‘Les Palestiniens espèrent une victoire de Netanyahou’

Shlomo Ben-Ami

“Le Bloc sioniste, la liste de centre-gauche commune présentée par le Parti Travailliste israélien, dirigé par Yitzhak Herzog, et le Parti Hatnuah -“en mouvement”-, dirigé par Tzipi Livni, n’a aucune chance de l’emporter sur Benyamin Netanyahou et la droite aux élections législatives du 17 mars.  Ni Yitzhak Herzog, ni Tzipi Livni, ne sont des leaders politiques de calibre capables de déloger Benyamin Netanyahou du pouvoir, surtout dans un Israël qui, sociologiquement, est devenu depuis le début des années 2000 un pays de droite.”

Celui qui étaye cette prédiction électorale n’est pas un militant échevelé de la droite israélienne, ni un laudateur inconditionnel de Benyamin Netanyahou, mais une ancienne figure du Parti Travailliste et de la gauche israéliens, Shlomo Ben-Ami. 

Ministre des Affaires étrangères et Ministre de la Sécurité publique dans le gouvernement travailliste dirigé par Ehoud Barak de 1999 à 2001, Shlomo Ben-Ami, qui fut Ambassadeur d’Israël en Espagne de 1987 à 1991, a été un acteur de premier plan dans les processus de négociations entre Israël et les Palestiniens. En 1991, il fut membre de la Délégation israélienne qui prit part à la Conférence de Paix de Madrid et, en 2000, il participa activement aux rondes de négociations israélo-palestiniennes aux Sommets de Camp David et de Taba, qui se déroulèrent sous les auspices du Président américain Bill Clinton.

Ce Sépharade né à Tanger, au Maroc, en 1944, qui a fait son Aliya avec sa famille en 1955, Diplômé en Histoire de l’Université de Tel-Aviv, où il fut Professeur titulaire pendant une trentaine d’années, et de l’Université d’Oxford -où il obtint son Doctorat-, est l’auteur de plusieurs livres sur l’Histoire de l’Espagne contemporaine et de deux ouvrages majeurs sur le conflit israélo-arabe: Quel avenir pour Israël? (Éditions des Presses Universitaires de France) et Scars of War Wounds of Peace. The Israeli-Arab Tragedy (Weidenfeld & Nicolson Publisher, Londres).

Shlomo Ben-Ami est actuellement Vice-Président du Centre International de Tolède pour la Paix, une Groupe de réflexion et d’analyse qui élabore des stratégies de Diplomatie parallèle explorant des pistes potentielles de solutions pour dénouer des conflits internationaux. 

Le Bloc sioniste ne fera pas mordre de la poussière à Benyamin Netanyahou et à ses alliés d’extrême droite aux législatives du 17 mars prochain parce que celui-ci ne propose pas aux Israéliens une “vraie alternative politique”, estime Shlomo Ben-Ami.

“Pour gagner ces élections, Tzipi Livni et Yitzhak Herzog doivent absolument attirer le vote des électeurs de droite. C’est pourquoi depuis le début de cette campagne électorale ils martèlent un discours légèrement de droite. Mais les électeurs israéliens qui votent traditionnellement pour la droite ne sont pas dupes. Ils préfèrent accorder de nouveau leur confiance aux leaders politiques de la “vraie” droite plutôt qu’à deux politiciens en quête désespérée de reconnaissance qui s’échinent à imiter le discours tenu par la droite ”, explique Shlomo Ben-Ami en entrevue depuis Madrid.

N’ayant pas à sa tête des “leaders politiques d’envergure”, la possibilité que le Bloc sioniste forme le prochain gouvernement israélien est “quasi nulle”, prédit cet ancien Chef de la Diplomatie israélienne.  

“Aujourd’hui, en Israël, ni la gauche, ni le centre, n’ont plus un leader crédible susceptible d’engranger la confiance d’une majorité d’Israéliens. Depuis le début des années 90, les seuls leaders politiques de centre-gauche qui ont bénéficié d’un large appui du public israélien furent feu Yitzhak Rabin et Ehoud Barak. Deux anciens Généraux de Tsahal à qui on pouvait faire entièrement confiance lorsqu’ils négociaient avec les Palestiniens. Ils n’ont jamais fait aucune concession aux Palestiniens qui pouvait mettre en danger la sécurité d’Israël.” 

Ni Tzipi Livni, ni Yitzhak Herzog, n’ont “la carrure politique ni la crédibilité nécessaires pour convaincre les Israéliens qu’ils peuvent assurer la sécurité d’Israël et parvenir à une entente politique honorable avec les Palestiniens”, dit Shlomo Ben-Ami.

“Tzipi Livni a changé quatre fois de Parti politique les trois dernières années. Aujourd’hui, elle critique avec véhémence Benyamin Netanyahou. Pourtant, il y a deux ans, quand Netanyahou forma son gouvernement, elle fut la première à se joindre à celui-ci avec enthousiasme. Quant à Yitzhak Herzog, c’est le genre de type que le Général Moshé Dayan appelait “un bon gars”, dans le sens négatif du terme!”

