Radio-Canada et le conflit israélo-palestinien

Alain Saulnier, David Ouellette

Au cours de l’année 2011, les critiques à l’endroit de Radio-Canada sur sa couverture du conflit israélo-palestinien n’ont cessé de croître. Le Centre Consultatif des Relations Juives et Israéliennes (C.I.J.A.), Instance représentative officielle des Juifs du Canada pour toutes les questions concernant Israël, a déposé à ce sujet plusieurs plaintes officielles auprès de l’Ombudsman de Radio-Canada.

Au cours d’une entrevue qu’il a récemment accordée au Canadian Jewish News, Alain Saulnier, Directeur général de l’Information des Services français de Radio-Canada, a récusé vigoureusement les griefs de “manque de rigueur”, d’“absence d’équilibre” et de “partialité” émis par le C.I.J.A. à l’endroit de Radio-Canada.

Voici deux points de vue antinomiques sur cette question épineuse: celui de David Ouellette, Directeur associé, Responsable des Affaires publiques (Québec), au C.I.J.A., et celui d’Alain Saulnier. Nous avons interviewé David Ouellette et Alain Saulnier séparément.

Canadian Jewish News: Les griefs émis par le C.I.J.A. à l’encontre de Radio-Canada sont-ils fondés?

David Ouellette: Que les choses soient claires: le C.I.J.A. n’est pas en guerre contre Radio-Canada. Mais cette Institution publique se fixe des Normes journalistiques qu’elle bafoue systématiquement dès qu’il s’agit d’Israël. En ce qui concerne la couverture du conflit israélo-pa­lestinien, Radio-Canada fait un travail absolument incompétent. Si ce n’est pas un biais anti-israélien, grief que Radio-Canada rejette catégoriquement, alors c’est de l’incompétence journalistique. À notre avis, dès qu’il s’agit d’Israël, à Radio-Canada, il y a un biais anti-israélien et de l’incompétence. Le C.I.J.A. s’emploie à analyser avec rigueur et objectivité les reportages consacrés à Israël et au conflit israélo-palestinien diffusés à la Télévision et à la Radio de Radio-Canada. Nous vérifions si les informations rapportées dans ces reportages respectent les Normes journalistiques en vigueur à Radio-Canada. C’est-à-dire: si ces informations sont exactes et équilibrées. Nous avons constaté que ces informations sont rarement exactes et parfois même carrément contraires aux informations diffusées par d’autres grands médias. Le C.I.J.A. n’a pas l’intention de faire taire les critiques formulées contre Israël. Ce que nous relevons tout simplement dans la couverture du conflit israélo-palestinien de Radio-Canada, c’est une inexactitude dans les informations rapportées et un manque flagrant d’équi­libre et d’impartialité.

C.J.N.: Quels types de plaintes avez-vous soumises à l’Ombudsman de Radio-Canada?

David Ouellette: Depuis 2008, nous avons soumis une dizaine de plaintes à l’Ombudsman de Radio-Canada. Dans la majorité de ces plaintes, ce dernier a conclu que des journalistes avaient enfreint dans leurs reportages les Normes et Pratiques journa­li­stiques en vigueur à Radio-Canada.

Par exemple, en réponse à notre plainte sur deux reportages de la correspondante de Radio-Canada au Moyen-Orient, Ginette Lamarche, sur des manifestations palestiniennes et une tentative d’infiltration d’Israël par des Palestiniens de Syrie, diffusés le 5 juin 2011, l’Ombudsman de Radio-Canada, Pierre Tourangeau, a établi que ces deux reportages contrevenaient aux principes d’exactitude et d’impartialité stipulés dans les Normes journalistiques de Radio-Canada. Le 7 juillet 2011, Radio-Canada a reconnu que la journaliste Ginette Lamarche avait admis que la paraphrase d’un colon Israélien du Golan qu’elle a interviewé dans le cadre d’un reportage n’était pas fidèle aux propos tenus par celui-ci et qu’il existait une “différence significative” entre les propos imputés et les propos cités. En dépit du fait que l’Ombudsman de Radio-Canada a conclu dans sa révision que “la paraphrase des propos d’une personne interviewée ne respectait pas la valeur d’exactitude, telle que définie dans les Normes et Pratiques journalistiques de Radio-Canada”, aucune correction ou mise au point ne fut apportée. Il aura fallu une nouvelle intervention du C.I.J.A. pour que Radio-Canada accepte de faire une mise au point. Cette dernière révision de l’Ombudsman de Radio-Canada démontre qu’entre les 5 et 7 juin 2011 la correspondante de Radio-Canada au Moyen-Orient n’a pas respecté le principe d’exactitude à trois reprises et a enfreint le principe d’impartialité, deux valeurs cardinales inscrites dans les Normes journalistiques de Radio-Canada.

