Perspectives: Israël-Palestine à l’ère Trump

Elie Barnavi

L’extrême droite israélienne devrait tempérer ses ardeurs et réévaluer ses conjectures en ce qui a trait aux tendances futures de la politique moyen-orientale américaine sous l’administration de Donald Trump, avertit un intellectuel et historien israélien réputé, Élie Barnavi.

Ancien Ambassadeur d’Israël en France et professeur émérite d’Histoire moderne à l’Université de Tel-Aviv, Élie Barnavi nous a livré au cours d’une entrevue depuis Tel-Aviv ses perspectives sur l’évolution de l’épineux dossier israélo-palestinien sous l’égide de l’administration Trump.

“Les membres de la frange d’extrême droite de la coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou s’imaginent qu’avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche ils auront désormais les coudées franches pour faire tout ce qu’ils voudront. Ce n’est pas si évident que ça. En effet, force est de rappeler que les Américains ont des intérêts importants dans le monde arabo-musulman. Actuellement, nous baignons dans le plus grand flou pour ce qui est des intentions de l’administration Trump à l’égard du dossier israélo-palestinien”, explique Élie Barnavi.

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Donald Trump a nommé au poste de Secrétaire d’État, Rex Tillerson, ancien PDG de la mutinationale ExxonMobil, qui possède d’énormes concessions petrolières en Russie et a des intérêts majeurs dans le monde arabo-musulman, rappelle-t-il.

Aujourd’hui, Israéliens et Palestiniens “nagent à contre-courant” car Donald Trump demeure une “grande énigme”, estime Élie Barnavi.

“Le moins qu’on puisse dire est que la nouvelle administration américaine est erratique. Trump a constitué une équipe qui tire à hue et à dia. L’Ambassadeur désigné des États-Unis en Israël, David Friedman, est un fervent partisan de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Le Secrétaire à la Défense désigné, le général James Mattis, a déjà contredit Trump en déclarant que “la capitale d’Israël est à Tel-Aviv et non à Jérusalem”. Ce dernier est un ami des États sunnites et de la Russie… Tout cela ne fait pas cohérence. Il est donc très difficile de savoir ce que Trump fera ou ne fera pas. Ce qui est certain, c’est qu’une politique américaine claire et cohérente n’est pas en vue. Quant à ceux qui comptent sur l’Europe pour dénouer l’imbroglio israélo-palestinien, ils risquent de déchanter vite.”

Sur le terrain, Israéliens et Palestiniens sont “paralysés” et s’“embourbent chaque jour un peu plus dans la stagnation”, constate Élie Barnavi.

Du côté israélien, Benyamin Netanyahou n’a plus de marge de manœuvre, “à en supposer qu’il en voulait une”, dit Élie Barnavi.

Le gouvernement Netanyahou est débordé par son extrême droite. Par ailleurs, l’actuel Premier ministre d’Israël est confronté à de sérieux problèmes judiciaires.

“On ne sait pas trop comment Netanyahou va s’en tirer. Il est privé aussi de l’“argument Obama”. Jusque-là, il s’escrimait à calmer les ténors de l’extrême droite membres de son gouvernement en leur disant: “nous devons être très prudents et faire attention à l’administration Obama qui est contre nous”. Aujourd’hui, Netanyahou ne peut plus invoquer cet exutoire. Quelque chose va bouger. Dans quel sens? C’est très difficile à prédire.”

Du côté palestinien, les initiatives politiques sont aussi au point mort. Les Palestiniens sont “incapables de décider quoi que ce soit”, rappelle Élie Barnavi.

Les perspectives futures des relations entre Israël et les Palestiniens sont “plutôt sombres”, estime cet ancien diplomate.

“Entre la stagnation politique et diplomatique d’un côté et le terrain qui boue de l’autre côté, les évolutions futures de l’éreintant dossier israélo-palestinien ne s’annoncent pas prometteuses.”

Aujourd’hui, la gauche israélienne est “quasi inexistante”, déplore Élie Barnavi.

“Il n’y a plus de véritable opposition politique en Israël. Il est donc difficile d’imaginer une nouvelle coalition gouvernementale susceptible de remplacer la droite au pouvoir.”

Désormais, la droite en Israël n’est plus incarnée par le parti Likoud, affirme Élie Barnavi.

“Si vous voulez comprendre ce qu’est le Likoud aujourd’hui, songez à l’aile droite du parti républicain aux États-Unis. Le Likoud de 2017, c’est l’équivalent du Tea Party américain.”

Le 6 juin prochain, Israël commémorera le 50ème anniversaire de la guerre israélo-arabe des Six Jours, qui se solda par la libération de Jérusalem et l’occupation militaire par Israël de la Cisjordanie et de Gaza.

Quel regard Élie Barnavi porte-t-il sur cet événement charnière de l’Histoire d’Israël?

“La guerre des Six jours était inévitable. Elle a été imposée aux Israéliens. Nous l’avons gagnée, mais nous n’avons pas su gérer cette victoire. Ce qui obère l’avenir d’Israël, c’est indéniablement la question des Palestiniens et des territoires occupés.”

D’un côté, poursuit-il, Israël est un pays puissant disposant d’une Armée très forte et doté d’une démocratie vigoureuse et d’une économie performante.

“Les Israéliens ont fait un immense pas en un demi-siècle.”

De l’autre côté, il y a les territoires palestiniens, qui, selon Élie Barnavi, entravent sérieusement les perspectives d’avenir d’Israël.

“Les territoires palestiniens qu’Israël occupe depuis 1967 nous tiennent à la gorge, nous empêchent de nous définir et d’avancer. Soixante-huit ans après sa création, Israël n’a toujours pas de frontières définitives. Nous occupons un autre peuple, ce qui est désastreux pour ce peuple, et aussi pour les Israéliens.”

D’après Élie Barnavi, le sort futur des territoires palestiniens de la Cisjordanie “hypothèque sérieusement l’avenir d’Israël”.

“Si nous parvenons dans un avenir raisonnable à imaginer une solution susceptible de régler la question des territoires occupés palestiniens, l’avenir d’Israël est garanti, d’autant plus que jamais la situation stratégique de mon pays n’a été meilleure. Il n’y a plus de menace existentielle qui pèse sur Israël. Mais, si nous ne parvenons pas à régler ce problème endémique, il y aura toujours bien sûr un État d’Israël, mais je n’ose même pas imaginer à quoi il ressemblera d’ici quelques décennies!”