Quel avenir pour les Juifs d’Argentine?

Rabbi Abraham Skorka

Les Juifs d’Argentine sont de nouveau plongés dans la tourmente d’un pays au bord de la faillite économique. Ce contexte socioéconomique très sombre ravivera-t-il l’antisémitisme en Argentine? 

Nous avons posé cette question à une figure de proue de la Communauté juive d’Argentine, qui compte aujourd’hui quelque 200000 âmes, le Rabbin Abraham Skorka, Leader spirituel de la Communauté Bnei Tikvah de Buenos Aires -affiliée au Mouvement juif Conservateur- et Professeur de Littérature Rabbinique au Séminaire Théologique Juif d’Amérique Latine, sis à Buenos Aires.

“L’Argentine n’a jamais été un pays antisémite. Il est vrai qu’il y a aujourd’hui dans la société argentine des facteurs endogènes qui peuvent nourrir l’antisémitisme. Mais, on ne peut pas dire qu’il y a actuellement un antisémitisme actif en Argentine. Il y a malheureusement des expressions antisémites, comme c’est aussi le cas partout ailleurs dans le monde. Chaque fois qu’un acte antisémite a été perpétré, la société civile et le Gouvernement argentins l’ont condamné vigou-reusement. Comme dans n’importe quelle autre société où vivent des Juifs, les Juifs Argentins doivent être aussi aux aguets parce que le spectre macabre de l’antisémitisme resurgit quand on s’y attend le moins”, nous a dit le Rabbin Abraham Skorka en entrevue depuis Buenos Aires.

Le Rabbin Abraham Skorka est un proche ami de l’actuel Pape, François Ier. Ils se sont connus à Buenos Aires au début des années 90, quand le Pape François Ier -son vrai nom est Jorge Begoglio- assumait la fonction de Cardinal de Buenos Aires.

En Argentine, le Rabbin Abraham Skorka et le Cardinal Jorge Begoglio, deux fervents partisans du Dialogue interreligieux, ont participé ensemble pendant plusieurs années à une Émission de Télévision hebdo-madaire très populaire et publié, en 2010, un livre d’entretiens passionnant -la version française de cet ouvrage, intitulée Sur la Terre comme au Ciel, est parue en 2013 aux Éditions Robert Laffont.

Dans ce livre fascinant, traduit en 40 langues et devenu un best-seller mondial, le Rabbin Abraham Skorka et le Cardinal Jorge Bergoglio se livrent à une discussion intense placée sous le signe de l’ouverture et de la franchise. Ils y abordent des grands thèmes théologiques, sociétaux, philosophiques et moraux qui continuent à nous interpeller fortement au XXIe siècle.

Le Rabbin Abraham Skorka a accompagné le Pape François Ier lors du voyage officiel que ce dernier a effectué en Israël en mai dernier.

La grande majorité des quelque 200000 Juifs d’Argentine sont affiliés au Mouvement du Judaïsme Conservateur. Ces derniers ne sont pas pratiquants, ne mangent pas de la nourriture casher et n’observent pas les commandements religieux du Shabbat, précise le Rabbin Abraham Skorka.

“En Argentine, la majorité des Juifs vivent un Judaïsme par moments -“un Judaismo de momentos”. Cette réalité n’empêche pas qu’il y a une vie communautaire juive intense, particulièrement dans les Communautés affiliées au Judaïsme Conservateur, où les Traditions juives sont perpétuées par le biais de la célébration de mariages, de Bar Mitzvoth, de Kabbalat Shabbat…”

Le Judaïsme en Argentine a toujours été “très Sioniste”, souligne le Rabbin Abraham Skorka.

“Il ne faut pas oublier que dans les années 50 et 60, les Mouvements Sionistes –Mefalsim, Hatzerim, Nahal, Shlosha…-, très actifs auprès de la jeunesse juive argentine, ont été le principal moteur du Judaïsme argentin. Ces Mouvements Sionistes ont contribué grandement à une Aliya importante des Juifs Argentins. Une Aliya idéologique porteuse d’un très grand idéal.”

Les Mouvements Sionistes ont joué aussi un rôle très important dans le processus de création du Réseau d’Écoles de la Communauté juive d’Argentine, rappelle le Rabbin Abraham Skorka.

“L’excellence de l’enseignement de l’hébreu est certainement l’un des grands atouts du dynamique Réseau scolaire juif argentin. La Culture sioniste est aussi transmise aux élèves qui fréquentent les Écoles israélites. Dans plusieurs établissements scolaires juifs argentins, les élèves étudient la Bible sans porter une Kippa. La Michna est enseignée d’un point de vue national, comme étant une valeur nationale fondamentale du peuple juif.”

Comment le Rabbin Abraham Skorka envisage-t-il l’avenir du Judaïsme en Argentine?

“En dépit du fait que beaucoup de Juifs Argentins ont quitté leur pays natal depuis le début des années 2000, le défaitisme n’a jamais été l’une des caractéristiques du Judaïsme argentin. Les crises économiques récurrentes qui affligent l’Argentine n’ont jamais sonné le glas du Judaïsme argentin. Notre Communauté compte encore de nombreux jeunes qui souhaitent bâtir leur vie en Argentine. Ces jeunes, dont la majorité ont un haut niveau d’Éducation, constituent l’avenir du Judaïsme argentin. Je ne peux donc être qu’optimiste!”

In an interview from Buenos Aires, Rabbi Abraham Skorka says anti-Semitism is not a major problem for the Jewish community of Argentina, despite the country’s economic difficulties.