Quand un Imam dialogue avec les Juifs et Israël

L’Imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, en compagnie du Président d’Israël, Shimon Péres.

Les islamistes veulent sa peau. Ils l’ont affublé des sobriquets l’ “Imam des Juifs”, l’“ami des Sionistes”… Bien qu’il vive sous haute protection policière 24 heures sur 24, Hassen Chalghoumi, Imam de Drancy -ville de si­nis­tre mémoire où de 1941 à 1944 des dizaines de milliers de Juifs français furent internés avant d’être déportés vers le Camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau-, n’a cure de ces critiques fielleuses. Président de la Conférence des Imams de France, Hassen Chalghoumi est résolument convaincu que le dialogue est ­l’unique voie pour rapprocher les Juifs et les Musulmans et contrecarrer les velléités macabres des islamistes radicaux.

Si Hassen Chal­ghoumi s’est recueilli au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, a été présent aux commémorations des tueries de Toulouse, a visité plusieurs fois le Camp d’Auschwitz-Birkenau en compagnie de jeunes Musulmans Français, a rencontré le Président d’Israël, Shimon Péres, a rassemblé les Imams de France au Camp de Drancy pour honorer la Mémoire des Juifs internés pendant la Deuxième Guerre mondiale dans ce lieu de la honte et de l’infamie… c’est parce qu’il croit profondément à la dignité humaine et aux valeurs fondamentales qui ­unissent les êtres humains.

“Juifs, Musulmans et Chrétiens sont confrontés aujourd’hui aux mêmes menaces lancinantes. Le fondamentalisme islamiste est une re­dou­table menace pas seulement pour les Juifs, mais aussi pour tous les Musulmans”, rappelle Hassen Chalghoumi en entrevue.

Hassen Chalghoumi est le coauteur, avec le cé­lèbre journaliste français David Pujadas, d’un ouvrage d’entretiens passionnant, Agissons avant qu’il ne soit trop tard. Islam et République (Éditions Le Cherche Midi, 2013).

Ce fervent Ambassadeur du dialogue et de la paix a évoqué au cours de l’entrevue qu’il nous a accordée ses convictions et ses combats audacieux.

Canadian Jewish News : Ce livre d’entretiens avec le journaliste David Pujadas est une mise en garde contre la montée inéluctable de l’intégrisme musulman?

Hassen Chalghoumi:  Ce livre est un bilan d’un an, depuis la sinistre Affaire Mohammed Merah. Je dénonce de­puis des années la montée d’un Islam radical, qui n’a rien à voir avec l’Islam et avec l’esprit de cette religion, telle qu’elle est pratiquée par plus de 1 milliard de Musulmans. Pour moi, le 11 mars 2012 -Jour noir de l’effroyable tuerie perpétrée par Mohammed Merah à l’entrée de l’École Ozar-HaTorah de Toulouse- est l’équivalent français du 11 septembre 2001 américain. Est-ce qu’il y a d’autres Mohammed Merah? Nous devons tous lutter contre ce fléau macabre qu’est le terrorisme islamiste. Aujourd’hui, d’après une récente enquête d’opi­nion, 74% des Français ont peur de l’Islam. Pour moi, comme pour n’importe quel croyant Musulman ou Juif, cette statistique est très choquante. C’est normal qu’on réagisse vigou­reuse­ment face à l’intégrisme islamiste.

C.J.N.: Vous avez été dernièrement l’initiateur d’une rencontre à Paris entre le Président d’Israël, Shimon Péres, et les principaux leaders spi­ri­tuels Musulmans de France. Cette initiative vous a valu de nombreux déboires dans votre Communauté.

