‘Le Judaïsme orthodoxe sépharade perd son âme’

Le Rabbin Haïm Amsellem ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il livre ses réflexions sur l’état actuel de l’orthodoxie sépharade en Israël.

Les prises de position vitrioliques de ce député rebelle du parti ultra-orthodoxe sé­pha­rade Shass ont suscité l’ire des leaders religieux israéliens et des dirigeants de sa formation politique -le Rabbin Haïm Amsellem nous a fait part de ses positions controversées sur plusieurs questions épineuses -l’avenir du système de Yéchivot en Israël, la conversion au Judaïsme des olim Russes considérés par le Grand Rabbinat d’Israël comme non-Juifs halakhiquement…- au cours d’une entrevue qu’il nous accordée lors de son récent passage à Montréal, publiée dans l’édition du Canadian Jewish News du 14 avril 2011.

 Ulcérés par ses déclarations sulfureuses sur l’orthodoxie sépharade, les dirigeants du Shass ont pris des dispositions pour expulser ce Rabbin frondeur de leur parti.

“Le Shass est un corps sépharade avec une Néshama -âme- ashkénaze. Ce parti politique, qui était supposé incarner les traditions de tolérance, de dialogue et d’ouverture qui ont toujours caractérisé le Judaïsme sépha­rade et bâtir des ponts entre les Sépharades, les Ashkénazes et les laïcs israéliens, est devenu l’antithèse du Séphardisme. Malheureusement, les leaders du Shass se sont méta­morpho­sés en de purs Lituaniens ultra-orthodoxes qui courbent ­l’échine devant les Rabbins Ashkénazes. Le Shass ne milite plus pour la défense des valeurs et des droits des Sépharades. Le Séphardisme, c’est une philosophie de vie et de l’esprit que les dirigeants du Shass exècrent”, nous a dit le Rabbin Haïm Amsellem en entrevue.

La position des dirigeants du Shass dans la très houleuse affaire de l’École Emmanuel, une institution aca­dé­mique ultra-orthodoxe pour filles sise en Cisjordanie qui a imposé des quotas d’admission à ses élèves Sépha­rades, l’a “profondément choqué”.

“Dans la sinistre affaire de ségrégation pratiquée sans ambages par l’École Emmanuel, j’ai été l’un des rares députés du Shass à dénoncer vigoureusement cet acte répugnant de racisme envers des fillettes Sépharades. Le Rav Ovadia Yossef, leader spirituel du Shass, a été très complaisant à l’égard des Rabbins ashkénazes qui ont avalisé cette discrimination ethnique effarante. Cette triste affaire est loin d’être réglée. Elle s’est reproduite dernièrement dans des Écoles de Bnei Brak. Ça fait plus de six mois que quinze filles Sépharades sont à la maison parce que les diri­geants des Écoles ashkénazes qu’elles fréquentent leur ont fait savoir qu’elles ne pouvaient pas retourner en classe parce que le quota de 20% réservé aux étudiantes Sépharades avait été dépassé. C’est un grand scandale! Il faut rappeler que ces éta­blisse­ments scolaires ultra-orthodoxes sont financés avec les deniers publics des Israéliens.”

D’après le Rabbin Haïm Amsellem, le Rav Ovadia Yossef, qui a 90 ans, est un “géant de la Torah” mais “un piètre politicien”.

“Le Rav Ovadia Yossef ne comprend rien à la politique israélienne. Il s’escrime à diriger son parti politique, fondé par le Rav Schah en 1984, de la même manière qu’il régente son réseau de Yéchivot. Le Rav Ovadia Yossef a capitulé face au diktat implacable exercé par les Rabbins Lituaniens sur le monde juif orthodoxe israélien.”

Le parti Shass est sous “la tutelle officieuse” des Rabbins Lituaniens, qui “imposent implacablement leurs vues sur des questions religieuses et halakhiques fondamentales”, ren­ché­rit le Rabbin Haïm Amsellem.

Alors que le Shass a son propre réseau éducatif, El Hamaayan, tous les dirigeants de ce parti sépharade ultra-orthodoxe préfèrent que leurs jeunes filles fréquentent le Séminaire ashkénaze Beth Yaacov et leurs garçons les Yéchivot lituaniennes.           “Les orthodoxes Sépharades acceptent ainsi de se dévaloriser, tels des religieux de seconde classe, pour que leurs enfants accèdent au réseau scolaire orthodoxe lituanien. Cette dépersonnalisation de leurs origines ethniques les amène à adopter des positions foncièrement antisionistes.”

En ce qui a trait aux perspectives d’avenir de l’orthodoxie sépharade en Israël, le Rabbin Haïm Amsellem est assez pessimiste.

“Le Judaïsme orthodoxe sépharade est en train de perdre son âme et de s’orienter, contrairement à son histoire, vers une dérive inquiétante qui ne s’inscrit nullement dans son passé sioniste. Par volonté de mimétisme, les leaders religieux sépharades ­semblent avoir choisi la voie antisioniste. Cette tendance s’affirme de plus en plus dans des Synagogues sépharades qui voient fuir leurs fidèles vers d’autres horizons religieux tant cet antisionisme, de plus en plus ostensible, choque des Sépharades très traditionalistes”, constate avec désarroi le Rabbin Haïm Amsellem.

Selon ce farouche défenseur de l’iden­tité sépharade, aujourd’hui, le Judaïsme orthodoxe sépharade est en train de virer vers “un antisionisme pernicieux et inquiétant”, confirmé par des faits irréfutables.

“Lorsque l’État d’Israël reviendra à la Torah, nous célébrerons Yom Haatsmaout”, se plaisent à affirmer bon nombre de Rabbins sépharades proches de la mouvance orthodoxe lituanienne. Certains Rabbins sépharades ont même supprimé de la liturgie les prières, le Hallel, qui étaient habituellement ré­ci­tées le jour de l’Indépendance d’Israël parce qu’ils “refusent caté­go­rique­ment de considérer Yom Hatsmaout comme un Jour de fête excep­tion­nel pour le peuple juif”, a constaté le Rabbin Haïm Amsellem. Les livres de prières sépharades, calés sur les livres ashkénazes, ont été mo­di­fiés pour soustraire aux fidèles le symbole même de l’État d’Israël. Ainsi la bénédiction faite à l’État d’Israël au moment de l’ouverture du Tabernacle a été purement et simplement supprimée de la liturgie sépharade. Quant à la prière récitée en l’honneur deTsahal, elle a été modifiée insidieusement pour supprimer toute référence au symbole étatique de l’Armée d’Israël. Dieu ne bénit plus “les soldats de l’Armée de défense d’Israël”, il bénit “les soldats d’Israël”, formule qui oblitère toute référence à l’existence d’un État juif souverain.

“Les Rabbins sépharades, notamment ceux des pays d’Afrique du Nord, ont toujours soutenu le Sionisme avec toute la force de leur croyance. Ils émaillaient leurs commentaires hebdomadaires de la Torah de références aux combats qu’Israël mène depuis sa fondation contre ses ennemis arabes pour assurer sa survie. La conception du Judaïsme défendue aujourd’hui par les hérauts du parti Shass est aux antipodes du Judaïsme qu’ont pratiqué pendant un millénaire les grands Maîtres sépharades de la Torah. C’est une régression consternante!”, dit le Rabbin Haïm Amsellem.

In an interview when he was in Montreal, Sephardi Rabbbi Haïm Amsellem talks about the positions taken by Orthodox Sephardi rabbinical leaders in Israel.