Hillary Clinton/Donald Trump l’Amérique en colère

Christine Ockrent
Christine Ockrent

Étonnamment, c’est la première fois que les questions relatives à Israël et au conflit israélo-arabe ne sont pas abordées au cours d’une campagne présidentielle américaine.

C’est tout du moins le constat dressé par la célèbre journaliste franco-belge Christine Ockrent, qui nous a accordé une entrevue depuis Paris.

C’est la première fois que les sujets concernant Israël occupent très peu de place dans une élection présidentielle américaine. Par ailleurs, le Premier ministre israélien lui-même, Benjamin Netanyahou, qui n’est pas toujours discret dans la manière dont il exprime ses propres priorités, est resté remarquablement discret durant cette campagne présidentielle alors qu’on se souvient de plusieurs moments où il n’a pas hésité à s’exprimer devant le Congrès pour dire le contraire de l’Administration Obama. Dans cette élection, cet enjeu-là n’a pas véritablement pesé”, nous a dit Christine Ockrent.

Cette fine connaisseuse des questions politiques américaines, qui a fait ses premiers pas journalistiques, à la fin des années 1960, au sein de la chaîne de télévision américaine NBC, a sillonné pendant plusieurs semaines les quatre coins de l’Amérique pour couvrir la campagne présidentielle la “plus brutale et la plus haineuse” de l’Histoire des États-Unis.

Christine Ockrent relate avec brio le récit palpitant de ce duel politique impitoyable entre la candidate désignée du parti démocrate, Hillary Clinton, et son adversaire républicain, Donald Trump, dans un livre remarquable, Clinton/Trump. L’Amérique en colère (Éditions Robert Laffont).

web-book-clintonDans cette radioscopie fort troublante des États-Unis, Christine Ockrent met au jour les lignes de force et de fractures d’un pays désarçonné saisi par le doute.

D’après cette journaliste chevronnée, Donald Trump, qui ne cesse de faire miroiter une “solution miracle” pour dénouer le grand imbroglio du Moyen-Orient, n’a “aucune notion de politique étrangère”.

“Il est vrai que le seul dossier où Trump a fait un peu attention durant sa campagne présidentielle, le seul sujet à propos duquel il a lu ses discours sur téléprompteur plutôt que d’improviser, comme il l’a fait sur tous les autres sujets, c’est Israël. Chose certaine, sa promesse de “reconnaître Jérusalem comme la capitale indivisible d’Israël”, s’il est élu le 8 novembre prochain, ne suffira pas pour faire de lui un interlocuteur crédible dans le sulfureux dossier israélo-palestinien et en matière de politique étrangère. Trump n’a aucune expérience, ni aucune notion, en politique étrangère. Le moindre qu’on puisse dire, c’est que les conseillers dont il s’est entouré ne sont pas très représentatifs de l’expertise en cette matière. Trump vend n’importe quoi!”

Que la politique moyen-orientale de Barack Obama, dont Hillary Clinton a été la Secrétaire d’État pendant quatre ans, se soit “enlisée”, c’est “une évidence”, rappelle Christine Ockrent.

“Mais croire une seconde que Donald Trump préconise des “options plausibles” pour faire face à DaechÉtat Islamique-, à l’Iran, à la Turquie, qu’il a un certain mal à situer sur une carte du monde… c’est une vue de l’esprit. La vision du monde de Trump est effrayante. Celle-ci consiste à dire: que Vladimir Poutine est le meilleur dirigeant qui soit, qu’il a eu raison d’envahir l’Ukraine; qu’en Corée du Nord, le dictateur actuel est “un jeune homme intéressant” parce qu’il a réussi à faire le vide autour de lui en assassinant son oncle; que si les États-Unis possèdent des armes nucléaires, pourquoi ne s’en servent-ils pas?; que l’OTAN est un “vieux machin” qui ne sert à rien; que l’Europe de l’Est, on s’en fout…”

Les derniers sondages donnent Hillary Clinton gagnante. Les jeux sont-ils faits?

