Plaidoyer pour les droits des animaux

Etienne Harnad

“J’ai profondément honte d’avoir été végétarien pendant quarante ans. Pendant ces quatre décennies, j’ai vécu dans un déni que je me suis moi-même imposé. Quand on me demandait: “est-ce que ça te dérange si nous mangeons de la viande?”, je m’empressais de répondre poliment: “non, je suis un démocrate invétéré, vive la liberté!” Voilà l’exutoire hypocrite auquel j’avais recours pour être poli”, nous confie en entrevue le militant pro-animal Étienne Harnad, membre actif de l’Association québécoise pour le droit des animaux (KARA).

Avant de devenir végane, ce spécialiste reconnu en sciences cognitives n’avait pas mesuré l’ampleur du degré de souffrance que l’industrie du lait fait subir aux vaches. Il rationalisait ce problème en se disant: “je sais qu’en pratique on fait mal aux vaches pour avoir leur lait, mais contrairement à la viande qu’on ne pourrait avoir, en principe, sans leur faire de mal, on pourrait, en principe, avoir ce lait sans faire souffrir les vaches”.

Aujourd’hui, végane depuis cinq ans, Étienne Harnad trouve odieux un tel raisonnement.

“Une vache, dont la durée de vie est d’environ vingt ans, est soumise quotidiennement à un processus effroyable d’extraction de son lait qui, après quatre années, rend son organisme débilité et dysfonctionnel, explique-t-il. Elle est mise enceinte artificiellement, on lui injecte des hormones et des antibiotiques pour “soulager” les graves infections qui ruinent ses mamelles… On provoque chez elle une angoisse extrême en lui arrachant ses veaux le lendemain de son accouchement pour ensuite les massacrer à leur tour. Et, après quatre années d’agonie, on finit par la massacrer elle aussi, une fois devenue complètement invalide et incapable de tenir sur ses jambes. C’est un processus de destruction sans-cœur et impardonnable d’un animal. Ce sera ma honte éternelle d’avoir négligé et rationalisé pendant tant d’années ces horreurs évidentes.”

Né à Budapest en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Étienne Harnad est né dans une famille de survivants de la Shoah. Trente-sept membres de sa famille ont été déportés et exterminés dans les camps de la mort nazis.  Ses parents sont parvenus à échapper aux nazis en se cachant sous une fausse identité dans une ville hongroise qui passa sous la houlette de la Slovaquie à la fin de la guerre, Rimaszécs. Il avait trois ans quand sa famille émigra au Canada.

Diplômé de l’Université McGill et détenteur d’un doctorat en psychologie de l’Université Princeton, Étienne Harnad est professeur en sciences cognitives au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est aussi professeur adjoint en informatique à l’Université de Southampton, en Grande-Bretagne.

Étienne Harnad a été le rédacteur en chef de plusieurs publications académiques. Il est actuellement l’éditeur de la revue scientifique Animal Sentience (La sensibilité animale), publiée par la Humane Society des États-Unis.

À chaque seconde, 6000 animaux terrestres sont tués pour la consommation humaine. Comparativement, deux humains meurent chaque seconde de causes naturelles, rappelle-t-il.

“À l’exception du nombre décroissant des cultures de subsistance, ce massacre n’est plus nécessaire à notre époque, ni à la survie ni à la santé humaines, dit-il. L’humanité est arrivée à une situation extrême en matière de traitement des animaux. Nous n’avons pas le droit de devenir les complices silencieux de cet abominable génocide perpétré contre les animaux. Le survivant de la Shoah que je suis ne peut tolérer cette situation honteuse et dégradante pour l’humanité. Abandonner les animaux à leur sort funeste, c’est trahir l’une des valeurs fondamentales de l’humanité: l’obligation pour tous ceux (ainsi que leurs proches) qui sont en santé et en sécurité de venir en aide aux êtres sensibles qui ne le sont pas. C’est pourquoi je milite avec acharnement pour la défense des animaux, qui sont les êtres souffrants les plus abîmés sur la terre des hommes.”

