Les Marocains et le conflit israélo-palestinien

Dans la photo, de gauche à droite: Amine Dabchy, Président de l’Association judéo-musulmane marocaine Mémoires & Dialogue, le Professeur Driss Khrouz, Directeur de la Bibliothèque Nationale du Maroc, Nouzha Chekrouni, Ambassadrice du Royaume du Maroc au Canada, Charles Barchechat, Président du Comité “Conférences” de la Congrégation Or Hahayim, et le Rabbin Dr Moïse Ohana, leader spirituel de la Congrégation Or Hahayim.

Figure marquante de l’intelligentsia marocaine, Driss Khrouz, actuel Directeur de la Bibliothèque Nationale du Maroc, Institution culturelle établie à Rabat, exhorte les Marocains, Juifs et Musulmans, à se mobiliser avec entrain pour favoriser le dialogue entre Israéliens et Palestiniens.

“Pour les Marocains, Musulmans et Juifs, le conflit israélo-palestinien est un Dossier capital. En tant que Marocains, nous devons, quelle que soit notre religion, considérer que tant que ce conflit ne sera pas réglé, il va nous empoisonner l’existence. Nous devons absolument prendre position dans ce conflit, non pas pour régler celui-ci à la place des Israéliens et des Palestiniens, mais pour rapprocher les deux parties, en cherchant un juste milieu.Comment résoudre ce grave contentieux? En parlant, en le comprenant, en respectant le choix respectif des Israéliens et des Palestiniens, tout en soulignant les divergences de vues qui séparent ces derniers. Le meilleur dialogue, ce n’est pas d’essayer de convertir l’autre. Le dialogue ne peut être fructueux que lorsque notre interlocuteur est quelqu’un de différent de nous, sinon nous tomberons dans le piège de ce qu’on appelle le “choc des civilisations”. Les Marocains, Juifs et Musulmans, doivent prendre position dans ce contentieux éreintant. Parler du conflit israélo-arabe, c’est l’inscrire dans la justice de deux peuples, de deux États qui se respectent”, a dit Driss Khrouz au cours de la conférence remarquable, qui avait pour thème: “Quel avenir pour les Juifs du Maroc?”, qu’il a prononcée à la Congrégation Or Hahayim de Côte Saint-Luc.

Docteur en Économie et en Gestion, enseignant et chercheur renommé, Driss Khrouz est né en 1950 dans une famille Berbère Marocaine établie dans le petit village de Gourrama, situé dans la région de Meknès-Tafilalet.

Fort de ses Communautés juive et musulmane, le Maroc a l’auguste privilège d’avoir toujours oeuvré résolument pour rapprocher les peuples israélien et palestinien, ajouta Driss Khrouz.

“J’estime que ce que le Maroc a accompli dans le conflit israélo-palestinien pour rapprocher les deux camps adverses peut être aujourd’hui un atout majeur, notamment à une époque où il y a une carence au niveau de la diplomatie internationale, une démission par rapport à ce problème qui nous interpelle tous directement. Les Communauté sé­pha­rades d’Israël et du Maroc su­bissent les contrecoups de tout ce qui se passe en Israël et en Palestine. Nous n’avons pas le droit de laisser ces Communautés dans cette situation de détresse.”

D’après Driss Khrouz, les Palestiniens sont convaincus que les Marocains peuvent jouer “un rôle important de faiseurs de paix” dans le conflit israélo-palestinien .

“Les Palestiniens demandent à ce que les Marocains soient des intermédiaires parce qu’ils considèrent que le seul pays dans lequel il y a un passé, un présent et un avenir entre les Musulmans et les Juifs, c’est le Maroc. C’est un immense avantage que nous, Marocains, négligeons énormément. Les Marocains, Juifs et Musulmans, qui vivent dans des pays où les réseaux, proches des Nations Unies, des États-Unis, du Canada et de l’Europe, peuvent être plus efficaces sont mieux positionnés pour rapprocher les points de vue des Palestiniens et des Israéliens. À condition bien sûr de ne pas vouloir prendre position en considérant qu’un tel a raison et qu’un tel a tort.  Notre rôle n’est pas d’être un substitut des Palestiniens et des Israéliens mais de rapprocher les points de vue des deux parties.”