On s’achemine sûrement vers une victoire de Hillary Clinton, mais le phénomène incarné par Donald Trump ne va pas disparaître du jour au lendemain, avertit Christine Ockrent. C’est la raison pour laquelle il me semble essentiel d’essayer de comprendre comment ce personnage sorti de la téléréalité et de ses gratte-ciels de Manhattan, qui d’ailleurs ne lui appartiennent même pas, a réussi à balayer les seize autres candidats républicains à l’investiture et est devenu le candidat d’un parti qui n’a cessé de le répudier et dont il a fracassé tous les dogmes fondamentaux? Le phénomène politique, culturel et social incarné par Trump tout au long de cette campagne insensée doit être analysé et compris. C’est ce que je me suis efforcé de faire dans mon livre.”

Christine Ockrent n’est point surprise que Donald Trump ait annoncé, sans la moindre gêne, qu’en cas de défaite, il ne reconnaîtrait pas la validité du résultat final de cette élection présidentielle.

“Donald Trump est prisonnier de Donald Trump. Il en est la première victime. Il se comporte comme ce qu’il est depuis longtemps: un animateur de téléréalité. C’est un homme de marketing qui aura merveilleusement réussi à accroître la puissance de sa propre marque.”

Il y a aussi dans cette campagne présidentielle un autre “fait irrécusable”: Hillary Clinton est impopulaire, au sens large, dans l’opinion publique américaine, souligne Christine Ockrent.

Cependant, il faut se souvenir d’une réalité qu’on ne peut pas éluder, ajoute-t-elle: chaque fois qu’Hillary Clinton a été en position de responsabilité, que ce soit aux Affaires étrangères, au Sénat ou à la Maison Blanche en tant que première Dame, elle était très populaire.

“Je crois qu’il y a dans la manière dont on juge aujourd’hui Hillary Clinton une dimension d’usure, parce que les Clinton ça fait 35 ans qu’ils sont dans le circuit, beaucoup d’Américains n’ont aucun appétit pour voir Hillary au premier plan de la scène, les jeunes en particulier, le succès fulgurant de Bernie Sanders en est la preuve. Il y a aussi une bonne once de misogynie. Le regard et le jugement portés sur une femme qui veut exercer une autorité et faire valoir ses compétences, même ses pires ennemis ne nient pas la compétence d’Hillary Clinton dans un certain nombre de dossiers, est toujours beaucoup plus critique. Trump n’est pas jugé aussi sévèrement.”

Cette campagne présidentielle, qui, selon Christine Ockrent, aura été “la plus négative et la plus violente” de l’Histoire des États-Unis, affaiblira-t-elle la démocratie américaine?

“Il y a certainement une usure de la démocratie représentative. Ce phénomène délétère est à l’œuvre dans tous les pays démocratiques, sauf peut-être chez vous au Canada, où on peut dire que les dernières élections législatives ont produit des résultats qui ont manifesté une adhésion très claire à votre actuel Premier ministre, Justin Trudeau. Mais aux États-Unis, comme en Europe, de plus en plus, les gens votent contre. Ils choisissent leurs dirigeants politiques non pas par adhésion, mais par rejet. S’agissant du système politique américain, ce que l’on voit, c’est que le Parti républicain n’existe plus. Trump a fait imploser tous les codes de comportement et les principes politiques du parti républicain.”

Un autre phénomène que l’on a vu apparaître au cours de cette campagne présidentielle: la mutation de la communication politique.

On est entré dans un “système de post-vérités”, c’est-à-dire que “les faits n’ont plus aucune importance” -ce phénomène fait aussi des ravages en Europe. Les défenseurs acharnés du Brexit ont raconté n’importe quoi. Ils s’en sont d’ailleurs félicités abondamment après avoir gagné le référendum en reconnaissant que tous leurs arguments n’étaient que des mensonges-, explique Christine Ockrent.

“La campagne de Trump est un tissu de mensonges et d’aberrations. Ça n’a en rien affaibli sa popularité, en tout cas pas auprès de ses militants. Il reste quand même qu’à peu près 35% d’Américains croient que Trump est un type sérieux. C’est extravagant! Cette mutation de la communication politique s’est opérée aussi par le biais des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le premier média est Facebook. En matière d’information, on va chercher non pas des faits, mais des émotions ou des opinions qui correspondent aux préjugés qu’on a déjà. C’est une déviation qui, me semble-t-il, est menaçante pour nos démocraties.”