Un projet de loi de la Knesset très controversé

Emmanuel Navon
Emmanuel Navon

La Knesset est en passe d’adopter une loi très controversée sur le financement des ONG -Organisations non gouvernementales.

“Quoi qu’en dise Benyamin Netanyahou, ce projet de loi évoque la situation en Russie et non pas celle en vigueur aux États-Unis ou dans n’importe quel autre pays démocratique”, ont déclaré vigoureusement les dirigeants du mouvement “La Paix maintenant”, une organisation de gauche directement visée par cette loi.

Nous avons demandé au politologue israélien Emmanuel Navon son point de vue sur cette loi vivement contestée et sur d’autres questions d’une brûlante actualité relatives au conflit israélo-palestinien.

Né en France en 1971, Emmanuel Navon a fait son Aliya en 1993. Il est diplômé de Sciences-Po Paris et détenteur d’un Doctorat en Relations internationales de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Ce spécialiste reconnu du conflit israélo-arabe est actuellement directeur du Département de Science politique et de Communication du Collège orthodoxe de Jérusalem, professeur de Relations internationales à l’Université de Tel-Aviv et à l’Université IDC Herzliya, chercheur senior au Kohelet Policy Forum -un Centre de recherche et d’études spécialisé dans l’analyse des politiques gouvernementales israéliennes- et analyste politique senior à la chaîne d’informations israélienne I24News.

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“De nombreuses ONG actives en Israël sont financées par les gouvernements européens et par la Commission européenne. Parfois, plus de la moitié du budget de ces ONG provient de gouvernements européens, ce qui rend leur appellation “non gouvernementale” douteuse. La seconde appellation douteuse est celle d’“ONG pour la défense des droits de l’homme”. Sous couvert de cette appellation louable, nombreuses sont les ONG qui participent activement à la campagne BDS -Boycott, Désinvestissements, Sanctions- contre Israël, qui poursuivent les officiers de Tsahal pour crimes de guerre, qui plaident pour le “droit au retour” des Palestiniens -qui est incompatible avec la solution des deux États puisque la mise en oeuvre de cette revendication ferait d’Israël un État binational- et qui saisissent la Cour suprême d’Israël pour tenter de modifier les lois votées par la Knesset (par exemple, la Cour suprême israélienne a été saisie à deux reprises, en 2006 et en 2012, pour modifier la loi sur la citoyenneté afin de permettre les réunifications familiales entre Arabes israéliens et Palestiniens de Cisjordanie. Le but de la modification de cette loi était d’appliquer de facto le “droit au retour” des Palestiniens par le biais de mariages fictifs”, explique Emmanuel Navon.

Il est légitime pour l’Europe de tenter d’influencer la politique d’Israël, mais cette influence doit être exercée par le biais des relations diplomatiques et pas derrière le masque d’organisations soi-disant non-gouvernementales, estime Emmanuel Navon.

“Le but de la proposition de loi sur le financement des ONG est de faire tomber ce masque. Notez que la législation proposée ne limitera en rien la liberté d’action de ces ONG et leur capacité à lever des fonds. Tout ce qu’exige cette proposition de loi est que les ONG dont plus de 50% du budget est financé par des gouvernements révèlent ce fait lorsqu’elles publient leurs rapports ou lorsqu’elles font du lobbying. Cette proposition de loi, en conséquence, ne fait qu’ajouter de la transparence sans limiter les activités des ONG.”

Emmanuel Navon est d’autant plus étonné par les critiques suscitées par cette loi sur les ONG que celle-ci est beaucoup plus stricte aux États-Unis: la “Foreign Agent Registration Act” (FARA) exige de tout lobbyiste agissant pour le compte de gouvernements étrangers de faire état de ses activités et de ses financements au Département de la Justice, rappelle-t-il.