Driss Krouz a travaillé étroitement avec les équipes israéliennes et palestiniennes impliquées dans le Centre Shimon Péres pour la Paix. Il a eu le privilège de côtoyer des Israéliens et des Palestiniens ex-membres de Commandos militaires qui se sont fait mutuellement la guerre pendant des années. Le “travail admirable” accompli par ces ­citoyens Israéliens et Palestiniens pour dénouer une fois pour toutes le conflit qui les oppose depuis plus de soixante ans est “une source précieuse d’espoir” qui devrait endiguer le fatalisme tenace qui prévaut aujourd’hui en ce qui a trait aux perspectives futures des négociations entre Israël et les Palestiniens.

“Dans le conflit israélo-palestinien, il y a deux dossiers qui fâchent: la question des réfugiés palestiniens et la question de Jérusalem. Dans les négociations passées, Israéliens et Palestiniens ont démontré qu’ils pouvaient régler 80% des autres problèmes en suspens. Je refuse la fatalité. Dire qu’on n’a pas de solution alors qu’on a été très proche d’un Accord, c’est capituler face à l’avenir. Je fais partie de ceux qui croient qu’une solution est proche encore aujourd’hui. Quand un problème est posé de façon sereine, on doit trouver une solution. Nous, Marocains, Juifs et Musulmans, devons être les porte-voix non pas d’une solution -nous n’avons aucune solution à imposer aux Israéliens et aux Palestiniens-, mais d’un  dialogue constructif.”

Dans sa conférence, Driss Khrouz brossa une rétrospective historique très éclairante des relations entre Musulmans et Juifs au Maroc. Il évoqua les périodes de coexistence prometteuses et aussi les périodes les plus sombres qui ont jalonné ces relations depuis le début du XXème siècle.

Durant la période des questions, le Rabbin Dr Moïse Ohana, leader spi­ri­tuel de la Congrégation Or Hahayim, salua le rôle majeur que le Maroc a toujours joué pour essayer de résoudre le conflit israélo-arabe et les initiatives courageuses amorcées par le Roi Mohammed VI pour démocratiser le système politique marocain. Cependant, le Rabbin Dr Moïse Ohana fit part aussi à Driss Khrouz de son inquiétude face à un phénomène délétère qui sévit depuis quelques années dans la société marocaine: un regain d’antisémitisme.

“S’il y a quelque chose en termes de réparation à l’endroit des Juifs et du Judaïsme que le Maroc peut faire aujourd’hui, c’est d’éduquer son peuple afin de lui enseigner ce qu’est réellement le Judaïsme. Il faut abso­lu­ment que dans les manuels scolaires, les émissions de télévision et les Mosquées du Maroc on arrête de parler du Judaïsme d’une manière négative. Ce serait quelque chose de tellement noble, beau et fidèle à l’es­prit de l’Islam. Les élites marocaines devraient lutter contre ces préjugés antisémites qui prolifèrent aujourd’hui dans la société marocaine”, a dit le Rabbin Dr Moïse Ohana.

En 2008, quand il dirigeait le Cabinet du Ministre de l’Éducation nationale du Maroc, Driss Khrouz commandi­ta une enquête menée auprès de 1000 jeunes Marocains. À la question “Si vous deviez choisir comme camarade de classe un Juif Marocain ou un Iranien Musulman, qui choisiriez-vous?”, 80% des jeunes interrogés répondirent sans hésiter : “un Iranien Musulman”.

“Le résultat de cette enquête d’opinion est inquiétant, admit Driss Khrouz. C’est la preuve que les élites intellectuelles en charge de l’Éducation qui sont arrivées au pouvoir au milieu des années 70 ont oublié que le fondement de toute société c’est la Culture et l’Histoire. Une autre enquête d’opinion menée dernièrement auprès d’un échantillon représentatif de la population marocaine nous a fait prendre conscience que les Marocains, dont 65% pratiquent officiellement l’Islam, connaissent très mal cette religion. Donc, si les Marocains méconnaissent le Coran, comment voulez-vous qu’ils connaissent la Torah et le Talmud!”