Hassen Chalghoumi: Seule une minorité de Musulmans extrémistes m’a attaqué avec véhémence. La majorité des Musulmans de France n’étaient pas opposés à cette rencontre avec le Président israélien, Shimon Péres. Ce fut une rencontre très constructive et fort émouvante. J’ai toujours con­si­déré le Président Shimon Péres comme un homme de paix et de dialogue. Ça m’a énormément touché que le Président de l’État d’Israël ait souhaité rencontrer les Imams de France. Vingt Imams français ont participé à cette rencontre. Je lui ai dit: “Monsieur le Président, pour nous, vous êtes le grand-père d’Israël et des Israéliens”. Je lui ai dit aussi que nous étions contre l’importation en France et en Europe du conflit israélo-arabe, et que nous souhaitions plutôt expor­ter l’amitié et la paix. J’ai conclu mon intervention en lui rappelant que “si le peuple palestinien souffre, nous souffrons aussi, et si le peuple israélien souffre, nous souffrons aussi”. Ce fut un échange très fort. Shimon Péres a parlé de la nécessité impérative de mettre en oeuvre la solution de deux États, l’un israélien, l’autre palestinien, vivant côte-à-côte en paix, en dépit des grandes difficultés auxquelles les Israéliens et les Palestiniens sont confrontés aujourd’hui, de la beauté de l’Islam… Shimon Péres a fait des déclarations sincères qui m’ont ému et ont ému aussi les autres Imams présents à cette rencontre.

C.J.N.: C’est au cours de cette rencontre historique qu’a germé l’idée que des Imams israéliens se rendent en France pour rencontrer leurs coreligionnaires Français et les leaders de la Communauté juive de France.

Hassen Chalghoumi : Lors de notre rencontre avec le Président Shimon Péres, j’ai fait part de notre souhait de recevoir en France des Imams israéliens. Le Président d’Israël a accueilli très positivement cette demande. En novembre dernier, une Délégation composée d’Imams et de leaders de la Communauté musulmane de France s’est rendue en Israël et dans les Territoires palestiniens. Ce fut une visite très enrichissante. Nous souhaitions qu’il y ait une contrepartie du côté israélien. Ce projet s’est concrétisé début avril. Nous avons accueilli cinq Imams israéliens, qui ont participé à Toulouse à la cérémonie très poi­gnante soulignant le 1er anniversaire de l’abominable tuerie perpétrée par Mohammed Merah dans une École juive de Toulouse. Vecteurs d’un message pacificateur, ces Imams israéliens sont venus à Toulouse transmettre leur propre vision du conflit israélo-palestinien, loin des clichés et des idées reçues. 

C.J.N.: Selon vous, l’“unique voie réa­liste et viable” pour rapprocher les Juifs et les Musulmans et trouver une solution au conflit israélo-palestinien est celle du dialogue. Nombreux sont ceux dans la Communauté musulmane française qui vous reprochent d’être un “utopiste naïf”. Comment réagissez-vous face à cette dure critique?

Hassen Chalghoumi: Je suis un adepte inconditionnel du dialogue. Les Imams et les Rabbins peuvent jouer un rôle fondamental en promouvant le dialogue, la paix et la tolérance interreligieuse au sein de leurs Communautés respectives. Je suis résolument convaincu que prêcher la paix, l’amour et la tolérance est un acte généreux qui aura indéniablement une influence positive sur la Communauté juive et la Communauté musulmane. Ce n’est pas en affichant des positions extrêmes “proisraéliennes”, “propalestiniennes” ou “pro­arabes” que nous aiderons les Palestiniens et les Israéliens à trancher une fois pour toutes le noeud gordien de l’interminable conflit qui les oppose depuis plus d’un siècle. La seule manière d’aider ces deux peuples est de plaider ardemment  pour la paix et la vie humaine.

Grâce à un dialogue constant entre la Communauté juive et la Communauté musulmane nous parviendrons à exporter non pas la discorde et la haine mais, au contraire, l’amitié, l’amour,  la paix… On ne pourra régler le sempiternel conflit israélo-palestinien que par le truchement d’un dialogue franc et constructif. Si le Président d’Israël, Shimon Péres, tend la main aux Musulmans de France et d’ailleurs, pourquoi ne pas la lui serrer ? Je crois profondément au dialogue et au respect de l’Autre.

C.J.N.: Les Juifs de France reprochent souvent à leurs concitoyens Musulmans de ne pas dénoncer publiquement les actes antisémites commis par des jeunes Arabo-Musulmans. Ce grief est-il fondé?

