Un thème controversé: les conversions au Judaïsme

Question posée par Peggy Cidor, journaliste au quotidien The Jerusalem Post, où elle couvre les informations relatives aux Communautés ultra-orthodoxes d’Israël, au Rabbin Chalom Chriqui, leader spiri­tuel du Centre Habad sis sur la Rue Van Horne et membre du Tribunal Rabbinique du Va’ad Haïr de Mont­réal, où il est l’un des Rabbins en charge du Dossier des conversions au Judaïsme supervisées par cette Institution rabbinique orthodoxe:


Les panélistes qui ont participé à la table ronde consacrée aux “Conversions au Judaïsme et pluralisme religieux” organisée par le Centre d’Études juives ALEPH dans le cadre du Pré-Festival Séfarad 2012. De gauche à droite: le Rabbin Chalom Chriqui du Mouvement Chabad, le journaliste franco-israélien Marius Schattner, la Dr Sonia Sarah Lipsyc, fondatrice et directrice du Centre d’Études juives ALEPH de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec, la journaliste israélienne Peggy Cidor et le Rabbin Schachar Orenstein, leader spirituel de la Congrégation Spanish & Portuguese de Montréal. [Photo: Edmond Silber]


“M. le Rabbin, pour les Instances rabbiniques orthodoxes, est-ce qu’une personne qui s’est convertie au Judaïsme sera toujours Juive même si elle décide un jour de ne plus suivre les commandements de la Halakha, de ne plus respecter le Shabbat, de ne plus manger casher…? Une fois qu’une personne non-Juive s’est convertie au Judaïsme, la Torah n’interdit-elle pas qu’on lui rappelle qu’elle est un Juif ou une Juive converti(e)?”

Réponse du Rabbin Chalom Chriqui: “Une personne non-Juive qui a été bien convertie au Judaïsme, c’est-à dire dont la conversion a été faite en suivant scrupuleusement les critères énoncés par la Halakha, sera Juive pour le restant de sa vie. Mais une personne non-Juive mal convertie au Judaïsme, sa conversion non seulement sera remise en question par beaucoup de Rabbins ortho­doxes et ultra-­ortho­doxes mais celle-ci pourra même être annulée. Un Rabbin ne peut convertir un non-Juif au Judaïsme que si les critères de la Halakha sont rigoureusement respectés. Pour les Instances rab­bi­niques ortho­doxes, une conversion certifiée sur un papier par un Rabbin ne vaut rien du tout si la personne convertie ne respecte pas ensuite les injonctions édictées par la Halakha. Une personne convertie au Judaïsme qui a montré de la sincérité, qui a pratiqué le Judaïsme après sa conversion et qui ensuite s’est déroutée, c’est un Juif qui s’est dérouté. Cette personne sera considérée comme Juive pour le restant de sa vie. Par contre, la conversion au Judaïsme d’une personne mal convertie ne vaut rien du tout. Pour plusieurs Tribunaux rabbiniques, le laps de temps minimal qu’une personne convertie au Judaïsme devra pratiquer d’une manière pointilleuse les commandements de la Halakha est de six mois.”

Ces échanges entre la journaliste israélienne Peggy Cidor et le Rabbin Chalom Chriqui ont eu lieu lors d’un panel consacré à la question des conversions au Judaïsme organisé par le Centre d’Études juives franco­phones contemporaines ALEPH de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (C.S.U.Q.), fondé et dirigé par la Dr Sonia Sarah Lipsyc, dans le cadre du pré-Festival Séfarad 2012.

Plusieurs panels d’une très grande qualité intellectuelle ont eu lieu lors des deux Colloques internationaux organisés par le Centre ALEPH dans le cadre du Pré-Festival Séfarad 2012. Deux thématique d’une brûlante actualité furent abordées: 1-Les femmes et le Judaïsme dans le monde contemporain et 2-Le vivre ensemble entre laïcs et religieux.

D’après Peggy Cidor, le Grand Rabbinat d’Israël, dirigé par des Rabbins d’obédience haredim, dont les positions sont très éloignées de celles défendues par les Rabbins de la mouvance du Sionisme religieux, a adopté ces dernières années des “politiques très radicales” en ce qui a trait aux conversions au Judaïsme qui ont eu des “répercussions très néfastes” sur la société israélienne.

“Ces dernières années, le Grand Rabbinat d’Israël a bloqué, et même annulé, de nombreuses conversions au Judaïsme faites par des Rabbins orthodoxes. Cela a créé beaucoup de frustration dans la société israélienne. Conscients des positions intransigeantes affichées avec une opi­niâ­treté inébranlable par le Grand Rabbinat d’Israël, bon nombre de non-Juifs Israéliens souhaitant se convertir au Judaïsme n’osent même pas entamer les procédures pour adhérer à la religion juive. D’après le Grand Rabbinat d’Israël, environ 47% des olim de Russie sont non-Juifs selon la Halakha. Aujourd’hui, une partie importante de la société israélienne considère qu’elle est devenue prisonnière d’une poignée de Rabbins haredim qui font la pluie et le beau temps! Cette situation a créé une aliénation par rapport au Judaïsme, qui ne cesse de s’accentuer. En Israël, on ne peut pas parler de pluralisme religieux alors que tous les Juifs Israéliens sont assujettis aux décisions rabbiniques, de plus en plus jusqu’au-boutistes, adoptées par une Organisation rabbinique ultra-orthodoxe qui refuse catégoriquement de reconnaître les autres courants existant dans le Judaïsme”, rappela Peggy Cidor, qui est la Directrice exécutive du Mouvement Tikun, qui s’escrime à promouvoir des valeurs juives et universelles (le respect du Shabbat et des Traditions hébraïques, la solidarité, l’Éducation…) au sein de la société israélienne, aussi bien dans les milieux religieux que laïcs.