Entre 2000 et 2002, quand Driss Khrouz était responsable du Cabinet du Ministre de l’Éducation nationale du Maroc, il a demandé aux inspecteurs de l’Enseignement de faire une étude sur les manuels scolaires utilisés pour enseigner les matières qui portent les valeurs humaines: étude de la religion, de la philosophie, de la langue arabe…

“Nous nous sommes alors rendu compte de quelque chose qui personnellement me pose un grave problème. Au Maroc, depuis 1963, les jeunes étudient avec des manuels scolaires conçus par des Harbalith, c’est-à-dire des intégristes Musulmans. Les Marocains Musulmans ne cessent de clamer qu’ils sont Malikites et Sunnites. Or, à l’école, on n’enseigne pas à nos enfants ni le ma­li­kisme ni le sunnisme. Nous leur enseignons des rites opposés. Au début de son Indépendance, le Maroc recruta des professeurs d’arabe en Syrie, en Égypte, en Palestine… Ces pays nous ont envoyé un cadeau: les Frères Musulmans!”

Nonobstant, Driss Khrouz envi­sage l’avenir avec optimisme. Selon lui, les choses évoluent lentement mais dans la bonne direction. “Il y a quelques îlots de progrès que nous ne devons pas sous-estimer”, constate-t-il.

Le Maroc a amorcé des réformes profondes de son système scolaire; les Programmes scolaires sont en train d’être revus; le Maroc soutient le Projet éducatif Aladin, parrainé par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de France, qui a pour objectif d’éduquer le monde arabo-musulman à la Shoah -“N’en déplaise à l’Iran, pour le Maroc, la Shoah est un fait historique irréfutable que personne n’a le droit de nier. Nous avons reçu les responsables du Projet Aladin à la Bibliothèque Nationale du Maroc à Rabat”, a rappelé Driss Khrouz-;  les lieux saints juifs du Maroc sont respectés et visités par les Juifs et les Musulmans; l’Institution chargée de former les futurs Théologiens -Oulémas- Marocains enseigne l’Histoire des religions comparées.  Des Rabbins enseignent en hébreu la Torah et le Talmud à ces futurs Oulémas et des Prélats catholiques leur enseignent en français les Évangiles…

“Il faut donner du temps au temps. Les résultats de ce qui est fait aujourd’hui ne se verront que dans 15 ou 20 ans. C’est un effet de génération. On ne peut pas changer radicalement du jour au lendemain un système d’édu­cation sclérosé. Ceux qui ont connu le Judaïsme marocain, comme notre génération ou celle de nos parents, considèrent que nous devons transmettre le flambeau à nos enfants par le biais de l’Éducation, de la musique, des voyages… Nous devons combattre toutes les hypothèques qui nous empêchent de travailler ensemble pour envi­sa­ger l’avenir avec confiance. N’oublions jamais que nous, Marocains, avons une caractéristique commune: pour moi, être Marocain, c’est être Juif, Musulman, Berbère, Arabe… Cette Identité multiple est un privilège inouï, surtout en ces temps de globalisation culturelle débridée.”

La conférence de Driss Khrouz a été organisée par la Congrégation Or Hahayim en collaboration avec la Communauté sépharade unifiée du Québec et l’Association marocaine judéo-musulmane Mémoires & Dialogue. Charles Barchechat, Président du Comité “Conférences” de la Congrégation Or Hahayim, fut le modérateur de cette conférence.

Nouzha Chekrouni, Ambassadrice du Royaume du Maroc au Canada, Zoubair Hakam, Consul général du Royaume du Maroc au Canada, et Amine Dabchy, Président de l’Association marocaine Mémoires & Dialogue, ont assisté à la conférence de Driss Khrouz.

Driss Khrouz, director of the national library of Morocco in Rabat, spoke recently at Congrégation Or Hahayim in Côte Saint-Luc about the role Morocco could play in trying to help Israel and the Palestinians reach a peace agreement.