Un autre exemple: dans une décision rendue le 21 novembre 2011, l’Ombudsman de Radio-Canada a conclu que “l’utilisation à l’Émission 24 heures en 60 minutes d’une carte géographique erronée, confuse et incomplète présentant l’évolution des Territoires israélien et palestinien de 1945 à 2000, dont la source n’était pas identifiée, n’a pas respecté le principe d’exactitude, une des cinq valeurs à la base des Normes et Pratiques journalistiques de Radio-Canada”…

C.J.N.: On a l’impression que le C.I.J.A. focalise ses critiques uniquement sur Radio-Canada alors qu’on sait pertinemment que d’autres médias francophones québécois n’excellent pas non plus dans leur couverture journa­listique du conflit israélo-palestinien.

David Ouellette: Le C.I.J.A. prête une attention particulière à Radio-Canada parce que cette Institution est un grand Réseau d’Information natio­nal et une Société d’État financée avec les taxes payées par les contribuables Québécois et Canadiens. Dans l’univers des médias québécois, il n’y a que Radio-Canada qui a un Ombudsman dans ses Bureaux, des Normes et des Pratiques journalistiques qui lui sont propres et un correspondant permanent au Moyen-Orient. Nous avons donc le droit de demander que Radio-Canada soit un média d’excellence, qui devrait pratiquer un journalisme exemplaire en ce qui concerne Israël, le conflit israélo-palestinien et le Proche-Orient. Malheureusement, c’est loin d’être le cas.

Nous sommes conscients que l’objectivité ça ­n’existe pas. Mais en ce qui a trait au conflit israélo-palestinien, Radio-Canada devrait être capable de faire un travail équilibré, impartial et fouillé. Par ailleurs, Radio-Canada est une source de référence incontournable pour les autres journa­listes Québécois. Si Radio-Canada travaille mal, ça se reflète dans le travail effectué par les journalistes des autres médias québécois, qui sont très influencés par ce qu’ils voient et entendent à Radio-Canada.

C.J.N.: Mais après avoir reconnu qu’une ou des erreurs ont été commises dans un reportage, Radio-Canada ne prend-elle pas les dispositions nécessaires pour apporter des correctifs?

David Ouellette: Quand l’Ombudsman de Radio-Canada reconnaît qu’il y a eu une ou des erreurs dans un reportage, un rectificatif, écrit en caractère gris sur fond blanc, est apporté en bas d’une Page du Site Web de Radio-Canada. Il faut vraiment faire un effort pour repérer la correction en question.

C.J.N.: Donc, d’après le C.I.J.A., Radio-Canada ne prend pas les mesures re­quises pour corriger ces erreurs?

David Ouellette: La Direction de l’Information de Radio-Canada peine à solutionner ce problème. L’Ombudsman de Radio-Canada, Pierre Tourangeau, qui fait un travail fort sérieux, a une latitude d’action assez restreinte. Son mandat se limite à analyser les plaintes et à faire des recommandations. Ensuite, c’est à la Direction de l’Information de Radio-Canada de décider comment elle compte rectifier les erreurs soulignées par l’Ombudsman. Nous n’avons pas encore vu des grandes corrections ni des changements majeurs dans la manière dont les journalistes de Radio-Canada couvrent le conflit israélo-palestinien et l’actualité du Proche-Orient. Au contraire, les choses n’ont fait que s’empirer. C’est ça qui est très frustrant. On pourrait soumettre une plainte presque pour chaque reportage que Radio-Canada fait sur Israël. L’Ombudsman de Radio-Canada ne cesse de nous donner raison en reconnaissant que des journalistes de cette Institution ont erré ici ou là. Mais, concrètement, on ne constate aucune amélioration.

C.J.N.: Comment réagissez-vous face aux griefs formulés à l’endroit de Radio-Canada par le C.I.J.A.?

Alain Saulnier: Mon impression générale est que Radio-Canada fait partie des médias importants et prestigieux, tels que The New York Times, Le Monde, B.B.C.… qui sont régulièrement l’objet de critiques pour leur couverture du conflit israélo-palestinien et de l’actualité au Moyen-Orient. Mais la bonne nouvelle pour tout le monde, c’est qu’à Radio-Canada, que ce soit pour le Dossier israélo-palestinien ou pour n’importe quel autre Dossier, nous accueillons très positivement toutes les critiques qui nous sont adressées parce que celles-ci nous permettent de voir s’il n’y a pas lieu d’apporter des corrections.

