Les belles leçons de vie de Martin Gray

Martin Gray

La barbarie des hommes, les injustices sociales, l’exclusion des êtres les plus démunis de nos sociétés et le racisme ont toujours profondément révolté Martin Gray.

“Je suis un perpétuel indigné!”, lance en entrevue ce survivant de la Shoah devenu célèbre dans le monde entier grâce à son livre auto-bio-gra-phique Au nom de tous les miens, traduit en 35 langues et vendu à plus de 30 millions d’exemplaires.

Né en 1922 dans une famille juive de Varsovie, déporté au camp d’extermi-nation de Treblinka, d’où il parvint à s’enfuir, combattant du Ghetto de Varsovie, Martin Gray incarne avec force l’esprit de ré-si-lience du peuple juif. À 90 ans, cet homme exceptionnel, dont les cris de colère sont aussi de vibrantes leçons de vie, n’a rien oublié.

La recrudescence de la “bête im-monde”, l’antisémitisme abject qui a toujours pignon sur rue partout dans le monde, y compris dans les sociétés occidentales civilisées où l’on espérait que ce “fléau nauséabond” disparaîtrait à tout jamais après la Shoah, le révulse au plus haut point.

“J’ai cru que plus jamais il ne me serait donné d’entendre le cri de “mort aux Juifs” qui avait ac-com-pa-gné ma jeunesse à Varsovie. Eh bien, malheureusement, je me suis trompé. En ce début du XXIe siècle, à Paris, à Londres, à Madrid… en Europe, dans presque tous les pays, se lève à nouveau le vent de la haine contre le peuple juif. Voici que des jeunes gens, emportés par la volonté irrépres-sible de nous tuer, nous Juifs, choisissent de mourir pour être sûrs d’assassiner nos enfants, nos frères, nos femmes, nos pères, dit Martin Gray sur un ton amère. Et d’autres exaltent ce choix de la mort comme un acte héroïque. Il n’y a pas d’héroïsme dans la négation de sa propre vie, transformée en un instrument de mort! Il faut donc qu’à mon âge avancé, alors que de-puis quelques années j’avais choisi le silence, je reprenne la parole, crie ma rage, dénonce ceux qui nous conduisent à de nouveaux Holocaustes, où tous les hommes, et d’abord le peuple juif, seront entraînés.”

Témoin des barbaries abominables qui ont ensanglanté le XXe siècle, Martin Gray continue à mettre en garde l’Humanité contre ses “amnésies historiques”, qui ont eu pour effet délétère d’élaguer de la Mémoire des hommes les “chapitres les plus noirs” de leur Histoire.

“Je veux, avec toute mon énergie, que je sens aussi grande que lorsque je jurais les dents serrées que je survivrais pour témoigner, alerter, léguer ce que j’ai appris et ce que j’ai vu, combattre à ma manière, avec mes mots, pour empêcher un autre cataclysme. Les derniers témoins des horreurs du XXe siècle et les ultimes survivants des camps d’extermination nazis, dont je fais partie, avons l’obli-ga-tion impérative d’alerter l’Humanité contre les menaces mortelles qui pèsent à nouveau sur elle. Je dois le faire aussi parce que j’ai cinq enfants qui vivront dans ce XXIe siècle qui a débuté si mal. Je dois absolument le faire non pas Au nom de tous les miens mais Au nom de tous les hommes -titre d’un très beau livre écrit par Martin Gray en 2004-”, nous confie-t-il.  

Malheureusement, la haine des Juifs est un fléau récurrent qui ne sera jamais éradiqué, ajoute-t-il désappointé.

“Dans les rues de Varsovie, des années avant que les nazis n’entrent dans la ville, j’ai vu des Polonais battre lâchement des vieillards et des enfants parce qu’ils étaient Juifs. J’ai vu des pierres briser les vitrines des petites boutiques des amis de mon père qui, comme lui, travaillaient le cuir, les fourrures, les tissus, fabriquaient des gants ou des chapeaux, des manteaux ou des chaussures. Des gens humbles qui ne demandaient qu’à vivre en paix, à prier paisiblement et à se confor-mer aux lois du pays dont ils se croyaient citoyens, et qui ont accepté sans rechigner d’être cantonnés dans un Ghetto. Mais tout cela ne suffisait pas aux antisémites. Cela ne leur suffit pas aujourd’hui. Cela ne leur suffira jamais. Ces judéophobes maladifs ne rêvent que d’une seule chose: la mort de tous les Juifs.”