“Cette loi existe aux États-Unis parce que de nombreuses organisations soi-disant non gouvernementales agissent en réalité pour le compte de gouvernements étrangers dans le but d’influencer la politique et la législation des États-Unis. Les peines sont sévères pour ceux qui enfreignent cette loi.  En mars 2012, le lobbyiste américain Syed Ghulam Nabi Fai a été condamné à deux ans de prison ferme pour n’avoir pas rendu compte d’une donation de 3,5 millions de dollars du gouvernement pakistanais.”

Lors d’une conférence qu’il a donnée à Montréal en 2013, Emmanuel Navon avait encensé très élogieusement le travail réalisé par l’organisation étudiante “Im Tirzu”.

Aujourd’hui, “Im Tirzu” est durement fustigée par le public et les élites politiques et intellectuelles israéliens, y compris de droite, après que cette organisation ait mené une virulente campagne de dénigrement contre des personnalités intellectuelles israéliennes de gauche, dont les écrivains Amos Oz et David Grossman, qu’elle a accusées d’être des “taupes au service des ennemis d’Israël”.

Quel regard Emmanuel Navon porte-t-il aujourd’hui sur cette organisation que même des Israéliens de droite ont qualifié sans ambages de “groupe fasciste”?

“J’ai effectivement soutenu “Im Tirtzu” au moment de son lancement parce que le but de cette organisation estudiantine était, à l’origine, d’introduire plus de pluralisme intellectuel dans les universités israéliennes où règne malheureusement le monolithisme politique, en particulier dans les sciences humaines et les sciences sociales. Telle était effectivement l’objectif initial d’“Im Tirtzu” lorsque j’en fis l’éloge lors de mon passage à Montréal en 2013. Mais, depuis 2014, la direction de cette organisation a changé et pris un tournant que je désapprouve. La récente campagne, que vous mentionnez, était lamentable et je l’ai publiquement condamnée. Comme je l’ai écrit sur mon compte twitter à ce sujet, étiqueter les gens, ce n’est pas une alternative intellectuelle.”

Ce qu’on appelle désormais l’“Intifada des couteaux” semble perdurer. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou préconise de “clôturer” tout le territoire d’Israël avec une immense barrière de sécurité afin de réduire le nombre d’attentats contre les Israéliens. Est-ce une solution réaliste pour contrer cette nouvelle vague de terrorisme qui sévit en Israël depuis quelques mois ou n’est-ce pas plutôt la solution du désespoir?

“Cette clôture existe déjà à la frontière avec l’Égypte. Elle a mis fin à l’afflux massif d’immigrants illégaux en provenance d’Erythrée, du Soudan et d’autres pays africains. Quant à la barrière de sécurité entre Israël et la Cisjordanie, la construction de celle-ci fut initiée en 2003 par Ariel Sharon pour endiguer les attentats sanglants commis durant la seconde Intifada, mais n’a jamais été parachevée. Je ne sais pas si Benyamin Netanyahou compte terminer la construction de cette barrière ou s’il construira une autre à la frontière avec la Jordanie. Ses propos n’étaient pas clairs. En tout état de cause, il ne s’agit bien entendu que d’une solution partielle et imparfaite. Cela ne signifie pas qu’une solution politique soit à portée de main.”

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Comment Emmanuel Navon a-t-il accueilli le plan de séparation avec les Palestiniens que vient de proposer le leader de l’opposition travailliste, Yitzhak Herzog?

“Ce plan part d’un double-constat que je partage: d’un côté, une solution politique n’est pas réalisable à court ou moyen terme; d’un autre côté, le statu quo menace la majorité juive et le statut international d’Israël. En dernière analyse, Israël ne saurait rester l’otage du refus des Palestiniens de signer un accord. Un retrait unilatéral d’Israël de la majorité du territoire de la Cisjordanie sera inévitable. Mais un tel retrait devra tirer les leçons du désengagement de la bande de Gaza en 2005 pour limiter au maximum la capacité de nuisance de l’entité hostile et défaillante qui émergera de tout retrait israélien. Israël n’a pas le choix entre de bonnes et de mauvaises solutions, mais seulement entre de mauvaises solutions. Il faut donc choisir la moins mauvaise solution, ce qui exige un courage politique qui fait actuellement défaut.”