Le grand courage de Boualem Sansal

Boualem Sansal

Boualem Sansal est le plus grand écrivain algérien contemporain de langue française. Toute son oeuvre littéraire est un réquisitoire vitriolique contre l’islamisme et les dérives des régimes politiques arabes.

Ce brillant romancier et intellectuel Musulman a pris dernièrement une initiative très audacieuse, considérée comme un crime de lèse-majesté par le gouvernement algérien: accepter l’invitation que lui ont adres­sée les organisateurs du Salon des Écrivains de Jérusalem, un événement littéraire qui réunit chaque année les plus grands écrivains d’Israël et des écrivains renommés de plusieurs pays. Ainsi, Boualem Sansal a sé­journé pendant une semaine en Israël. Il a relaté les moments les plus marquants de son voyage, qu’il est ravi d’avoir effectué, dans un article mis en ligne dans l’Édition française du Huffington Post -24 mai 2012. Voici un extrait de cet article: 

“Voilà, je vous le dis franchement, de ce voyage je suis revenu heureux et comblé. J’ai toujours eu la conviction que faire n’était pas le plus difficile, c’est de se mettre en condition d’être prêt à commencer à le faire. La Révolution est là, dans l’idée intime qu’on est enfin prêt à bouger, à changer soi-même pour changer le monde. Le premier pas est bien plus que le dernier qui nous fait toucher le but. Je me disais aussi que la paix était avant tout une affaire d’hommes, elle est trop grave pour la laisser entre les mains des gouvernements et encore moins des partis. Eux parlent de territoires, de sécurité, d’argent, de conditions, de garanties, ils signent des papiers, font des cérémonies, hissent des drapeaux, préparent des plans B… Les hommes ne font rien de tout cela, ils font ce que font les hommes, ils vont au café, au restaurant, ils s’assoient autour du feu, se rassemblent dans un stade, se retrouvent dans un Festival, dans une plage et par­tagent de bons moments, ils mêlent leurs émotions et à la fin ils se font la promesse de se revoir. “À demain”, “À bientôt”, “L’an prochain, à Jérusalem”, dit-on. C’est ce que nous avons fait à Jérusalem. Des hommes et des femmes de plusieurs pays, des écri­vains, se sont rassemblés dans un Festival de Littérature pour parler de leurs livres, de leurs sentiments devant la douleur du monde, de choses et d’autres aussi et en particulier de ce qui met les hommes en condition de pouvoir un jour commencer à faire la paix. Et, à la fin, nous nous sommes promis de nous revoir, de nous écrire au moins…”

Ce voyage en Israël a valu à Boualem Sansal plusieurs déboires, notamment sa désinvitation à la cérémonie de remise du Prix du Roman arabe. Attribué en France, ce Prix, créé en 2008, est décerné à un écrivain d’ori­gine arabe et traduit en français dont l’oeuvre littéraire a été appréciée par un Jury composé de quinze personnes présidé par Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuelle de l’Académie Française. Boualem Sansal devait être le lauréat de l’Édition 2012 de ce Prix littéraire pour son dernier roman, Rue Darwin (Éditions Gallimard).

Depuis plusieurs années, Boualem Sansal est l’objet d’attaques virulentes de la part du gouvernement algérien et de menaces de mort proférées à son encontre par des groupes is­la­mistes.

En se rendant à Jérusalem pour rencontrer ses homologues Israéliens, notamment les grands écrivains  Amos Oz, David Grossman et Abraham B. Yehoshua, Boualem Sansal a démontré encore une fois son courage, sa détermination et sa volonté farouches de demeurer, envers et contre tout et tous, un homme libre au franc-parler truculent.

Dans son roman, Le village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller, publié en 2008 aux Éditions Gallimard, ce contempteur de l’islamisme et des nationalismes xénophobes a abordé frontalement, avec une grande perspicacité, un sujet très tabou dans le monde arabo-musulman: la Shoah.

Ce récit très poignant narre l’histoire de deux frères d’origine algérienne vivant en France, dans une banlieue parisienne où les intégristes islamistes font la loi, qui apprennent un jour avec horreur la destinée de leur père: Hans Schiller, héros du Front de Libération Nationale de l’Algérie (F.L.N.), était un officier nazi SS. Il vient de finir ses jours dans un bled du fin fond de l’Algérie, assassiné sauvagement par des islamistes…

Dès sa parution, ce roman a suscité un tollé en Algérie et dans d’autres pays arabo-musulmans.

Boualem Sansal nous avait accordé une entrevue à l’occasion de la parution du Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller. Nous l’avions joint par téléphone à son domicile, à Bourmedes, une localité située prés d’Alger -entrevue publiée dans l’Édition du Canadian Jewish News du 27 novembre 2008.

La trame centrale du Village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller est la Shoah. Qu’un écrivain Musulman aborde sans détours ce sujet toujours tabou dans les pays arabo-musulmans, n’est-ce pas une grande gageure?

