Les grands défis d’une union nationale

Avi Pazner

“L’Accord que le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou, a conclu avec le nouveau Chef du Parti Kadima, Shaoul Mofaz, pour constituer un gouvernement d’union nationale est tout aussi légitime et fort que si cet Accord avait été conclu après la tenue d’élections législatives”, estime l’Ambassadeur Avi Pazner, Porte-parole officiel du gouvernement d’Israël.

Ancien Conseiller de plusieurs Premiers ministres d’Israël, Président mondial émérite du Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël et ancien Ambassadeur d’Israël en France et en Italie -il a été, au début des années 90, l’architecte de la normalisation des relations diplomatiques entre l’État hébreu et le Vatican-, l’Ambassadeur Avi Pazner nous a accordé une entrevue récemment. Nous l’avons joint à son bureau à Jérusalem.

Canadian Jewish News: L’Accord pour former un gouvernement d’union nationale conclu entre Benyamin Netanyahou et Shaoul Mofaz est un vrai coup de théâtre qui a pris de court tous les Israéliens.

Avi Pazner: Absolument. Cet Accord, qui a été approuvé par les membres élus de la Knesseth par une très forte majorité, a été une grande surprise pour tous les Israéliens. Personne en Israël n’avait envisagé ce scénario politique. Cet Accord donnera au Premier mini­stre Benyamin Ne­tan­ya­hou une majorité parlementaire très confortable jusqu’à la fin du mandat de son gouvernement, à l’automne 2013: l’appui de 94 des 120 Députés de la Knesseth. Cet Accord conférera aussi à Benyamin Netanyahou plus de flexibilité et de pouvoir. Il n’y avait eu jusque-là en Israël que deux précédents à la constitution d’un gouvernement d’union nationale: en juillet 1984, lorsque le Parti Travailliste et le Likoud formèrent un gouvernement bicéphale, dirigé alternativement par les deux leaders de ces Partis, Shimon Péres et Yitzhak Shamir, et en juin 1967, à la veille de la Guerre des Six Jours.

C.J.N.: La nouvelle leader du Parti Travailliste israélien, Shelly Yacimovitch, et des observateurs avertis de la scène politique israélienne ont qualifié sans ambages l’Accord scellé entre Benya­min Netanyahou et Shaoul Mofaz de “manoeuvre politique gro­tesque et antidémocratique”.

Avi Pazner: Avant l’annonce officielle de cet Accord d’union nationale, Benyamin Netanyahou était donné largement favori dans tous les son­dages d’opinion. Ce dernier n’avait à craindre aucun rival politique re­dou­table. Benyamin Netanyahou a conclu cet Accord avec Shaoul Mofaz et le Parti Kadima parce qu’il était résolument convaincu que la majorité des Israéliens ne souhaitaient pas la tenue d’élections anticipées un an et demi avant le terme normal de la législature. Benyamin Netanyahou consi­dère que des élections anticipées seraient un gaspillage inutile de fonds pu­blics. Par ailleurs, à l’instar d’une majorité d’Israéliens, Benyamin Netanyahou estime que la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale conférera à son gouvernement une marge de manoeuvre élargie pour faire face aux grands problèmes nationaux et régionaux auxquels Israël est aujourd’hui confronté.

C.J.N.: Quels sont les Dossiers les plus prioritaires auxquels devra s’atteler le nouveau gouvernement d’union nationale d’Israël ?

Avi Pazner: Sur le plan régional, le Dossier le plus épineux est certainement celui de la menace nucléaire iranienne. Autre Dossier très prioritaire au chapitre de la politique étrangère d’Israël: les négociations avec les Palestiniens. Le gouvernement israélien suit aussi très attentivement la deuxième phase des soi-disant “Printemps arabes”, parti­cu­lière­ment les prochaines élections présidentielles en Égypte. Sur le plan intérieur, le gouvernement israélien ne risque pas non plus de chômer. Au niveau national, les Dossiers ultra-prioritaires sont: les questions éco­no­miques et sociales; l’adoption d’une nouvelle Loi qui remplacera la Loi Tal, qui prévoyait l’exemption du Service militaire ou civil pour tous les jeunes ultra-orthodoxes en âge d’être appelés sous les drapeaux; la question, en suspens depuis la création de l’État Israël, de la réforme du Système électoral israélien…

C.J.N.: En ce qui à trait à l’Iran, l’absence de consensus qui prévaut dans la classe politique et les milieux militaires et du renseignement israéliens pourrait-elle restreindre la latitude de décision du nouveau gouvernement d’union nationale dans ce Dossier capital ?

Avi Pazner: C’est tout à fait normal que sur une question aussi cruciale et sensible il y ait des points de vue divergents dans la classe politique et les cénacles militaires israéliens. Mais, force est de rappeler que c’est le gouvernement, très démocratiquement élu, d’Israël qui aura le dernier mot sur cette question très délicate.

Il est parfaitement légitime dans une démocratie que des personnalités politiques ou de l’establishment militaire expriment un point de vue sur la question iranienne divergent de celui du gouvernement. Mais, en fin de compte, c’est le gouvernement élu d’Israël qui prendra l’ultime décision.