Hassen Chalghoumi: Oui, mal­heu­reuse­ment. C’est une triste réalité. C’est vrai qu’il y a dans la Communauté musulmane de France une majorité silencieuse. Il faut absolument que cette majorité sorte de son mutisme pour clamer haut et fort: “Notre Islam n’est pas celui des fondamentalistes islamistes”; “Mo­ham­med Merah n’incarne pas les vraies valeurs de l’Islam”… Cette majorité silencieuse musulmane est réticente à s’exprimer publiquement parce qu’elle craint des représailles de la part des intégristes islamistes. Elle vit souvent dans un climat fortement marqué par la peur, les menaces de mort, les délations… Chose en­cou­rageante: des Imams français commencent à sortir de leur silence.

C.J.N.: Aujourd’hui, beaucoup de Musulmans sont convaincus que les Autorités publiques françaises pratiquent une “politique de deux poids deux mesures” en “perpétuant la Mémoire de la Shoah” et en “sous-estimant l’ampleur de l’islamophobie qui sévit dans la société française”. Ce parallèle identitaire vous surprend-il?

Hassen Chalghoumi: Je n’aime pas cette comparaison. Il faut rappeler que l’antisémitisme est le pur produit d’une Histoire très sombre, celle de l’Europe d’avant 1945. Pendant la Shoah, ce ne sont pas dix ou vingt Juifs qui ont été sauvagement massacrés, mais six millions d’êtres humains innocents. Cette barbarie qui décima en l’espace de trois ans une partie importante du peuple juif ne devrait laisser aucun peuple indifférent. Un jour, quelqu’un m’a demandé: “Pourquoi est-ce que vous parlez de la Shoah?” J’ai répondu: “Si je parle de cette grande tragédie, c’est parce que celle-ci protège aussi les Musulmans”. Gardons cela à l’esprit. Nous ne devons pas oublier qu’aujourd’hui, au nom de la patrie, comme ne cessent de le claironner certains partis politiques français et européens, au nom de l’identité,  au nom de la politique de la peur… les Musulmans subissent aussi les mêmes regards de travers, et parfois la même haine, que les Juifs dans les années 30 et 40. Par conséquent, parler de la Shoah et de l’antisémitisme, c’est se protéger en tant qu’êtres humains. Par contre, le terme “islamophobie” me paraît inapproprié.

C.J.N.: Pourquoi?

Hassen Chalghoumi: On pourrait alors dire aussi “chrétianophobie”! Ça n’a aucun sens. Le “racisme an­ti­musul­man” est le terme qu’il faudrait employer à la place du mot “islamophobie”. Ce racisme ne cesse de proliférer en France et en Europe. On peut dénoncer la montée du racisme antimusulman sans comparer ce fléau à l’antisémitisme. En établissant une analogie entre le racisme contre les Musulmans et l’antisémitisme, on joue le jeu très démagogique de ­l’extrême droite et des Frères Musulmans.

C.J.N.: Vous semblez être un optimiste invétéré?

Hassen Chalghoumi: Un homme de foi, qu’il soit Musulman, Juif ou Chrétien, se doit de transmettre toujours des messages positifs. Le don de l’es­poir, c’est notre religion. Tout comme le nouveau Pape, François Ier, s’es­crime à donner de l’espoir aux pauvres et au monde, en tant qu’Imam, je partage entièrement cette foi inébranlable en un monde meilleur.  Je ne cesse de rappeler à la Communauté juive qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi. Il y a des extré­mistes chez les Musulmans, mais ces derniers, qui sont une minorité, ne représentent pas l’Islam. La majorité des 1.5 milliard de Musulmans ne sont pas les ennemis des Juifs, ni d’Israël. Seul un bon voisinage entre toutes les Communautés pourra apporter la paix universelle à laquelle tous les hommes de bonne foi aspirent.

 

In an interview, Hassen Chalghoumi, the imam of Drancy, talks about the need to have ongoing Muslim-Jewish dialogue.