Une entrevue avec le célèbre avocat Serge Klarsfeld

Serge Klarsfeld

Le célèbre historien, avocat et “chasseur de nazis” Serge Klarsfeld, Président de l’Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, estime que le criminel de guerre nazi Laszlo Csatary, arrêté récemment par les Autorités hongroises, doit être jugé seulement si des “preuves ir­ré­cu­sables” prouvent sa participation active au processus d’extermination des Juifs Hongrois mis en oeuvre par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.

Chef de la Police dans le Ghetto de Kosice (Kassa en hongrois, Kaschau en allemand), ville située aujourd’hui en Slovaquie, Laszlo Csatary est ­accusé de compli­cité dans l’assassinat et la ­déportation vers le Camp d’exter­mination d’Auschwitz de 15700 Juifs Hongrois. Particulièrement connu pour sa cruauté envers les victimes qu’il ne manquait pas de fouetter, il a déclaré aux Autorités hongroises avoir “obéi aux ordres”. En cavale depuis plus de soixante-quatre ans, Laszlo Csatary s’était réfugié au Canada en 1948 puis en Hongrie en 1995. Des reporters du quotidien britannique The Sun ont retrouvé dernièrement sa trace à Budapest.

Serge Klarsfeld nous a livré au cours d’une entrevue son regard sur cette épineuse Affaire.

Canadian Jewish News: Âgé de 97 ans, faut-il juger Laszlo Csatary?

Serge Klarsfeld:  Je ne pense pas que la tenue d’un Procès pour juger Laszlo Csatary soit importante. Les autorités hongroises ont arrêté ce criminel de guerre pronazi uniquement pour faire un geste envers l’opinion publique internationale. Je suis très sceptique en ce qui a trait aux suites judiciaires que le Gouvernement de Hongrie ré­ser­vera à Laszlo Csatary. Je ne suis pas sûr qu’il y aura des suites judiciaires parce que l’actuel Gouvernement d’extrême droite hongrois, dirigé par le Premier ministre Viktor Orban, ne veut pas se mettre à dos l’opinion publique hongroise. Un vrai Procès judiciaire n’est jouable que s’il y a des documents et des témoins corroborant l’implication de Laszlo Csatary dans le processus de persécution et d’extermination des Juifs savamment mis au point par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Sans documents et témoins, un Procès laissera un goût amer.

Force est de rappeler que lors du Procès de John Demanyuk, un ancien gardien Ukrainien du Camp d’exter­mi­na­tion nazi de Sobibor, en Pologne, la Justice allemande a été rela­tive­ment expéditive. Les Juges allemands chargés d’instruire ce Procès sont arrivés à la conclusion que John Demanuyuk était coupable puisqu’il a assumé délibérément l’abjecte fonction de gardien au Camp de Sobibor. Pour moi, ce type de Justice est une Justice à la soviétique. Dans un Procès, j’ai toujours cherché à être équitable. Un vrai Procès, c’est  quand on prouve que quelqu’un a commis un acte inhumain. Ce n’est pas à l’accusé de prouver qu’il n’a pas commis le crime qu’on lui impute. On ne peut pas juger et condamner quelqu’un s’il n’y a pas des documents signés prouvant sa culpabilité. Par ailleurs, John Demanyuk était très âgé quand la Justice allemande le jugea. Il était allongé sur une civière et bavait pendant l’audience. Ce n’est pas tout à fait ce qu’on attend d’un Procès judiciaire. Ce sera le même cas de figure avec Laszlo Csatary, qui est âgé de 97 ans.

C.J.N.: Avez-vous été surpris que la cavale de Laszlo Csatary ait duré un demi-siècle?

Serge Klarsfeld: Il suffisait de parler avec quelques journalistes ou officiels hongrois pour savoir que Laszlo Csatary résidait à Budapest en toute quiétude. Ce n’était pas un secret. Ce n’était pas compliqué de le retrouver. Le projecteur a été braqué sur ce séide zélé des nazis parce que l’information a été diffusée non pas par le Centre Simon Wiesenthal, dont tout communiqué annonçant qu’il vivait en Hongrie aurait été ignoré par le public et les médias, mais par un journal britannique très puissant médiatiquement, The Sun. Laszlo Csatary est un criminel de guerre totalement incon­nu du grand public. Tous les criminels nazis encore vivants ont désormais entre 90 et 100 ans. Il y a 30 ans, Laszlo Csatary aurait été le 3500ème sur la liste des criminels de guerre nazis recherchés. Il reste très peu de criminels de guerre nazis en vie et en fuite. Nous sommes arrivés à la fin d’une période: celle du Jugement des criminels de guerre nazis.

C.J.N.: Faut-il traduire en Justice les derniers criminels de guerre nazis vivants?

Serge Klarsfeld: Il faut poursuivre les criminels de guerre nazis toujours vivants jusqu’à leur dernier souffle. Mais d’un autre côté, il faut réaliser que ces collaborateurs pronazis étaient des subalternes qui avaient peu de responsabilités dans la hiérarchie du IIIème Reich. Quand je tra­quais les criminels de guerre nazis, j’ai toujours essayé de débu­squer les cadres supérieurs, les décideurs dans la machine d’extermination des Juifs européens. C’est-à-dire des hauts responsables nazis, ou pronazis, qui si­gnaient des documents avalisant l’annihilation des Juifs. Nous avons alors toujours opposé aux criminels de guerre nazis arrêtés leur signature au bas de documents. Je ne sais pas si dans le cas de Laszlo Csatary les Autorités judiciaires hongroises pos­sèdent des documents paraphés par ce dernier prouvant sa participation active au processus d’extermination des Juifs de Hongrie durant la Deuxième Guerre mondiale?

C.J.N.: On reproche aux Autorités canadiennes d’avoir une politique laxiste en ce qui a trait à la poursuite judiciaire des criminels de guerre nazis qui se sont réfugiés au Canada à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce grief est-il fondé?

Serge Klarsfeld:  Avant de blâmer le Canada, il faudrait étudier plus exhau­stive­ment le Dossier Laszlo Csatary pour savoir si les Autorités de l’immigration canadiennes ont fait toutes les vérifications nécessaires auprès des Autorités alliées pour savoir si ce dernier était inscrit dans le registre des criminels de guerre recherchés, non pas nazis parce qu’il est Hongrois, mais qui ont collaboré étroitement avez les nazis? À ma connaissance -j’ai travaillé pendant de nombreuses années sur ce Dossier-, aucun criminel allemand nazi n’a trouvé refuge au Canada à la fin de la dernière Grande Guerre. Ceux qui se sont réfugiés au Canada sont des collaborateurs pronazis ori­gi­­naires des pays baltes, de la Hongrie, d’Ukraine… Bon nombre de ces acolytes du Reich hitlérien étaient des exécutants et non des stratèges importants dans la machine militaire nazie. Avant d’exprimer une opinion sur ce sujet, il faudrait savoir combien parmi les très nombreux immigrants que le Canada a accueillis entre les années 1945 et 1955 étaient poursuivis pour crimes de guerre par la Justice de leur pays d’origine? Dans mes Dossiers, je n’ai aucun nom de criminel nazi allemand qui ait résidé au Canada. Quant au nombre de criminels pronazis qui se sont établis au Canada à la fin de la Seconde Guerre mondiale,  il est très faible.

 

In an interview, French lawyer and Nazi-hunter Serge Klarsfeld talks about the recent arrest of Hungarian Nazi war criminal Laszlo Csatary.