Une Charte des valeurs très controversée

Gérard Bouchard

Le très controversé Projet de Charte des valeurs québécoises va profondément diviser les Québécois, estime une figure marquante des scènes publique et intellectuelle québécoises, le réputé universitaire et sociologue Gérard Bouchard, qui a coprésidé en 2007, avec l’universitaire anglophone Charles Taylor, la Commission sur les pratiques d’Accommodement reliées aux différences culturelles mise sur pied par le Gouvernement libéral dirigé alors par Jean Charest.

Universitaire de renommée internationale -il a été plusieurs fois professeur invité à l’Université Harvard et dans d’autres Universités américaines et européennes très prestigieuses-, spécia­liste reconnu des questions interculturelles, auteur de plusieurs ouvrages majeurs sur les questions rela­tives au multiculturalisme et aux relations interculturelles, Gérard Bouchard, qui est un souverainiste invétéré, n’a pas hésité à monter au créneau pour fustiger le Projet de Charte des valeurs québécoises concocté par le Ministre du Gouvernement péquiste de Pauline Marois, Bernard Drainville.

D’après ce sociologue, l’adoption de cette Charte identitaire, qui interdira le port de signes religieux dans la fonction publique, “va donner lieu à des échanges pénibles, qui vont diviser les Québécois, les dresser les uns contre les autres. On va se faire mal. Pour en arri­ver à un résultat très incertain” -déclaration de Gérard Bouchard faite au journal La Presse, édition du 11 septembre 2013.

Son confrère Charles Taylor abonde aussi dans le même sens. D’après ce philosophe, professeur émérite de l’Université McGill, le message envoyé par cette Charte est un sévère camouflet pour les nouveaux immigrants.

“Le message est clair: si vous pratiquez ce genre de religion, ne venez pas vivre au Québec. Et pour ceux qui sont venus sans savoir que ça allait arriver, ça va être encore pire. Ils se sentiront comme des citoyens de seconde zone. Pour moi, c’est inacceptable… La société québécoise risque d’en sortir profondément divisée” -déclaration faite par Charles Taylor au journal La Presse, édition du 11 septembre 2013.

À l’automne 2012, à l’occasion de la publication de son essai L’interculturalisme. Un point de vue québécois (Éditions du Boréal), nous avons interviewé Gérard Bouchard -entrevue publiée dans l’édition du Canadian Jewish News du 4 décembre 2012.  Il nous avait alors livré ses réflexions et analyses sur des questions très épineuses qui ont refait surface depuis l’annonce du controversé Projet de Charte des valeurs québécoises mis en branle par le Gouvernement du Parti Québécois dirigé par Pauline Marois.

Voici le point de vue de Gérard Bouchard sur la sulfureuse question du port de signes ostensibles dans l’es­pace public québécois. Des ré­flexions qui demeurent d’une brû­lante actualité au moment où le débat houleux sur l’éventuelle adoption de cette Charte élaborée par le Gouvernement péquiste est en train de diviser les Québécois en créant un fossé entre les Québécois francophones de souche et les autres membres de la société québécoise.

C.J.N.: Quelle est votre position en ce qui a trait au port de signes religieux distinctifs dans l’espace public québécois?

Gérard Bouchard: Je pense qu’il faut permettre le port de signes religieux sauf si ce cas de figure crée des pro­blèmes, va à l’encontre de principes fondamentaux ou gêne le fonctionnement de certaines Institutions pu­bliques. Dans ces cas-là, il faut établir des exceptions. Autrement, l’orientation générale doit être de permettre le port de signes religieux à toutes les personnes pour qui ces signes sont indissociables de leur foi. On ne peut pas demander à un Sikh de se faire couper les cheveux!

C.J.N.: Quel est votre position sur le port du hijab islamique?

Gérard Bouchard: Je crois qu’il y a des Musulmanes pour qui le hijab est indissociable de leur foi. Dans ce cas-là, il faut leur permettre de porter le hijab. Il est vrai aussi que le hijab peut être un signe d’oppression de la femme. Il y a des Musulmanes qui portent le hijab non pas par choix mais parce qu’elles y sont contraintes. Ça c’est une situation difficile à accepter parce qu’il s’agit là d’une infériorisation de la femme, qui va à l’encontre d’une valeur fondamentale de la société québécoise. Quelle est la meilleure façon de lutter contre ce phénomène social pernicieux? Interdire le port du hijab à toutes les Musulmanes? À mon avis, ce serait une injustice à l’endroit des Musulmanes pour qui le port du hijab est un libre choix. Je ne suis pas sûr qu’en interdisant le port du hijab on aidera les Musulmanes qui arborent ce foulard par contrainte. Ces femmes soumises à un régime d’oppression familiale pourraient même encourir des représailles de la part de leurs proches pour s’être soustraites durant le jour au port du foulard islamique.

Supprimer de force ce que l’on tient pour un symbole d’oppression ne changerait rien à la réalité des rapports sociaux à l’origine de cette oppression. Il faut donc trouver d’autres moyens si on veut aider ces femmes Musulmanes à s’émanciper, à s’affranchir de l’oppression dont elles sont victimes. Cela requiert la mise en oeuvre d’interventions prudentes au sein des familles et des Communautés concernées afin d’assurer à ces femmes une plus grande intégration socioéconomique, un apprentissage accéléré du français (là où le besoin existe), une participation à la vie civique et politique et une protection contre leur milieu immédiat.

 

Both Gérard Bouchard and Charles Taylor, who chaired the commission on reasonable accommodation in Quebec  in 2007, have expressed concern about the potential impact of the proposed Charter of Quebec values.