C.J.N.: L’abrogation de la controversée Loi Tal, qui exempt les jeunes Israéliens ultra-orthodoxes de Service militaire, ne risque-t-elle pas d’envenimer davantage les différends qui opposent les Communautés ultra-orthodoxes aux principales Institutions politiques, juridiques et civiles de l’État d’Israël ?

Avi Pazner: Il y a aujourd’hui une grande anomalie dans la société israélienne. Comment se fait-il qu’environ 10% des jeunes Israéliens sont exemptés de faire leur Service militaire, ou un Service civil, et ne donnent rien en contrepartie à l’État alors que tous les autres jeunes Israéliens doivent aller servir leur pays à l’âge de 18 ans? Le public israélien n’accepte plus cette anomalie qui concerne quelque 10000 jeunes Israéliens ultra-orthodoxes qui au lieu de servir sous les drapeaux font leurs études dans les Yéchivot. Ces derniers sont exempts du Service militaire et aussi d’un quelconque Service civil, dans les hôpitaux, les Services de Police, les Services de Pompiers… Je crois que l’heure est propice pour remplacer la Loi Tal, qui a été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour suprême de Justice d’Israël. Le mo­ment est venu de substituer cette Loi contestée par une Loi plus égalitaire. Nous espérons que la nouvelle Loi qui remplacera la Loi Tal sera élaborée dans l’entente avec les mouvements ultra-orthodoxes. Cette entente est nécessaire car contraindre quelque 10000 jeunes ultra-orthodoxes à faire quelque chose que leurs Rabbins leur interdit de faire, ce ne sera sûrement pas une décision  salutaire pour Israël. C’est pour cela qu’il faut absolument arriver à une entente avec les mouvements ultra-orthodoxes. 

C.J.N.: Le processus de négociation israélo-palestinien stagne depuis plusieurs mois. La constitution d’un gouvernement d’union nationale est-elle un atout pour relancer les pourparlers avec l’Autorité Palestinienne?

Avi Pazner: Malheureusement, il y a aujourd’hui une atmosphère générale fort délétère au Moyen-Orient qui n’est pas très propice pour des négociations de paix. En dépit de cette conjoncture régionale morose, le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’a cessé de réitérer son souhait de renouer les pourparlers avec l’Autorité Palestinienne. Mais, le leadership palestinien n’ose pas reprendre les négociations parce qu’il est conscient que pour aboutir à un résultat concluant les deux parties devront faire des concessions, et pas uniquement Israël. Dans le contexte politique palestinien et régional actuel, il est très difficile pour le Président de l’Autorité Palestinienne, Abou Mazen, de s’engager sérieusement dans une négociation avec Israël. Le climat de grande instabilité qui règne dans les pays arabo-musulmans du Moyen-Orient et la montée imparable de l’islamisme dans la société palestinienne ont sensiblement érodé sa latitude d’action.

Abou Mazen est aujourd’hui l’otage des leaders du Hamas, un mouve­ment intégriste et fanatique qui continue de prôner sans la moindre gêne la destruction d’Israël. C’est pourquoi il est incapable de parvenir à un Accord avec Israël, basé évidemment sur des compromis mutuels. Or, force est de constater que le leadership palestinien actuel refuse de faire le moindre compromis pour aboutir à une paix équitable et fonctionnelle. Pour le gouvernement israélien, il sera désormais plus facile d’aller de l’avant dans les négociations avec les Palestiniens puisque Kadima est un Parti politique qui a toujours soutenu le processus de paix. L’Accord conclu avec Kadima donne au Premier ministre Benyamin Netanyahou une marge de manoeuvre plus grande pour reprendre les pourparlers avec l’Autorité Palestinienne.

C.J.N.: En Égypte, l’arrivée imminente au pouvoir des Frères Musulmans inquiète-t-elle le gouvernement israélien?

Avi Pazner: Le gouvernement israélien suit avec beaucoup d’attention l’évolution de la situation politique en Égypte, tout en s’abstenant de se mêler des Affaires politiques intérieures égyptiennes. Avant de sauter aux conclusions, nous allons attendre le résultat définitif des élections présidentielles égyptiennes. Nous espérons que le futur Président élu de l’Égypte poursuivra la politique de paix avec Israël et respectera scru­pu­leuse­ment les Accords de Camp David signés  en 1979 par Israël et ­l’Égypte. Jusqu’à maintenant, les principaux candidats à la Présidence de l’Égypte ont déclaré qu’ils maintiendraient le Traité de paix avec Israël s’ils sont élus. Nous avons toutes les raisons de croire  que les leaders politiques égyptiens comprennent très bien que la sauvegarde du Traité de paix avec Israël n’est pas seulement dans l’intérêt d’Israël mais dans l’intérêt commun des deux pays. ­L’Égypte a autant intérêt qu’Israël à maintenir et à respecter de façon pointilleuse cet Accord de paix.

 

In an interview from his office in Jerusalem, Ambassador Avi Pazner talks about the recent agreement between Prime Minister Benjamin Netanyahu and Kadima party leader Shaoul Mofaz in creating a new national unity government.