Étienne Harnad part du principe que “la majorité des hommes ne sont pas des psychopathes” et que lorsqu’ils auront pris conscience du fait que la souffrance des animaux n’est pas seulement horrible mais aussi inutile, leur “sens de la compassion primera avant tout”.

Âgé de 71 ans, Étienne Harnad n’a pas mangé de viande depuis l’âge de 17 ans.

“Je suis pourtant en parfaite santé. C’est un mensonge d’affirmer qu’un être humain ne peut pas vivre sainement s’il ne consomme pas de viande.”

En Israël, le militantisme pro-animal compte de plus en plus d’adeptes, souligne-t-il.

“Aujourd’hui, Israël compte le plus haut taux de personnes véganes au monde. 4 à 5% de la population israélienne est végane. Par ailleurs, en Israël, les associations défendant les droits des animaux sont parmi les plus actives au monde et organisent régulièrement des manifestations, très médiatisées, devant les principaux abattoirs du pays.”

Par contre, ajoute-t-il, bon nombre de militants pro-animaux israéliens ont opté pour une approche très radicale.

C’est l’activiste juif américain Gary Yourovsky qui a convaincu ses pairs israéliens d’adopter des méthodes de militantisme très musclées pour défendre les animaux.

Étienne Harnad a des réserves concernant cette approche.

“Gary Yourovsky a maintes fois déclaré: “j’ai honte que les Israéliens et les Juifs, qui ont subi dans leur chair au cours de l’Histoire l’atroce expérience d’avoir été traités comme du bétail -quand les nazis les entassaient dans des trains en direction des camps de la mort- continuent, sans la moindre gêne, de manger de la viande, produit d’un autre génocide perpétré aujourd’hui contre les animaux”.”

Étienne Harnad ne trouve “ni juste, ni efficace, de culpabiliser les Israéliens,  ou les Juifs, et surtout pas les survivants de la Shoah”.

Quel type d’approche Étienne Harnad préconise-t-il?

“Il y a, à mon avis, d’autres procédés moins agressifs pour montrer au public les horreurs indicibles dont les animaux sont victimes quotidiennement. Par exemple, installer dans les fermes d’élevage, dans les camions transportant du bétail ainsi que dans les abattoirs des caméras cctv à 360 degrés qui fonctionneraient 24 heures par jour et diffuseraient les vidéos sur Internet. Ces images effrayantes montrant l’indicible souffrance infligée aux animaux auraient sensiblement plus d’impact sur le public que les vigiles silencieuses de sensibilisation ou l’adoption de principes abstraits, rarement appliqués concrètement, visant à protéger les animaux.  Les citoyens pourraient alors non seulement rapporter les infractions aux lois actuelles, mais deviendraient également témoins des horreurs que la loi permet encore.”

Quelle est la position d’Étienne Harnad face à l’épineuse question de l’abattage rituel des animaux?

Bien que je sois profondément athée, je respecte toutes les religions, à condition bien sûr que celles-ci ne soient pas nocives et ne causent aucun type de souffrance. Ma position est claire et catégorique: à l’exception des conflits d’intérêts vitaux (c’est-à-dire de survie ou de mort), il est immoral de tuer ou de faire mal à un être sensible, qu’il soit humain ou animal. Les traditions religieuses qui valorisent l’esclavage et le sacrifice humain ou animal ne tombent pas sous l’égide de la liberté de culte. Le droit, laïc bien sûr, doit interdire tout ce qui cause la souffrance inutile d’un être humain ou animal. Je n’ai jamais renié mon identité juive: pour moi c’est une communauté de fatalité et non de foi, un passé, tragique certes, un présent et un destin partagés. Mais le droit de causer de la souffrance sous l’autorité de principes soi-disant “sacrés”, prescrits dans le judaïsme, le christianisme ou l’islam, est un argument creux qui n’a aucune valeur à mes yeux.”