Une tuerie effroyable et très barbare

Serge Klarsfeld

C’est une tuerie barbare et ignominieuse qui a profondément meurtri les Juifs de France et semé une vive consternation en France, en Israël et dans le monde entier. Les assassinats de sang-froid par un tueur casqué d’un Rabbin enseignant, Jonathan Sandler, 30 ans, de ses deux enfants, Arié, 3 ans, et Gabriel, 6 ans, et d’une fillette de 8 ans, Miriam Monsonego, tuée d’une balle dans la tête, à l’entrée de l’École juive orthodoxe Ozar-Hatorah de Toulouse sont des crimes révoltants et intolérables dans un pays de droit et démocratique comme la France.

Figure marquante de la Communauté juive de France, le célèbre avocat, historien et chasseur de nazis Serge Klarsfeld, qui est Vice-Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de France, est outrageusement indigné par ces assassinats abjects d’un adulte et de trois enfants Juifs innocents.

“Ces meurtres cruels sont le paroxysme de l’horreur. Non seulement des enfants Juifs innocents ont été lâchement tués, mais ils ont été assassinés d’une façon barbare. Attraper une fillette de 8 ans par les cheveux et lui tirer une balle dans la tête, c’est un crime répugnant qui jusque-là n’avait jamais été commis en France, même pendant la Deuxième Guerre mondiale. La police française pronazie de Vichy déportait les enfants Juifs, qui étaient ensuite tués à Auschwitz par les nazis. Même à cette époque funeste on ne tuait pas en France des enfants Juifs d’une manière aussi barbare qu’ont été assassinés les trois enfants de l’École Ozar-Hatorah de Toulouse. C’est encore une escalade dans la barbarie. La piste menant vers le fondamenta­lisme islamique se précise. Au moment où on se parle, le RAID, l’Unité d’Élite d’Assistance et d’Intervention de la Police française, cerne dans son domicile le principal suspect de ces crimes sordides, Mohammed Merah, un Français d’ori­gine algérienne de 24 ans, qui s’est réclamé de la mouvance islamiste terroriste Al-Qaïda. Ce Salafiste antisémite invétéré a avoué sans ambages aux policiers qui l’ont débusqué avoir assassiné quatre membres de la Communauté juive de Toulouse pour “venger les enfants Palestiniens tués par Israël”. Il est le pur produit de l’idéologie macabre forgée par Ben Laden et ses acolytes, dont le principal credo est une haine obsidionale du peuple juif et d’Israël”, nous a dit Serge Klarsfeld au cours d’une entrevue exclusive qu’il a accordée au Canadian Jewish News deux jours après l’effroyable tuerie perpétrée à l’École Ozar-Hatorah de Toulouse.

Six ans après l’ignoble assassinat du jeune Ilan Halimi, torturé et tué par un gang de voyous férocement antisémites, cette nouvelle tragédie qui vient d’ensanglanter la Communauté juive de France ne risque-t-elle pas de raviver les craintes, déjà lancinantes, des Juifs français?

“Je tiens à rappeler que la Communauté musulmane de France a très vigoureusement condamné cette tuerie odieuse. Les leaders du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France -C.R.I.F.-, l’Instance représentative politique officielle des Juifs de France, viennent de lancer un vibrant appel pour que tout amalgame entre l’idéologie islamiste, dont se réclame le présumé auteur de ce massacre, et la religion musulmane soit exclu et banni. La grande majorité des Musulmans de France abhorrent cette idéologie islamiste violente et foncièrement antisémite. En France, les Musulmans Jihadistes et Benladistes sont une infime minorité”, rappelle Serge ­Klarsfeld.

Cependant, ajoute-t-il,  il est vrai qu’il y a aujourd’hui “un véritable malaise” au sein de la Communauté juive de France. 

“Ce malaise résulte de la tension existant entre Juifs et Musulmans à cause des événements du Proche-Orient. Mais, force est de rappeler que seulement une partie de la Communauté musulmane de France affiche des positions résolument hostiles à Israël et aux Juifs sionistes. Il est vrai que le présumé tueur qui a fauché la vie à Jonathan Sandler, à ses deux petits enfants et à une fillette de 8 ans est l’émanation de la haine des Juifs, d’Israël et de l’Amérique relayée inlas­sablement par les islamistes radi­caux. Le jeune Algérien cerné en ce moment par la Police française est une personne endoctrinée à la sensibilité exacerbée contre les Juifs, l’État d’Israël et l’Amérique. Il voit en chaque Juif un suppôt d’Israël. Le malaise qui prévaut dans la Communauté juive de France provient aussi de l’anti-israélisme débridé de ­l’extrême gauche et de ­l’extrême droite. Ces deux mouvances politiques et idéologiques diamétralement opposées mènent sans relâche de fielleuses campagnes de dénigrement et de boycott contre l’État d’Israël.”

De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui dans la Communauté juive de France pour reprocher aux pouvoirs publics hexagonaux d’avoir desserré les mesures de sécurité aux abords des Écoles et des Institutions juives de France. Ce grief est-il fondé?

