‘‘J Call’ est un Appel partial et partisan’

“Ne nous leurrons pas! “J Call” est une émanation de “J Street”, qui est une émanation de Barack Obama, même si le message martelé par ce mouvement militant juif américain est relayé d’une manière un peu sinueuse”, affirme en entrevue l’universitaire français Raphaël Draï, co-initiateur, avec le sociologue Shmuel Trigano, du contre-Appel -“Raison ­Garder”- à l’“Appel à la Raison”, lancé récemment par un groupe d’intellectuels Juifs européens pour exhor­ter le gouvernement de Benyamin Netanyahou à mettre fin à l’occupation des Territoires palestiniens.

Le contre-Appel “Raison Garder” vise à “rétablir les assertions déséquilibrées dans le contenu de l’“Appel à la Raison” et créer un mouvement d’opi­nion véritablement médiateur au sein de l’Union Européenne en se proposant de défendre et d’illustrer la légitimité de l’État d’Israël dans le cadre d’une véritable paix et de lutter contre l’an­ti­sémi­tisme qui s’y déve­loppe dangereusement”.

Professeur de Science Politique et de Droit à l’Université d’Aix-en-Provence et de Psychanalyse à l’Université de Paris VII, Raphaël Draï nous explique les principaux objectifs du contre-Appel “Raison Garder”.

Canadian Jewish News: Votre contre-Appel est une réplique cinglante à l’“Appel à la Raison”.

Raphaël Draï: Moi et Shmuel Trigano avons découvert l’“Appel à la Raison” sur Internet, tout à fait par hasard. Nous avons été très étonnés que cet Appel, qui est un Appel à la paix, ne nous ait pas été soumis, comme si nous étions des colleurs d’affiches du Front National ou des universitaires catalogués comme “ennemis de la paix”. Ça nous a paru assez étrange comme démarche. Cet Appel recèle plusieurs incongruités. D’abord, celui-ci est placé sous l’égide exclusif de personnalités et d’intellectuels Juifs. Ce n’est pas un gage d’objectivité. Par ailleurs, nous esti­mons que les thèses étayées dans cet Appel sont partiales, partielles et très partisanes. Il y a plusieurs points qui nous ont fait réagir. Le premier: il est manifeste que l’imputation du blocage du processus de paix uniquement à Israël est une assertion fallacieuse. Le second point que nous récusons: utiliser des vocables comme “occupation”, “colonies”, “dépossession”… c’est reprendre à très bon compte toute la terminologie ressassée par les détracteurs d’Israël.  

On peut avoir un point de vue tout à fait divergent sur la question de construire ou ne pas construire de nouvelles unités de logements à Jérusalem, mais taxer immédiatement de “colonisation” toute construction d’habitations à Jéru­sa­lem, c’est une position très partisane. Nous avons été aussi très choqués par la formulation, en apparence équilibrée, de “deux États, l’un israélien, l’autre palestinien, cohabitant côte à côte”, qui en réalité implique une séparation étanche des populations israélienne et palestinienne. En tout cas, ce postulat ethnique ne peut s’appliquer qu’à la partie palestinienne parce qu’en Israël, il y a plus de 1.5 millions d’Arabo-Musulmans qui sont cito­yens Israéliens.

Et, ce qui nous a paru aussi tout à fait inacceptable dans cet “Appel à la Raison”, c’est la qualification de la politique du gouvernement israélien de “faute morale”. Moi, je suis juriste. Or, je sais qu’en Droit, pour juger, il faut être habilité à le faire. Le terme “faute morale d’Israël” est une terminologie abjecte qui reprend toute la phraséologie de l’antisionisme banal. C’est un peu excessif de la part de personnalités et d’intellectuels Juifs se réclamant de leur attachement à Israël.

C.J.N.: L’“Appel à la Raison” exhorte le gouvernement de Barack Obama et l’Union Européenne à“exercer des pressions” sur les Israéliens et les Palestiniens. Cette requête vous a grandement offusqué.

Raphaël Draï: L’Appel à exercer des pressions sur les Israéliens et les Palestiniens nous laisse aussi très dubitatifs. Jusqu’à présent, aucune pression n’a été exercée sur la partie palestinienne, pour cause, puisque les Palestiniens sont absolument persuadés que Barack Obama fait leur politique. C’est un problème qu’il va falloir mettre en évidence parce que cet “Appel à la Raison” ne questionne pas la politique de Barack Obama au Moyen-Orient. Or, comme politologue et spécialiste des Relations internationales, je crois que pour saisir la dynamique actuelle très défaillante du processus de négociation israélo-palestinien, il est impératif de décrypter la politique moyen-orientale de l’actuel président des États-Unis. Barack Obama est animé par un pacifisme de campus, pour dire les choses à minima. Ce sont ses déclarations tout à fait unilatérales sur la manière dont il faut régler le pro­blème israélo-palestinien qui ont braqué les deux parties, pour des raisons complètement opposées. Le terme “exercer des pressions” sur une démocratie, en l’occurrence l’État d’Israël, nous paraît inadmissible et unilatéral. Israël est une démocratie vigoureuse, c’est un État souverain.

C.J.N.: Pour les initiateurs du contre-Appel “Raison ­Garder”, l“Appel à la Raison” est avant tout une charge vitriolique ­contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou.