D’après le Rabbin Chalom Chriqui, les Rabbins orthodoxes ont resserré les exigences en matière de conversions au Judaïsme parce qu’il y a eu “beaucoup d’échecs et de dégâts” dans ce domaine.

“Au Maroc, à Kénitra, on arrivait le matin en avion et on repartait l’après-midi converti au Judaïsme et même marié! Face à ce laxisme, qui a engendré de nombreux échecs qu’il a engendrés, les Rabbins orthodoxes ont décidé de superviser d’une manière beaucoup plus stricte les procédures des conversions au Judaïsme. C’est un Dossier capital pour l’avenir du peuple juif. Je dis toujours que ce qui compte dans une conversion ce n’est pas le nom du Rabbin qui a supervisé celle-ci, mais les critères halakhiques qui ont servi de fondement à la conversion en question. Le monde haredi a décidé de centraliser les conversions parce que les Rabbins orthodoxes sont très concernés par le futur d’Am Israël, du peuple juif”, expliqua le Rabbin Chalom Chriqui.

Le journaliste franco-israélien Marius Schattner, ancien correspondant du journal français Libération et de l’Agence France Presse (A.F.P.) à Jérusalem et auteur d’un livre très remarqué sur les relations entre Juifs laïcs et Juifs religieux dans la société israélienne -Israël l’autre conflit. Laïcs contre religieux (Éditions André Versaille, 2008), rétorqua vivement au Rabbin Chalom Chriqui lorsque ce dernier a dit que “le terme “Juif laïc” n’existe pas dans le Dictionnaire du Rabbi des Loubavitch” et qu’ un “Juif laïc”, c’est un Juif qui n’est pas encore religieux”.

“M. le Rabbin, à l’instar d’un grand nombre d’Israéliens, moi je me considère comme un Israélien laïc. Je ne veux pas de cet amour de tous les Juifs dont vous vous targuez parce que c’est un amour étouffant”, répliqua Marius Schattner, qui déplore que le Grand Rabbinat d’Israël exerce des pressions lancinantes sur des non-Juifs Israéliens pour qu’ils se convertissent au Judaïsme.

“En Israël, est-ce qu’on peut faire une séparation entre l’appartenance à une collectivité nationale et l’appartenance à une foi, à une pratique religieuse? Je pense que oui, bien que les Rabbins orthodoxes ne partagent pas mon point de vue. Aujourd’hui, dans l’Armée israélienne, il y a des pressions énormes qui sont faites sur les Israéliens qui ne sont pas Juifs servant dans les rangs de Tsahal pour qu’ils se convertissent au Judaïsme. Depuis quand une Armée doit-elle faire des efforts pour convertir à une religion des soldats n’appartenant pas à la religion majoritaire d’un pays? C’est complètement aberrant! On s’aperçoit qu’en Israël la conversion est utilisée à des fins nationalistes. Comme il y a un conflit démo­gra­phique qui nous oppose aux Arabes, on veut absolument que le nombre de Juifs Israéliens croisse significativement pour renverser cette tendance démographique défavorable à Israël. C’est une confusion que je trouve extrêmement gênante. Il faut rappeler qu’Israël n’est pas une théocratie. Laisser une partie importante du pouvoir du peuple entre les mains d’individus qui sont censés représenter Dieu, c’est une situation extrêmement malsaine pour une nation démocratique”, a dit Marius Schattner.

Pour le Rabbin Schachar Orenstein, leader spirituel de la Congrégation Spanish & Portuguese de Mont­­­réal et membre du Rabbinical Council of Canada, Institution affiliée au Rabbinical Council of America, la plus importante Organisation rabbinique orthodoxe  d’Amérique du Nord, le problème très épineux de la non-reconnaissance par le Grand Rabbinat d’Israël de la Judéité de quelque 300 000 olim originaires de Russie n’est pas uniquement une question de Halakha mais aussi une question politique et nationaliste.

“En Israël, des Guérim -des personnes converties au Judaïsme- dont la conversion a été annulée par le Grand Rabbinat d’Israël souffrent beaucoup de cette situation éprouvante pour eux et leurs familles. Il y a des Rabbins orthodoxes, c’est le cas du Rabbin Haïm Amsellem, Député à la Knesseth, qui essayent de trouver des solutions à ce grand problème. La Torah nous enjoint de bien traiter les Guérim. Au Maroc et dans les pays orientaux, les Grands Rabbins Sépharades se sont toujours évertués à trouver des solutions dans le cadre de la Halakha à des cas problématiques de conversions, notamment celles d’enfants nés d’un père Juif et d’une mère non-Juive. En Israël, une Association dénommée Tsora, fondée par des Rabbins orthodoxes Sionistes, essaye aussi de proposer des issues honorables pour permettre aux quelque 300 000 olim de Russie de se convertir au Judaïsme dans un cadre halakhique acceptable”, rappela le Rabbin Schachar Orenstein.

La Dr Sonia Sarah Lipsyc fut la modératrice de ce panel qui avait pour thème: “Conversions au Judaïsme et pluralisme religieux”.

 

A panel of journalists and rabbis, organized by the Centre d’Études juives francophones contemporaines ALEPH as part of pre-Festival Séfarad 2012, discussed the topic of conversion and religious pluralism.