Pour cinq kilos de sucre, des paysans Polonais livraient les Juifs aux nazis et conduisaient ces derniers jusqu’aux forêts où des familles Israélites s’étaient cachées, raconte Martin Gray.

“Quand j’apprends que dans tel ou tel autre pays arabo-musulman ou dans telle banlieue d’Europe on a insulté ou agressé violemment un Juif, mis le feu à sa maison, à son école… Quand je lis halluciné que les grands journaux arabes expliquent que l’attaque contre les Twin Towers de New York, le 11 septembre 2001, n’est qu’une provocation montée de toutes pièces par les Services secrets israéliens, et que les Juifs qui travaillaient dans ces Tours ont été prévenus de ne pas s’y rendre ce jour-là… je sais alors que tout ce que j’ai vu durant ma jeunesse recommence.”

Les propos antisémites et négationnistes martelés avec véhémence par l’actuel Président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, horripilent au plus haut point ce rescapé de la Shoah.

“Tous ceux qui nient l’existence des chambres à gaz nazies et af-firment, avec une assurance effarante, que l’Holocauste n’est qu’un mythe fallacieux inventé par le peuple juif pour créer l’État d’Israël sont des êtres crapuleux résolus à assassiner la Mémoire du peuple juif.”

Aujourd’hui, l’un des principaux Chefs de file du mouvement négationniste est le Président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, rappelle-t-il.

“Ahmadinejad est un islamiste fasciste et un antisémite acharné. Il faut mettre urgemment une muselière à ces gens-là pour les empêcher de réaliser leurs desseins macabres. Quand Adolf Hitler a écrit Mein Kampf au début des années 1920, son Bréviaire de la haine des Juifs, la majorité des peuples de la terre croyaient qu’il ne s’agissait que de paroles creuses. Mais, ces “paroles creuses” se sont vite transformées en armées militaires puissantes, en camps de concentration puis en camps d’exter-mi-na-tion, où des millions de Juifs furent sauvagement assassinés. Aujourd’hui, très nombreux sont ceux qui croient que la rhétorique foncièrement antisémite de Mahmoud Ahmadinejad n’est qu’un discours grandiloquent ressassé seulement à des fins de propagande politique. Qu’ils se détrompent! Le Président iranien est un doctrinaire obtus qui croit profondément à ce qu’il dit.”

Où Martin Gray puise-t-il la force nécessaire pour continuer ses fa-rouches combats contre l’anti-sémi-tisme et les autres racismes?

“C’est mon père, à qui j’ai toujours voué une immense affection et admiration, qui m’a encouragé à continuer à me battre pour vivre. Mon père a été fusillé devant mes yeux, en 1943, dans le Ghetto de Varsovie. Avant son lâche assassinat, alors que nous combattions férocement nos bourreaux nazis dans les ruelles éventrées du Ghetto de Varsovie, il m’a dit: “Mon fils, aujourd’hui nous sommes obligés de tuer, mais n’oublie jamais que la vie est sacrée”. Mon père ne m’a pas dit “ta vie est sacrée”, mais “la vie est sacrée”. Ce sont ces paroles capitales, gravées depuis dans ma Mé-moire, qui m’ont donné la force pour poursuivre mon combat pour la vie. Si j’avais essayé d’épargner seulement ma vie, je ne serais jamais sorti vivant du Ghetto de Varsovie. Je suis sorti vivant de cet enfer parce que mon père m’a rappelé avec insistance que “la vie est sacrée”. Il fallait alors que je témoigne, que je crie ma colère.”

Martin Gray croit dur comme fer que les mots peuvent changer la destinée d’un être humain.

“Je crois résolument à la force et au pouvoir des mots. Mon autobiographie, Au nom de tous les miens, a été lue par plus de 30 millions de personnes. J’ai reçu presque un million de lettres de lecteurs qui m’ont écrit pour me dire à quel point mon histoire les a profondément marqués. Souvent, les mots ne sont pas simple-ment des mots ou des syllabes. Quand les mots émanent des tréfonds d’une âme humaine, du fond du coeur, ils ont un pouvoir inattendu. Pendant la Guerre, j’ai entendu des mots qui ont envoyé des millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents à la mort. Mais j’ai aussi entendu des mots empreints d’espoir, qui ont sauvé ma vie et celle de millions d’autres êtres humains. Par exemple, quand quelqu’un m’a dit un jour: “Viens, j’ai un morceau de pain pour toi”. Les mots sont la vie!”