En ce qui a trait aux perspectives des relations entre Israël et les Palestiniens, il n’ y a “aucune possibilité” d’aboutir à un Accord de paix par le truchement de négociations directes entre les deux parties antagonistes, affirme Shlomo Ben-Ami.

“Même si la gauche israélienne la plus pure revenait au pouvoir, elle ne pourra jamais aboutir à un Accord de paix avec les Palestiniens parce qu’elle n’aura aucune latitude pour faire à ces derniers des offres de paix plus généreuses que celles qui leur ont été déjà proposées, en 2000 et 2007, par les anciens Premiers Ministre d’Israël, Ehoud Barak et Ehoud Olmert. Accorder plus aux Palestiniens, ça relèverait d’un scénario de science-fiction! Israël ne pourra jamais aller au-delà de ces propositions de paix très substantielles -restitution de 98% des Territoires occupés, partage de Jérusalem, compensation financière pour les réfugiés palestiniens… Les Palestiniens en sont bien conscients. C’est la raison pour laquelle ils ont décidé d’internationaliser le conflit qui les oppose à Israël en demandant à la Communauté internationale qu’elle reconnaisse officiellement l’État de Palestine.” 

D’après Shlomo Ben-Ami, une “Diplomatie coercitive” émanant des États-Unis et des autres grandes puissances occidentales est la “seule option” susceptible de trancher une fois pour toutes le noeud gordien de ce conflit centenaire.

“Les négociations directes entre Israéliens et Palestiniens ne donneront aucun résultat tangible. Il faut tabler sur un autre mécanisme de négociations basé sur un nouveau paradigme. Par exemple, un processus de paix international auquel participeraient les pays arabes, les États-Unis, l’Union Européenne, l’O.T.A.N… Il faudra que chacun de ces acteurs apporte de nouveaux ingrédients. Il faut sortir du cadre conventionnel des négociations directes Israël-Palestine parce que celui-ci n’aboutira à rien. Le processus de négociations entre Israël et les Palestiniens requiert une ingénierie diplomatique très complexe. Israéliens et Palestiniens négociant seuls en tête-à-tête, forget it!”

La détérioration des relations entre Israël et les États-Unis préoccupe-t-elle Shlomo Ben-Ami?

“Si Netanyahou continue à défier avec condescendance le Président Barak Obama, il est fort possible que ce dernier finisse par se réveiller et opte pour une approche diplomatique coercitive à l’égard d’Israël et de l’Autorité Palestinienne. Après tout, à deux ans de la fin de son mandat, Obama n’a plus grand-chose à perdre. Avec sa prochaine visite très controversée aux États-Unis, Netanyahou est en train de faire d’Israël, qui a toujours été l’objet d’un consensus unanime dans la classe politique américaine, un thème de polémique et de division entre Démocrates et Républicains. Dans cette déplorable affaire, Netanyahou ne se comporte pas comme le Premier Ministre d’Israël, pays qui a toujours joui d’un appui inconditionnel bipartisan dans la classe politique américaine, mais comme un fougueux Sénateur Républicain. Le jeu auquel il joue est dangereux pour Israël.”

D’après Shlomo Ben-Ami, la majorité des Palestiniens espèrent que Benyamin Netanyahou et la droite remporteront les élections législatives du 17 mars.

“Si vous étiez Palestinien, quel scénario électoral favoriseriez-vous? Certainement une victoire électorale de la droite israélienne.”

Si la gauche remportait ces élections, “en dépit du fait qu’il ne reste plus grand-chose de gauche à la gauche israélienne”, dit Shlomo Ben-Ami sur un ton narquois, l’image d’Israël auprès de la Communauté internationale s’améliorerait sensiblement; les menaces de sanctions internationales contre Israël s’atténueraient; la démarche entreprise par les Palestiniens auprès de la Communauté internationale pour qu’elle reconnaisse l’État de Palestine perdrait son sens… 

“Tant que la droite tiendra les rênes du pouvoir, les Palestiniens pourront poursuivre tous azimuts leur campagne d’internationalisation du conflit israélo-palestinien auprès de la Communauté internationale et continuer à réclamer des sanctions contre l’“État raciste, fasciste, anti-paix… d’Israël”.” 

La droite “fait parfaitement l’affaire des Palestiniens” car ces derniers veulent obtenir la reconnaissance de leur État dans les frontières de 1967 par la Communauté internationale “sans négocier quoi que ce soit et sans rien donner en contrepartie”, constate Shlomo Ben-Ami.

“La Communauté internationale n’exige absolument rien aux Palestiniens en contrepartie de la reconnaissance de leur État. Par contre, Israël n’acceptera jamais de reconnaître leur État si les Palestiniens ne font pas des concessions.”