Notre Ombudsman, Pierre Tourangeau, analyse très rigoureusement toutes les plaintes qu’il reçoit et fournit une réponse très étoffée au plaignant. Si ce dernier est insa­tisfait de cette réponse, il peut en appeler de cette décision à l’Ombudsman. À Radio-Canada, le pro­ces­sus des plaintes, qui n’existe pas dans les autres médias franco­phones du Québec et du Canada, est d’une grande transparence et simplicité. Toutes les plaintes que l’Ombudsman reçoit sont traitées très sérieuse­ment et très rigoureusement. Vous avez ma parole là-dessus.

C.J.N.: Les dirigeants du C.I.J.A. considèrent qu’il s’agit d’un “problème” auquel Radio-Canada doit impérativement s’attaquer. Partagez-vous ce point de vue?

Alain Saulnier: Très sincèrement, je ne vois aucun “problème”. Dans le Dossier très important qu’est celui de la couverture journalistique du conflit israélo-palestinien,  il n’y a pas de malice ni de mauvaise foi de qui que ce soit. C’est important de le souligner. Il n’y a personne qui est malhonnête dans ce Dossier majeur qui attire le regard critique de plu­sieurs groupes qui cohabitent dans la société québécoise. À Radio-Canada, l’importance du Dossier israélo-palestinien nous contraint à travailler tout le temps de façon encore plus sérieuse et plus pointilleuse.

C.J.N.: Le C.I.J.A. estime que les correctifs apportés sur une Page du Site Web de Radio-Canada sont insuf­fi­sants pour redresser une erreur.

Alain Saulnier: Sur cette question, je ne peux être qu’en désaccord avec M. David Ouellette et les dirigeants du C.I.J.A. Nous vivons à une époque où l’Information multi­plateformes bat son plein. Désormais, les Sites Internet font partie intégrante de notre vie quotidienne. Le Site Web de Radio-Canada est l’un des plus lus et consultés par les Internautes francophones Québécois et Canadiens. Je ne voudrais surtout pas mépriser ni sous-estimer le travail d’Information remarquable qui est accompli par les journalistes oeuvrant pour ce Site Web. Je peux vous assurer que les rectificatifs mis en ligne dans le Site Web de Radio-Canada ne passent pas inaperçus.

C.J.N.: Le C.I.J.A. reproche aussi à Radio-Canada un manque patent d’“équilibre” dans sa couverture du conflit israélo-palestinien.

Alain Saulnier: À Radio-Canada, les notions fondamentales d’“équité” et d’“équilibre”, qui font partie de nos Normes journalistiques,  sont une préoccupation constante. Mais c’est l’actualité qui nous dicte parfois l’angle de traitement que nous devons privilégier dans un repor­tage ou une émission. Donc, l’“équilibre”, on ne doit pas le chercher à toutes les heures et dans toutes les circon­stances dans toutes nos émissions. J’invite toujours le public à réaliser que la notion d’“équilibre” ne doit pas se refléter que dans une seule émission mais dans l’ensemble de nos programmes. Il peut y avoir une émission qui privilégiera un angle de traitement X alors que d’autres émissions privilégieront un angle de traitement Y. On ne veut pas uniformiser les contenus de nos émissions. Il y a aussi des émissions, en l’occurrence nos tribunes télé­pho­niques, qui se prêtent davantage à la diversité des points de vue.

C.J.N.: Comment Radio-Canada met-elle en oeuvre les recommandations formulées par son Ombudsman?

Alain Saulnier: À Radio-Canada, nous avons le grand privi­lège d’avoir comme Ombudsman un grand professionnel de l’Information, le journaliste Pierre Tourangeau, dont le travail a toujours été très rigoureux. Ce dernier a fait partie de mon Équipe de cadres. Ce qui devrait rassurer le public. On fait notre travail selon les Règles établies, c’est-à-dire de façon très sérieuse. Dès qu’une décision est rendue par l’Ombudsman, je m’assure personnellement que les recommandations inhérentes à celle-ci soient immédiatement transmises au, ou à la, journaliste concerné(e) par la plainte en question de même qu’au Rédacteur en chef interpellé par ce grief. Toutes les deux semaines, j’ai une réunion de travail avec tous les Rédacteurs en chef. Le Dossier relatif aux plaintes et aux décisions rendues par l’Ombudsman est abordé à chacune de ces réunions. Nous pre­nons ensuite les mesures nécessaires pour que les erreurs relevées par l’Ombudsman ne se reproduisent plus. Chose certaine, à Radio-Canada,  nous recherchons constamment l’“équilibre” et la plus grande rigueur journalistique. S’il y a eu des maladresses ou des erreurs, on les reconnaît et on les corrige grâce à un processus qui est public et très transparent. Ne cherchons pas de la malhonnêteté là où il n’y en a jamais eue.

In separate interviews, David Ouellette, associate director for Quebec public affairs at the Centre for Israel and Jewish Affairs, and Alain Saulnier, Radio-Canada’s executive director of news and current affairs, French services, discuss Radio-Canada’ coverage of the Middle East.