Israël au Festival littéraire Metropolis Bleu

Un grand écrivain d’Israël, Amir Gutfreund, sera l’un des invités de marque de la 12ème édition du Festival littéraire international de Montréal, Metropolis Bleu, qui se tiendra du 21 au 25 avril à l’Hôtel Delta Centre-Ville -777 Rue Université (cf. programme: ­www.metropolisbleu.org).

Amir Gutfreund

La participation d’Amir Gutfreund au Festival littéraire Metropolis Bleu est parrainée par le Consulat Général d’Israël à Montréal et la Bibliothèque Publique Juive.

Le premier livre d’Amir Gutfreund, Shoah Shelanou -la traduction en français de cet ouvrage, Les gens indispensables ne meurent jamais, a été pu­bliée en 2007 aux Éditions Gallimard-, fit sensation en Israël. Ce roman magni­fique, qui marque sans le moindre doute un tournant dans la manière d’appréhender la Shoah, a obtenu le plus prestigieux Prix littéraire israélien, le Prix Sapir -l’équivalent du Prix Goncourt français.

Les principaux héros de ce roman sont deux enfants, Amir et Efi, qui harcèlent de questions des vieux survivants de la Shoah, un peu fous, ou très dépressifs, pour leur arracher, bribe après bribe, leurs souvenirs de cette effroyable hécatombe qui a décimé le Judaïsme européen.

L’originalité d’Amir Gutfreund est d’avoir écrit un livre très poignant qui ne parle pas de la Shoah comme d’un événement historique, mais qui évoque avec perspicacité la présence de celle-ci dans la vie quotidienne de personnages marqués par cette tragédie indicible jusqu’au plus profond de leur âme. Na­vi­guant sans cesse entre la gravité et la drôlerie, le récit rend palpables ces exi­stences placées sous le signe d’un génocide, de la mort, et en même temps si vivantes, si humaines et si banalement ri­sibles. Une grande prouesse littéraire.

Amir Gutfreund nous a accordé une entrevue. Nous l’avons joint à son domicile, en Galilée.

Canadian Jewish News: Présentez-vous à nos lecteurs.

Amir Gutfreund: Je suis né en 1963 à Haïfa, incontestablement la plus belle ville d’Israël -vous me pardonnerez mon patriotisme chauvin “Haïfaien”!-, dans une famille de survivants de la Shoah. Mon père et ma mère sont nés en Pologne. Je vis aujourd’hui avec ma femme et nos deux enfants à Yuvalim, un petit village situé en Galilée, à proxi­mité de la frontière avec le Liban. Je suis diplômé de l’Institut Technion. Pendant vingt ans, j’ai travaillé comme mathématicien dans l’Armée de l’Air d’Israël, où j’ai obtenu le grade de Lieutenant-Colonel. J’ai pris ma retraite il y a trois ans. Depuis, je me consacre entièrement à l’écriture.

Après Shoah Shelanou, j’ai publié un deuxième roman, qui a été traduit en anglais mais pas encore en français, The World a Moment Later. Ce livre relate, par le biais de récits fami­liaux, les principales phases ayant mené à la création de l’État d’Israël, en 1948. J’ai publié en hébreu un troisième roman dont la trame se déroule durant la guerre israélo-arabe des Six Jours de 1967.

C.J.N.: “Les gens indispensables ne meurent jamais” a révolutionné à sa manière -par un mélange étonnant de compassion et de tendresse burlesque- la littérature de la Shoah en Israël?

Amir Gutfreund: Shoah Shelanou n’a eu aucun succès lors de sa parution en Israël au printemps 2000, quelques mois avant le début de la seconde Intifada palestinienne. Le public israélien a boudé mon premier livre. J’étais très déçu car j’étais foncièrement convaincu que ce roman allait “révolutionner” la manière d’appréhender la Shoah en Israël. Mon éditeur m’avait dit alors, avec une pointe de cynisme: “Mon cher Amir, ne nous leurrons pas! Ton roman n’a pas retenu l’attention du public parce que la Shoah n’est plus un thème à la mode en Israël”. J’ai réalisé alors que les Israéliens étaient blasés de la Shoah et préféraient plutôt lire des histoires de fraternité, d’aventures, d’amour, de sexe…

C.J.N.: Comment expliquer le succès tardif de ce roman?