“Ce grief est absurde. La sécurité n’est pas la panacée miracle pour déjouer des attentats terroristes, soutient Serge Klarsfeld. Ces dernières années, dans tous les pays d’Europe, et pas seulement en France, les mesures de sécurité ont été sensiblement renforcées aux abords des Écoles et des Institutions communautaires juives. Ces dispositifs sécuritaires plus stricts n’ont pas empêché pour autant des terroristes de continuer à commettre des crimes antisémites crapuleux. Ces mesures de sécurité renforcées obligent les gens à faire la queue devant les postes de sécurité établis dans les entrées des édifices abritant des Institutions juives. Moi, je ne cesse de dénoncer cette situation incongrue. Ainsi, devant un Mémorial juif, les gens font la queue pour rentrer. Il suffit qu’un terro­riste suicidaire lance une grenade ou tire à la Kalachnikov sur la foule massée près de ce Mémorial pour que de nombreuses personnes innocentes soient tuées. Finale­ment, ce criminel impitoyable assassi­nera calmement les mêmes personnes à l’extérieur de ce Mémorial plutôt qu’à l’intérieur. C’est le même cas de figure pour les Écoles juives. Il y a 300 Écoles juives en France. Ces Établissements éducatifs sont protégés à l’intérieur, mais à l’extérieur les enfants fréquentant ces Écoles ne sont pas protégés. Quand un groupe d’élèves est amassé devant l’entrée d’une École, il suffit qu’un tueur résolu tire aveuglément sur ces gamins pour qu’il en tue autant que si ces derniers étaient à l’intérieur de l’École. Il n’y a pas de véritable protection. Les terroristes ou les criminels patentés qui vou­draient commettre demain de multiples meurtres pourront le faire sans aucune difficulté. La protection contre des tueurs pathologiques, comme celui qui a perpétré le massacre à l’entrée de l’École Ozar-Hatorah  de Toulouse, n’existe pas. La vigilance est nécessaire, mais celle-ci ne suffit pas.”

Donc, en dépit des mesures de sécurité draconiennes qu’elles ont adoptées ces dernières années, les Écoles juives de France semblent aujourd’hui impuissantes face à ce déferlement de haine antisémite?

“Depuis le début de l’an 2000, alors que la seconde Intifada palestinienne battait son plein et que les actes antisémites proliféraient en France, beaucoup de parents Juifs non religieux décidèrent de sortir leurs enfants des Écoles publiques et de les scolariser dans des Écoles juives afin que ces derniers soient dans un environnement plus sécuritaire et qu’ils n’aient pas des problèmes avec les élèves Musulmans qu’ils côtoyaient dans les Établissements d’enseignement publics. La tragédie qui vient de se produire à l’École Ozar-Hatorah de Toulouse va certainement ébranler les certitudes de ces parents Juifs. Désormais, si on tue des enfants dans une École juive, il est certain que ces mêmes parents se demanderont où scolariser leurs enfants? Peut-être même songeront-ils à quitter définitivement la France et à s’installer plus à l’Ouest, sur le continent américain, ou en Israël. Mais, même en Israël, la sécurité de leurs enfants ne sera pas garantie puisqu’il y a aussi des attentats meurtriers qui sont commis par des terroristes palestiniens. Malheureusement, c’est encore le sort  tragique des Juifs dans le monde que d’être parfois la cible de meurtriers antisémites. S’il n’y avait pas des tensions entre les Juifs et les Musulmans au Proche-Orient, la situation serait peut-être différente. Mais, il y a des tensions perma­nentes au Proche-Orient qui continueront à avoir des conséquences délétères sur les Juifs habitant dans les quatre coins du monde.”

Serge Klarsfeld est-il inquiet pour l’avenir des Juifs de France?

“Non, répond-il catégoriquement. La réaction de la France politique et civile à la tragédie qui vient d’affliger la Communauté juive française a été vigoureuse et unanime. Tous les leaders politiques et publics français confondus ont dénoncé fermement ce crime effroyable. Quelques heures après cette tragédie, un grand rassemblement républicain à eu lieu dans une grande Synagogue de Paris. Toutes les personnalités politiques françaises étaient présentes à cette cérémonie solennelle et fort émouvante: le Président de la Répu­blique française, Nicolas Sarkozy, le Premier ministre, François Fillon, les Mi­ni­stres du Gouvernement Sarkozy, le Chef du Parti Socialiste français, François Hollande… Comme c’est aussi le cas dans les autres contrées du monde, La France est un pays où les Juifs sont confrontés aux problèmes inhérents aux tensions prévalant au Moyen-Orient et à la présence d’une Communauté musulmane importante. Les Musulmans sont aussi très nombreux dans les autres pays d’Europe. Mais il n’y a qu’une frange, extrémiste, de la Communauté musulmane qui pose de sérieux problèmes.  La majorité des Musulmans ne songent qu’à une chose: bien vivre ou mieux vivre dans le pays où ils se sont établis. Aujourd’hui, les Juifs de France veulent savoir pourquoi on tue des membres de leur Communauté, si ce phé­no­mène morbide risque de s’accentuer, si les pouvoirs publics français ­prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité…? C’est vrai, ces jours-ci, les Juifs de France se posent beaucoup de questions.”

 

In an interview, French lawyer and historian Serge Klarsfeld talks about the recent shooting outside a Jewish school in Toulouse, France, of a rabbi, two of his children and a little girl.