souveraineté humaine”. Cette contradiction inévitable “pourrit le système politique iranien comme le ver gâte le fruit”, confie-t-il.

“Cette illusion s’est dissipée. Désormais, le réalisme gagne du terrain en Iran”, affirme Reza Pahlavi.

French journalist Michel Taubmann published an interview with Reza Pahlavi, son of the last Shah of Iran, in a recent book.