Une entrevue avec Alexandre Jardin

Alexandre Jardin  [Photo: Rostain]

En 2011, dans un livre autobio­graphique sulfureux, Des gens très bien (Éditions Grasset), le célèbre écrivain français Alexandre Jardin, petit-fils de Jean Jardin, qui fut le Directeur de Cabinet de Pierre Laval, bras droit du Maréchal Philippe Pétain dans le Gouvernement de Vichy, réglait ses comptes avec son grand-père et sa famille, auxquels il reproche d’avoir trempé dans un régime antisémite et immonde.

Dans son dernier livre, Mes trois Zèbres (Éditions Grasset), Alexandre Jardin rend un vibrant hommage à trois hommes qui ont enchanté l’idée qu’il se fait de la France: le brillant dramaturge, acteur et metteur en scène français, Sacha Guitry, l’Homme de l’Appel du 18 juin 1940, Charles de Gaulle, et l’inégalable séducteur et jouis­seur italien, Giacomo Casanova.

Les bévues, certaines gravissimes, commises par ces trois personnages légendaires n’incommodent pas outre mesure l’auteur des best-sellers Le Zèbre, Fanfan et Le Zubial.

“Trouvez-moi un seul aventurier de gros calibre qui, propulsé par sa nature, n’ait pas dérapé un jour?”, écrit-il dans son nouvel opus (p.300).

Dans le vrai monde, l’humaniste François Mitterrand a trinqué avec René Bousquet, Secrétaire général de la Police de Vichy. Le folâtre Sacha Guitry perdit les pédales avec le si­nistre Pétain. En 1961, Charles de Gaulle lui-même couvrit le massacre de manifestants contre la Guerre d’Algérie au Métro Charonne d’un mot glaçant: “Regrettable mais se­con­daire”… rappelle Alexandre Jardin.

S’il est tolérant à l’endroit ­d’hommes politiques français qui frayèrent avec les Nazis pendant l’Occupation de la France et commirent des bourdes abjectes, pourquoi continue-t-il à juger aussi sévèrement son grand-père, Jean Jardin? Ne pourrait-il pas considérer aussi l’épisode “vichyste” de ce dernier comme un “moment d’égarement” dans une France en pleine déli­quescence?

“On peut se tromper dans la vie. Mais il ne peut y avoir aucun adou­cisse­ment devant l’horreur de l’engagement de mon grand-père auprès du Régime criminel et foncièrement antisémite de la France de Vichy. C’est une chose de faire une erreur à un moment dans sa vie, c’en est une autre de collaborer avec un Régime abominable et raciste. Les êtres complètement hors normes, il n’y en a quasiment aucun qui n’ait pas à un moment donné dérapé. Dans le cas de mon grand-père, Jean Jardin, ce n’est pas un dérapage, c’est un choix raisonné et assumé pendant des années. Il n’y a jamais eu la moindre contrition de sa part”, explique Alexandre Jardin en entrevue.

“Soyons sérieux! Vous vous voyez, vous, diriger le Cabinet de Pierre Laval à partir de mai 1942 et jusqu’en octobre 1943 sans éprouver d’instinct un minimum de défiance à l’égard des Juifs? Et trinquer sans malaise avec du casseur de Juif désinhibé, du chasseur d’enfants Juifs, sans adhérer impli­citement aux préjugés antisémites qui sévissaient dans la France de Vichy? Comment servir loyalement un homme dont la politique raciale -d’inspiration chrétienne et nationale qui ne devait hélas pas grand-chose à l’Occupant nazi, aux dires mêmes de Xavier Vallat, le Commissaire Général aux Questions juives dans le Gouvernement de Vichy- resserrait chaque jour le filet autour des citoyens Israélites déclassés, listés et marqués? Un humaniste sincère n’aurait-il pas claqué rageusement la porte le matin de la Rafle du Vél’ d’Hiv’? Mon grand-père, Jean Jardin, ne l’a pas fait! ”, rétorque Alexandre Jardin sur un ton catégorique.

Dans Les trois Zèbres, Alexandre Jardin lance un vibrant appel à ses compatriotes pour qu’ils cham­bardent radicalement le destin de la France, fort morose ces temps-ci, si le pays de Charlemagne, de Victor Hugo et de Marcel Proust ne se décide pas à retrouver sa grandeur, sa vocation à étonner le monde et sa joie.

Dans ce livre très captivant et brillamment écrit, Alexandre Jardin s’interroge sur l’avenir de son pays à une époque sombre où les fondements de la République française sont sérieusement menacés par les crispations identitaires, le communautarisme, le discours xénophobe martelé par le Front National…

Pour affronter les rudes défis auxquels la France est confrontée aujourd’hui, Alexandre Jardin exhorte les Français à créer un mouvement populaire sans tête, qu’il appelle le  “Charlisme”-un néologisme issu du prénom de De Gaulle-, c’est-à-dire une manière d’être éternelle, de se tenir droit.

“Je ne supporte plus la France lugubre et défaitiste d’aujourd’hui. Je ne reconnais plus mon pays. J’y étouffe. La France est un pays qui a été inventé non pas par des gens normaux, mais par des dingues, des Zèbres, des irréguliers, des hommes et des femmes qui raisonnaient hors cadre. Regardez tous les “fous” qui ont fondé en 1948 l’État d’Israël. C’étaient des “fous” furieux ! Les fondateurs d’Israël n’étaient pas des gens qui tenaient en place, qui raisonnaient dans un cadre conventionnel. Sinon, le Projet sioniste ne se serait jamais concrétisé. En réalité, les gens qui inventent un pays sont toujours des “allumés” qui pensent autrement la vie et qui ont un rapport au réel, que je trouve chez mes trois Zèbres -Guitry, De Gaulle et Casanova-, qui se caractérise essentiellement par une absence de peur. J’ai écrit aussi ce livre pour tenir un autre discours sur l’Identité française parce que je ne supporte plus que les voyous du Front National accaparent l’Identité de mon pays.”

Quel regard Alexandre Jardin porte-t-il sur le phénomène de l’antisémitisme dans la France d’aujourd’hui?

“Je perçois ce phénomène délétère dans un cadre général de tension identitaire. On n’est plus dans l’antisémitisme viscéral d’une partie de la société française de l’époque de l’Affaire Dreyfus. Nous affrontons désormais un nouvel antisémitisme: quand vous avez une société qui a un taux de croissance voisin de zéro tout devient problématique. L’intégration économique ne fonctionne plus, donc l’intégration sociale ne fonctionne pas non plus. Dans ce contexte de crise, les frustrations identitaires et les affermissements identitaires belliqueux et haineux s’accentuent. C’est pourquoi dans certaines banlieues, l’antisémitisme ne cesse de pro­li­fé­rer. Je crois sincèrement que ce pro­blème est réparable, à condition qu’une nouvelle et vraie dynamique générale s’instaure dans la société française. Une dynamique sociale synonyme de croissance et d’espoir et non de fatalisme et de paupérisation sociale.”

 

In an interview, French author Alexandre Jardin talks about his latest book, Mes trois Zèbres, as well as his grandfather’s role in the Vichy government during World War II and the problems in France today.