“Le mot “tabou” ne convient pas. La Shoah est purement et simplement ignorée dans tous les pays arabo-musulmans, quand elle n’est pas considérée comme une invention forgée de toutes pièces par les Juifs Sionistes pour légitimer la création de l’État d’Israël. Il y a toujours eu dans les sociétés arabo-musulmanes un antisémitisme populaire et basique. Mais, depuis quelques années, avec la montée de l’islamisme et la faillite des régimes politiques arabes, l’an­ti­sémi­tisme dans les contrées arabo-musulmanes est devenu un puissant credo doctrinal, instrumentalisé à des fins politiques et idéologiques. C’est ce que fait le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Ce dernier instrumentalise l’antisémitisme d’une manière claire. Cet islamiste fougueux et obtus est peut-être le moins dangereux dans la mesure où il met les pieds dans le plat quand il claironne grossièrement que la Shoah n’est qu’une grande fable. Dans les autres pays arabo-musulmans, l’an­ti­sémi­tisme et la négation de la Shoah sont instrumentalisés de manière plus intelligente, plus vicieuse. C’est le cas en Algérie, en Égypte, en Syrie, en Arabie Saoudite…”, nous a dit Boualem Sansal au cours de l’entrevue qu’il nous a accordée.

Ces pays musulmans ne nient pas la Shoah ouverte­ment, mais ils ­agissent à travers leurs formidables réseaux internationaux qui financent une propagande foncièrement antisémite, ajoute-t-il.

“La rhétorique très judéophobe de ces gouvernements arabes est mise au service de ce que les Arabes appellent “la cause sacrée palestinienne”. Et, malheureusement, ces discours antisémites font un tabac auprès des peuples arabo-musulmans, surtout auprès des jeunes, qui ont complètement perdu leurs repères. Dans des pays où prévaut une grande misère sociale, éco­no­mique et culturelle, les discours antisémites fonctionnent très bien. Il est temps que les intellectuels Musulmans se mobilisent et dénoncent le racisme et l’antisémitisme qui prolifèrent aujourd’hui dans les sociétés arabo-musulmanes.”

Dans Le village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller, Boualem Sansal met en lumière les rapports privilégiés que les nazis ont en­tre­te­nus avec les leaders du monde arabe.

“Hitler a établi des liens très étroits avec des hauts dignitaires politiques et religieux Musulmans, notamment avec le Hadj Amine Al Husseini, Grand Mufti de Jérusalem, Hassan el Banna, le fondateur des Frères Musulmans en Égypte, et en Europe avec un certain Alya Izetbegovic, qui, cinquante ans plus tard, allait devenir le premier Président de la Bosnie-Herzégovine. Hitler à pu, grâce à l’aide de ces leaders arabes, lever des troupes dans tous les pays arabo-musulmans, qui se sont battues avec les troupes allemandes en Europe ou ont mené des actions de guérilla dans leurs pays respectifs contre les armées coloniales anti­nazies, rappelle Boualem Sansal. Dans les milieux islamistes, où on continue encore à prôner sans ambages l’annihilation d’Israël et du peuple juif, on a gardé une très grande sympathie pour l’Hitlérisme. Certains leaders arabes en sont réellement très imprégnés, à tel point qu’ils rêvent de continuer l’oeuvre d’Hitler: l’extermination des Juifs. C’est le rêve de Mahmoud Ahmadinejad et d’Oussama Ben Laden.”

D’après Boualem Sansal, l’islamisme et le nazisme sont deux idéologies semblables. Ce parallèle a grandement offusqué de nombreux intellectuels Musulmans.

“Je me sens tout à fait fondé à l’affirmer. Bon nombre d’Arabes et de Musulmans considèrent que le pa­ral­lèle que j’établis entre le nazisme et l’islamisme est caricatural, forcé et exagéré. Mais, moi qui ai vécu en Algérie l’islamisme dans ma chair, je peux vous assurer que je suis vraiment loin du compte. L’islamisme est réellement un fascisme d’une violence inouïe.  J’ai vécu l’islamisme de l’intérieur. J’ai vu de mes propres yeux comment ce fascisme abject fonctionne. Le nazisme et l’islamisme fonctionnent sur le même principe: le parti unique, la militarisation du pays, le lavage des cerveaux, la falsification de l’Histoire, l’exaltation de la race, une vision manichéenne du monde, une tendance à la victimisation, l’affirmation constante d’un complot contre la nation (Israël, l’Amérique et la France sont tour à tour cloués au pilori par le pouvoir algérien quand il est aux abois, et parfois aussi par notre voisin marocain), l’antisémitisme et la xénophobie érigés en dogmes, le culte du héros et du martyre, la glorification du Guide suprême de la Révolution, l’omniprésence de la police et de ses indics, des discours enflammés, des organisations de masses disciplinées, des grands rassemblements, de la propagande incessante…”

 

Renowned Muslim Algerian writer Boualem Sansal recently attended an international writers festival in Jerusalem, knowing he would be censured for this in his own country and the Arab world.