Amir Gutfreund: Deux ans après sa parution, Shoah Shela­nou a connu un succès retentissant et inopiné en Israël. Soudainement, le public israélien s’est rué sur mon livre pour le lire très avidement. Shoah Shelanou est rapidement devenu un best-seller national et est étudié aujourd’hui dans les lycées et les universités d’Israël. Je crois que l’at­mo­sphère  délétère qui sévissait dans le pays à cette époque-là a grandement contribué à doper les ventes de mon livre. L’Intifada palestinienne et la sinistre Conférence de Durban sur le racisme, de 2001, parrainée par les Nations Unies, où la haine d’Israël et du peuple juif, que l’on croyait atténuée, a rejailli de nouveau avec force, firent prendre conscience aux Israéliens que leur droit à mener une existence normale était toujours fortement remis en question, et aussi nié, non seulement par les Arabes, mais aussi par une myriade d’autres peuples. La Mémoire de la Shoah redevint alors très à la mode en Israël. Celle-ci a été fortement ravivée par l’antisémitisme profond, et totalement irrationnel, éructé aujourd’hui avec véhémence par les ennemis d’Israël.

C.J.N.: Les déclarations intempestives antisémites et génocidaires du président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, n’exa­cerbent-elles pas en Israël les souvenirs morbides de la Shoah?

Amir Gutfreund: La Shoah est omni­pré­sente dans la conscience nationale d’Israël. La Shoah est toujours à l’arrière-plan de toutes les décisions politiques, les modes, les façons de penser et d’agir… des Israéliens. Cette tragédie abjecte, qui continue de hanter les Israéliens, fait partie intégrante de l’atmosphère quotidienne nationale. Personnellement, je ne suis pas inquiet par la menace nucléaire iranienne et les vociférations antisémites du président de cette nation islamique, qui veut rayer Israël de la carte du monde, parce que je me dis que ce n’est qu’une autre menace lancinante qui plane sur nos têtes. Les Israéliens ne sont pas des néophytes en matière de “menaces existentielles”!

C.J.N.: Dans votre roman, l’histoire de la Shoah est racontée à travers le regard de deux gamins, Amir et Efi. Avez-vous découvert aussi cette abominable tra­gé­die quand vous étiez enfant?

Amir Gutfreund: Quand j’étais enfant, je ne savais pas ce que signifiait la Shoah. Pour moi, Superman, Batman, Spiderman et la Shoah, c’était la même chose: un sujet de curiosité, à propos duquel je voulais en savoir plus. J’ai de grandes oreilles, alors je m’asseyais, je me rendais invi­sible, et j’écoutais ébahi les adultes. J’ai ainsi collecté une pléthore d’histoires que je ne comprenais pas vraiment, et dont je n’ai saisi le sens que des années plus tard. L’idée de relater par écrit les histoires funestes sur la Shoah que des membres de ma famille m’ont racontées oralement quand j’étais un gamin a commencé à germer dans ma tête quand mon père et moi avons entrepris ce que nous appelons en Israël un “Roots Journey”, un voyage vers les racines en Pologne. Nous ­sommes allés sillonner le terroir natal de mon père, visiter l’emplacement du ghetto de Varsovie, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau…

En Pologne, les souvenirs enfouis de mon père ont refait surface. Il ne me disait plus uniquement “Ici, on a tué mon ami, là, les nazis ont exécuté beaucoup de Juifs…” Il a commencé à me raconter aussi des histoires de l’avant-guerre, qui ont eu lieu pendant les années 1930, quand sa vie était heureuse. Il m’a parlé avec beaucoup d’entrain de son oncle violoniste, de son autre oncle médecin… Alors que je n’avais jusque-là entendu parler que de gens mélancoliques ou dépressifs, soudainement, je découvrais effaré qu’il y avait aussi eu dans notre famille des gens heureux, avec un futur radieux. Dès mon retour en Israël, j’ai tout voulu savoir sur la famille que j’avais eue autrefois, savoir ce qui lui était arrivé avant, pendant et après la guerre, savoir qui étaient ceux de ma fratrie qui avaient survécu à la Shoah… Je passais des journées assis à la Bibliothèque de Yad Vashem épluchant et lisant des do­cuments, des témoignages, des livres  sur les Communautés juives d’Europe de l’Est, les comptes-rendus des procès des nazis…

C.J.N.: “Les gens indispensables ne meurent jamais”est un livre autobio­graphique?

Amir Gutfreund: J’ai beaucoup de difficulté à définir ce roman. Celui-ci est une combinaison d’histoires véridiques et d’histoires purement fictives. C’est une symbiose folle entre des récits biographiques, que des membres de ma famille m’ont relatés quand j’étais enfant, et des récits émanant de mon imagination romanesque. J’ai lu à la Bibliothèque de Yad Vashem quelque 1000 témoignages de survivants de la Shoah. On retrouve dans le roman des personnages qui ont ré­ellement existé, comme les deux grands-pères, Lolek et Yossef, mon père, mes oncles… et des personnages que j’ai inventés, mais dont les récits de vie se basent sur des témoignages oraux et écrits de survivants de la Shoah.

C.J.N.: Quand on écrit sur la Shoah, établir un juste équilibre entre la réalité historique et la fiction, n’est-ce pas une grande gageure?