Raphaël Draï: Ce n’est pas honteux de faire de la politique, mais il ne faut pas en faire sous couvert de la morale. Le der­nier alinéa de cet “Appel à la Raison” est une attaque en règle contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Moi, je ne suis membre d’aucun parti politique israélien, ni du Likoud, ni du Maarah, ni du Meretz… mais je considère que le gouvernement d’Israël actuellement au pouvoir est issu d’élections tout à fait légales et démocratiques. Le gouvernement de Netanyahou ne fait pas un pas sans être sous l’éclairage très vivace, et souvent très violent, de l’Opposition à la Knesseth et sous le contrôle de la Cour suprême d’Israël. Quand on est démocrate, il faut respecter l’État de droit. C’est pourquoi la démarche des initiateurs de l’“Appel à la Raison” nous paraît inadmissible et profondément déloyale. Nous avons lancé ce contre-Appel pour qu’un débat de fond ait lieu car nous estimons qu’il s’agit d’une querelle d’idées et de famille qu’il faut absolument ­vider.

 C.J.N.: Vous reprochez aussi aux promoteurs de l’“Appel à la Raison” de ne blâmer qu’Israël et d’absoudre les parties palestinienne et arabe.

Raphaël Draï: Le texte de l’“Appel à la Raison” ne mentionne jamais l’Iran d’Ahmadinejad, dont les velléités génocidaires de l’État d’Israël sont très patentes, ni le  Hezbollah, ni le Hamas. Comme si les négociations de paix ne dépendaient que des Israéliens et des Palestiniens. C’est un vision d’un simplisme effarant. On sait très bien que l’axe stratégique n’est pas celui-là, surtout à un moment où le Hamas essaye par tous les moyens de prendre aussi le pouvoir en Cisjordanie.

Les initiateurs et les signataires de “J Call” et “J Street” -ne nous leurrons pas! “J Call” est une émanation de “J Street”, qui est une émanation de Barack Obama, même si le message martelé par ce mouvement militant juif américain est relayé d’une manière un peu sinueuse- ont laissé entendre aux opinions pu­bliques et aux médias européens que leur voix et leur thèse étaient prédominantes et les seules susceptibles de paver la voie à une paix équitable entre Israéliens et Palestiniens.  Leur tentative de coup de force médiatique est choquante. C’est pourquoi cet “Appel à la Raison” nous a paru totalement déloyal et abusif. On ne dit pas qu’il ne faut pas tenir compte de la thèse défendue par les hérauts de cet Appel, nous disons simplement qu’il y a aussi une autre thèse, à nos yeux beaucoup plus importante: celle explicitée dans notre contre-Appel.

C.J.N.: Combien de signatures votre contre-Appel a-t-il déjà recueillies?

Raphaël Draï: Ce contre-Appel nous l’avons mis en ligne sur le Net sans que ça nous côute un seul euro. Une dépêche de l’Agence France Presse -A.F.P.- a laissé entendre que les initiateurs du contre-Appel “Raison Garder” sont manipulés par des Israéliens et subventionnés par le Patronat juif français. Vous voyez dans quelle mentalité on évolue aujourd’hui en France! Notre contre-Appel a été diffusé en français, en anglais, en hébreu, en allemand et bientôt en italien. En ce qui a trait au score, il dépasse largement celui de l’“Appel à la Raison”. Notre but était de valider l’analyse développée dans ce contre-Appel non pas auprès d’un groupe d’intellectuels autoproclamés, mais auprès des sociétés civiles juive et non-juive européennes. Le résultat a dépassé largement nos prédictions: nous avons déjà recueilli plus de 9000 signatures.

Des citoyens Juifs et non-Juifs de plusieurs pays non-européens -Canada, Mexique, Venezuela, Brésil… ont aussi signé notre contre-Appel. Parmi les signataires: toutes les ­tranches d’âge, classes sociales et professions sont représentées: ingénieurs, médecins, avocats, camionneurs, ouvriers, agriculteurs, retraités…  L’Appel “Raison Garder” est une initiative citoyenne qui n’est parrainée, ni soutenue, par aucun parti politique ou regroupement partisan. Le succès que connaît notre contre-Appel est la preuve éloquente que les thèses défendues par l’“Appel à la Raison” ne sont pas dominantes.

C.J.N.: Vous avez donc bon espoir que la thèse colportée par le contre-Appel “Raison Garder” ait un large écho en Europe et au-delà des frontières du Vieux Continent?

Raphaël Draï: L’un des principaux objectifs des initiateurs de l’“Appel à la Raison” était de faire essaimer “J Street” en Israël et en Europe. Je crois qu’en Europe, ça n’a pas marché. Par contre, le contre-Appel “Raison Garder” a été largement diffusé en Europe, aux États-Unis et au Canada. Des intellectuels non-Juifs européens renommés, tels que le politologue Pierre-André Taguieff, la démographe Michèle Tribalat… appuient notre mouvement. Des Musulmans ont aussi signé ce contre-Appel. Je ne pense pas qu’un philosophe quel qu’il soit et quelle que soit sa notoriété ait un jugement beaucoup plus sûr et plus perspicace que celui d’un médecin qui commence sa consultation à 9h du matin et la finit à 9 h du soir. Les signa­taires du contre-Appel “Raison Garder” ne sont pas des excités ni des va-t-en-guerre, ce sont des citoyens qui ont une famille, une profession, et qui savent exercer leur jugement. C’est pourquoi il faut prendre notre mouvement très au sérieux. C’est un courant social très profond.

French political science and law professor Raphaël Draï presents the views expressed in “Raison Garder,” the European counter-appeal that responds to JCall’s “Appeal to Reason.”