La grande tragédie d’Einstein Père et Fils

De gauche à droite: Eduard Einstein, âgé de 4 ans, sa mère, Mileva Maric, première épouse d’Albert Einstein, et son frère aîné, Hans-Albert, en 1914 à Zurich.

Bouleversant, intriguant et tragique, Le cas Eduard Einstein (Éditions Flammarion) est un roman magistral qui narre un volet méconnu et très sombre de la vie chaotique d’un grand génie du XXe siècle, Albert Einstein: la schizophrénie de son fils Eduard, qui finira ses jours parmi les fous, dans le plus total dénuement, dans un Hôpital psychiatrique de Zurich, en Suisse.

Ce qui fascine dans ce livre, c’est de voir comment un immense savant fut totalement impuissant devant la maladie de son fils.

“Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution”, écrira Albert Einstein lors de son exil aux États-Unis.

L’auteur de ce roman très poignant, Laurent Seksik, auteur d’une remarquable biographie d’Albert Einstein -publiée en 2008 dans la Collection “Folio” des Éditions Gallimard-, nous relate avec brio le drame d’une célèbre famille juive européenne, les Einstein, sur fond de tragédie d’un siècle funeste marqué par le sang, la haine et la fureur des hommes.

Dans cette passionnante fresque biographique résonnent la douleur d’une mère, la Serbe Mileva Maric, première épouse d’Albert Einstein, les faiblesses d’un père, l’un des plus grands savants et humanistes de l’Histoire contemporaine, et la voix d’un fils oublié affligé par une terrible maladie mentale, Eduard Einstein, interné dans un Asile psychiatrique à l’âge de 20 ans. Il vivra reclus dans cette Institution hospitalière jusqu’à sa mort, en 1965, à l’âge de 55 ans.

D’après Laurent Seksik, Eduard Einstein n’apparaîtra dans les biographies consacrées au Prix Nobel de Physique 1921 qu’à partir des années 90.

“Pendant longtemps, le nom d’Eduard Einstein était un patronyme tabou. Ce fils était considéré comme une espèce de tache sur la statue du Commandeur. Pendant longtemps, très nombreux étaient ceux qui pensaient que les icônes ne devaient pas être fissurées, mais devaient être une espèce de monstre froid dont on ne devait garder qu’une seule image, un seul cliché. La seule image qu’on avait d’Albert Einstein était celle d’un homme qui tirait la langue, pleine­ment heureux, provocateur et totalement génial”, ­explique Laurent Seksik en entrevue.

Albert Einstein a-t-il été un mauvais père? Au début des années 30, lorsqu’il fut contraint par les Nazis de s’exiler aux États-Unis, pourquoi abandonna-t-il son fils Eduard dans un Hôpital psychiatrique suisse?

“Moi, je ne parle pas d’abandon, mais de renoncement, précise Laurent Seksik. Cette distinction est très importante. À mes yeux, Albert Einstein n’a pas abandonné son fils, il a renoncé à ses responsabilités devant quelque chose qui était au-dessus de ses forces: la folie de son fils Eduard. Dans ce type de tragédie, un tel comportement n’est pas du tout rare. Albert Einstein s’est comporté en homme et non en héros. Il a parfois été lâche.”

Durant les vingt dernières années de sa vie, de 1933 à 1955, Albert Einstein re­nonça à voir son fils. Il ne l’a plus revu de son vivant alors qu’après la fin de la ­Deux­ième Guerre mondiale, en 1945, il aurait pu le revoir, rappelle Laurent Seksik.

“Albert Einstein a renoncé à son fils. Moi, je ne parle pas d’abandon parce que je suis convaincu que ce grand savant et humaniste, qui était l’un des hommes les plus vaillants de cette époque-là, a trouvé dans la folie d’Eduard  quelque chose de plus fort que lui. C’est terrible et très poignant. J’ai découvert au cours de mes recherches qu’Albert Einstein ne pouvait pas entrer aux États-Unis avec un fils aussi malade.”

Médecin de profession, Laurent ­Seksik, qui est l’auteur de plusieurs romans qui ont connu un grand succès, notamment Les derniers jours de Stefan Zweig, évoque de manière latérale, et profonde à la fois, une période charnière, qui s’étale sur 50 ans, de l’Histoire de l’Europe et de l’Amérique: le monde de la Psychiatrie, les progrès fulgurants de la Physique et de la Science, le Nazisme, la recrudescence d’un antisémitisme maladif dans une Europe broyée par de vieux démons,  le Maccarthysme…

Pourquoi Laurent Seksik est-il fasciné par les vies respectives de deux grandes figures de l’intelligentsia juive européenne, le grand écrivain viennois Stefan Zweig et Albert Einstein?

“Albert Einstein et Stefan Zweig, qui se sont connus au début des années 30 en Allemagne, sont des héros tragiques des Temps modernes confrontés à des drames terribles. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment ces deux figures très marquantes de l’intelligentsia européenne du XXe siècle affrontent leur Guerre de Troie et comment ils parviennent, ou pas, à surmonter ces terribles épreuves existentielles. C’est ça qui est intéressant. Comment des hommes ayant une telle force de caractère, une œuvre aussi monumentale derrière eux, qui sont presque des surhommes, composent avec l’Histoire tragique de l’Europe du XXe siècle? Pour un romancier, c’est un matériau exceptionnel de pouvoir voir et raconter comment ces deux figures emblématiques de l’intelligentsia juive européenne parviennent, ou pas, à surmonter ces abominables épreuves que furent l’accession au pouvoir des Nazis, la persécution des Juifs européens…”

 

In an interview, author Laurent Seksik talks about his new biographical novel, Le cas Eduard Einstein, about Albert Einstein’s schizophrenic son, Eduard, who ended his days in a psychiatric facility.