Amir Gutfreund: Absolument. Quand j’ai commencé à écrire Shoah Shelanou, je me suis imposé une règle de base, à mes yeux fondamentale quand on aborde la question de la Shoah: il faut que le récit romanesque soit très proche de la vérité historique. Pour moi, la Shoah est un événement macabre, mais très sacré. Je ne peux raconter des histoires relatives à cette tragédie que si celles-ci ont un fondement historique véridique. Il est impératif de respecter cette régle cardinale. Quand on écrit une oeuvre de fiction sur la Shoah, il faut que la trame narrative soit nourrie par des éléments historiques réels. La Shoah, ce n’est pas Alice au pays des merveilles! S’éloigner de la réalité historique de cette douloureuse tragédie, c’est donner des “munitions” aux négationnistes de la Shoah, ces assassins de la Mémoire juive qui s’escriment à nier le génocide de six millions Juifs perpétré par les nazis.

C.J.N.: Les deux personnages principaux de votre roman, Amir et Efi, vous ressemblent-ils quand vous étiez enfant?

Amir Gutfreund: Amir et Efi, c’est moi… à 50%! Je m’explique. Pour construire Amir, j’ai pris la moitié de celui qui vous parle ce matin, et j’ai importé l’autre moitié, que j’ai inventée. Les 50% restants du personnage, je les ai expor­tés vers Efi, qui est un personnage purement imaginaire. Quand j’ai présenté ce roman en Allemagne, un bon nombre de mes lecteurs allemands étaient attérés parce que dans le livre Amir hait les Allemands. Moi, je voue une grande admiration à la nouvelle génération allemande. Je fais partie des Israéliens qui croient que les jeunes Allemands d’aujourd’hui ne sont pas responsables des crimes odieux commis pendant la guerre par leurs parents ou grands-parents. En Israël, contrairement à l’Allemagne, les gens pensent qu’Amir n’existe pas, mais Efi, oui! Quand je leur dis la vérité, bon nombre de mes lecteurs israéliens sont déçus! Quand j’étais un gamin, je n’étais pas aussi vaillant et aventurier qu’Amir et Efi. J’étais un garçon plutôt calme qui se contentait de poser des questions aux membres de son entourage ayant survécu à la Shoah.

C.J.N.: En Israël, la majorité des écrivains et des intellectuels sont très engagés politiquement. Est-ce aussi votre cas?

Amir Gutfreund: Politiquement, je me sens plus proche de la gauche que de la droite. Mais, je me méfie beaucoup des étiquettes “politiques” que l’on accole aux écrivains israéliens. Quand ils donnent des conseils aux politiciens, les écrivains israéliens devraient être plus humbles. Ces derniers ne saisissent pas toujours les enjeux politiques parce qu’ils ont reçu du ciel un magnifique cadeau: leur imagination romanesque, qui est le principal outil qu’ils utilisent pour créer leurs oeuvres littéraires. Écrire des bons romans, ça ne fait pas nécessairement d’un écrivain un bon conseiller ou analyste politique. Les écrivains israéliens disent parfois des bêtises énormes quand ils donnent leur point de vue sur des questions politiques, dont ils sont souvent totalement déconnectés car ils voguent une bonne partie de leur journée dans un monde très imaginaire.

C.J.N.: Envisagez-vous avec optimisme ou pessimisme l’avenir d’Israël?

Amir Gutfreund: En dépit du fait que dans ma famille, seuls les pessimistes ont survécu -les optimistes ont tous été tués durant la Shoah-, je suis résolument optimiste. Pourtant, généalogiquement, si je veux survivre, je devrais être aussi pessimiste! Malgré le millier de pro­blèmes et de menaces qui assaillent les Israéliens quotidiennement, Israël est un pays merveilleux où il fait bon vivre. Je ne pourrais vivre nulle part ailleurs. En Amérique du Nord, on comprend difficilement qu’on puisse avoir une vie merveilleuse en Israël. Chaque année, un Institut basé à Washington établit un classement des pays ayant la meilleure qualité de vie. Israël arrive toujours en fin de peloton, après la Somalie et l’Afghani­stan! C’est inepte et pathétique! Les dirigeants de cet Institut sont des grands idiots! Ces derniers ignorent toujours qu’Israël est un pays ­magnifique où la qualité de vie est excellente. En dépit des problèmes insolubles auxquels ils sont confrontés, les Israéliens sont optimistes. S’ils ne l’étaient pas, il y a belle lurette qu’ils auraient fait leurs valises pour établir leurs pénates sous d’autres cieux.


In an interview, Israeli author Amir Gutfreund talks about his work and his life in Israel. Gutfreund is featured in several events at the Blue Metropolis Festival.