Israël face aux Révoltes dans le monde arabe

Shlomo Ben-Ami

Au niveau régional, Israël est actuellement dans une position stratégique très délicate. Les révoltes qui ont embrasé ces derniers mois des pays arabes ont isolé davantage l’État hébreu dans la sphère moyen-orientale, estime Shlomo Ben-Ami, ancien Ministre des Affaires étrangères d’Israël et Ministre de la Sécurité Intérieure dans le Gouvernement travailliste dirigé par Éhoud Barak de 1999 à 2001.

“L’Égypte n’est plus le complice d’Israël sur des questions régionales, comme ce fut le cas durant l’ère du Président déchu Hosni Moubarak. Depuis la chute du régime de Mou­barak, la politique étrangère de ­l’Égypte est devenue l’otage des masses populaires égyptiennes, qui remettent aujourd’hui en question la teneur du Traité de paix israélo-égyptien, signé en 1979. Les relations entre Israël et la Turquie se sont aussi considérablement détériorées. Les rapports entre Israël et la Jordanie sont également tendus. En Syrie, le chaos pointe à l’horizon. Israël est actuellement empêtré dans un piège stra­té­gique régional. Sa seule alternative pour sortir de cette trappe pernicieuse est d’avancer dans le processus de paix avec les Palestiniens. Je ne fais pas partie de ceux qui croient naïvement que la paix avec les Palestiniens ouvrira aux Israéliens les portes du paradis au Moyen-Orient! Par contre, je suis convaincu qu’il est important qu’Israël parvienne à conclure un Accord de paix avec les Palestiniens parce que celui-ci améliorera sensiblement ses relations avec la Communauté internationale et neu­tra­li­sera la haine et les oppositions radicales dont l’État hébreu est l’objet”, explique Shlomo Ben-Ami en entrevue.

Un Accord de paix avec les Palestiniens ne mettra pas un terme aux tensions et aux menaces qui pèsent sur Israël et la région, s’empresse d’ajou­ter Shlomo Ben-Ami.

“Ne soyons pas dupes! L’existence d’un État juif ne sera jamais accueillie avec enthousiasme dans le Moyen-Orient arabe. Dans le meilleur des cas, l’existence d’Israël sera tolérée. Les tensions, les attaques et les menaces, provenant essentiellement de groupes musulmans radicaux instru­men­ta­li­sés par l’Iran de Mahmoud Ahma­dine­jad, seront encore pendant  de nombreuses années le pain quotidien des Israéliens. C’est la nature même du Moyen-Orient, où rien n’est jamais fixe, ni stable, ni solide. C’est une région profondément révulsée où tout est sujet à changements.”

Le Moyen-Orient n’est pas les États-Unis, ni le Canada, ni l’Europe, ni l’Amérique du Sud, rappelle avec un brin d’ironie Shlomo Ben-Ami.

“Le Moyen-Orient est une zone tumultueuse qui est aujourd’hui désespérément en quête d’une identité. Ce qu’on appelle le “Printemps arabe” est un Mouve­ment de contestation po­pu­laire dont on ignore où il aboutira? Cette vague de révoltes sera certainement le grand Tournoi du XXIe siècle. C’est insensé et totalement stupide de croire, comme l’affirment certaines Cassandre, qu’il suffit de renverser un régime autocratique et de tuer un dictateur impitoyable pour qu’émerge une démocratie. L’Histoire nous rappelle que l’avènement d’une démocratie a toujours été un processus politique et social ardu et très long. Pour l’instant, les “dividendes” politiques et sociaux du “Printemps arabe” se font toujours attendre.”

En Égypte, un régime militaire est toujours très réfractaire à céder le pouvoir à un gouvernement civil. En Tunisie, nous verrons bientôt si les islamistes qui formeront le prochain gouvernement seront aussi “modérés” qu’ils le clament -“pourtant, grâce à sa tradition sociale laïque, à son bon système d’Éducation et à son statut de la femme, qui jusque-là était assez égalitaire, la Tunisie est le pays arabe qui avait les perspectives les plus prometteuses pour instaurer un régime démocratique viable”, souligne Shlomo Ben-Ami. En Libye, nous verrons de quoi la Révolution ac­cou­chera? Dans les monarchies du Golfe persique, il ne se passe rien. Au Bahreïn, la révolte a été durement réprimée. Au Yémen, il n’y a pas eu encore un dénouement politique positif. En Syrie, Bashar el-Assad continue à réprimer violemment la moindre opposition à son régime tyrannique…

“Il faut espérer que ce “Printemps arabe” ne se transformera pas en un “Hiver arabe”! La conjoncture régionale actuelle, marquée par l’instabilité et la morosité, augure des jours très difficiles pour Israël. La seule chose qu’Israël peut et doit faire dans un contexte régional aussi sombre, c’est de poursuivre les négociations de paix avec les Palestiniens parce que toute avancée dans ce Dossier crucial sera très bénéfique pour ses relations avec la Communauté internationale et renforcera sa position stratégique au Moyen-Orient. Un Accord ne réglera pas tous les problèmes avec nos voisins Palestiniens et Arabes. L’Iran et le Hezbollah trouveront toujours des prétextes pour continuer à attaquer Israël.”

Shlomo Ben-Ami déplore que la politique moyen-orientale du Président américain Barack Obama se soit avérée jusqu’ici “un échec patent”.

“Ce qui est très surprenant et ironique, c’est qu’on a décerné le Prix Nobel de la Paix au Président Barack Obama uniquement pour quatre beaux Discours sur la paix qu’il a prononcés. Tout le monde attendait beaucoup plus de l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Dans l’épineux et très complexe Dossier du Moyen-Orient, Barack Obama s’est complètement trompé depuis le début de sa présidence. C’est étonnant qu’avec le nombre de conseillers pour le Moyen-Orient qui l’entourent et l’exper­tise que les différentes admi­ni­­stra­tions américaines qui se sont succédé au pouvoir ont acquise  au fil des années dans le Dossier du conflit israélo-arabe, Barack Obama ait dès son arrivée au pouvoir fait une lecture totalement erronée de l’ABC du pro­ces­sus de paix israélo-palestinien. Il y a certaines prises de position qui ne sont pas nécessaires parce qu’elles s’avèrent plus un obstacle qu’un atout pour la paix. Par exemple: demander à Israël un gel des constructions de colonies juives dans les Territoires palestiniens. Dans le passé, aucune administration américaine, ni démocrate ni républicaine, n’avait de­mandé aux Israéliens de stopper les constructions en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. Entre-temps, Barack Obama a changé d’avis, mais les Palestiniens con­tinuent à réitérer vigoureusement cette demande, qu’ils ont érigée en condition sine qua non pour reprendre les négociations avec Israël.”

In an interview, former Israeli foreign affairs minister Shlomo Ben-Ami talks about how the Arab upisings may affect Israel.