La création d’un État palestinien une utopie?

Le grand secret d’Israël. Pourquoi il n’y aura pas d’État palestinien (Éditions de L’Observatoire, 2018)

La création future d’un État palestinien indépendant n’est qu’une chimère. Un État binational israélo-palestinien est inéluctable, soutient vigoureusement le journaliste Stéphane Amar dans un livre choc qui met en charpie bien des idées reçues sur l’interminable conflit opposant Israël aux Palestiniens, Le grand secret d’Israël. Pourquoi il n’y aura pas d’État palestinien (Éditions de L’Observatoire, 2018).

Stéphane Amar (Éditions de L’Observatoire photo)

Installé à Jérusalem, Stéphane Amar couvre le conflit israélo-palestinien et l’actualité moyen-orientale pour des médias francophones, dont Arte, BFMTV et la Radio télévision Suisse (RTS). Il est l’auteur d’un livre remarqué sur la coexistence israélo-palestinienne, Les meilleurs ennemis du monde: Israéliens et Palestiniens, entre voisins (Denoël, 2008).

Le grand secret d’Israël est une enquête passionnante sur les sociétés israélienne et palestinienne d’aujourd’hui. Stéphane Amar y analyse rigoureusement les enjeux et les conséquences du contentieux israélo-palestinien. Un livre interpellateur qui soulève des questions fondamentales pour l’avenir d’Israël.

Stéphane Amar nous a accordé une entrevue depuis Jérusalem.

 

À la lecture de votre livre, on conclut que la perspective de la solution des deux États, l’un israélien, l’autre palestinien, cohabitant côte à côte ne se réalisera jamais. L’option d’un État binational semble donc de plus en plus inéluctable.

Je préfère employer le terme d’État “unique”. Mais effectivement, je suis convaincu qu’il n’y aura pas de partage du territoire comme le prévoient tous les plans de paix présentés depuis bientôt un siècle. Le partage, c’est l’option du faible. Lorsqu’ils étaient en infériorité démographique et militaire, les Juifs l’ont accepté. Les Arabes l’ont refusé. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les Israéliens dominent les Palestiniens dans tous les domaines: économique, militaire, diplomatique et, depuis peu, démographique. Ils n’ont donc plus aucune raison de négocier avec leur ennemi.

On apprend avec étonnement en lisant votre livre que, contrairement à une idée reçue, le facteur démographique ne joue pas contre Israël.

Absolument. La fameuse “bombe démographique” a longtemps été brandie par les Palestiniens qui menaçaient, s’ils n’obtenaient pas un État indépendant, de demander leur annexion à Israël et donc de submerger l’État juif. “Nous gagnerons grâce aux ventres de nos femmes”, avait coutume de dire feu Yasser Arafat. Mais les dynamiques se sont inversées. Désormais, les femmes juives ont un taux de fécondité supérieur à celui des femmes arabes et cette tendance s’accentue. Les Palestiniennes, Bédouines comprises, étudient à l’université, elles se marient plus tard et veulent concilier une carrière professionnelle avec une vie familiale. En un mot, elles s’occidentalisent. Les Israéliens, y compris parmi les laïques, goûtent quant à eux de plus en plus aux joies des familles nombreuses. On assiste à un phénomène comparable au baby-boom de l’après-guerre en Europe: une certaine euphorie, due à une croissance économique très élevée et à une relative sécurité, incite les gens à faire des enfants. Avec plus de trois enfants par femme, les Israéliennes affichent le taux de fécondité le plus élevé de l’OCDE, de très loin.

Selon vous, le grand secret d’Israël est l’annexion inexorable de la Cisjordanie. Ce scénario est-il réellement plausible?

Non seulement je le crois plausible, mais il est déjà en marche. C’est le processus que je décris dans mon livre. Ces dernières années, le gouvernement Netanyahou a clairement relancé la colonisation de la Cisjordanie. Des implantations comme Efrat au sud de Jérusalem ont littéralement doublé de volume. A l’est de Tel-Aviv, le bloc d’Ariel est rattaché par une autoroute au littoral. On y compte une grande université, des supermarchés, des centres culturels… Sur le terrain, vous ne verrez que des grues et des bulldozers. Sans parler de Jérusalem-Est, où le gouvernement multiplie les faits accomplis en autorisant des implantations juives au cœur des quartiers arabes. Tout cela complique évidemment toute tentative de partition: où faire passer la frontière désormais? Je ne vois aucun retour en arrière possible, aucune volonté d’arriver à la création d’un État palestinien. Des plans pour une annexion, au moins partielle, de la Cisjordanie sont d’ailleurs déjà dans les cartons et certains ministres de premier plan du gouvernement Netanyahou, comme Naftali Bennett ou Tsipi Hotovely, en font état sans détour. Quant à l’actuelle ministre de la Justice, Ayelet Shaked, elle prépare déjà juridiquement le terrain.

S’il est vrai que le dogmatisme idéologique d’une frange importante de l’actuel gouvernement israélien entrave toute tentative de relance des pourparlers avec les Palestiniens, n’est-il pas également vrai qu’Israël peine à avoir un interlocuteur palestinien crédible avec qui négocier?

Probablement. En vérité, les Palestiniens n’ont jamais voulu le partage. Le cœur de leur patrie se situe davantage autour de Tel-Aviv ou de Haïfa, c’est-à-dire dans l’Israël reconnu internationalement, que dans la montagne de Cisjordanie, dans la région de Ramallah ou de Naplouse. Le terrible exode de 700 000 Palestiniens dans les années 47-49 est encore dans toutes les mémoires. La plupart des Palestiniens conservent encore la clé de leur maison de Lod ou de Saris, des localités disparues ou peuplées essentiellement de Juifs aujourd’hui. Yasser Arafat n’a jamais dit autre chose. Il promettait régulièrement à son peuple de libérer toute la Palestine, du Jourdain à la Méditerranée. Mais ni les Occidentaux ni les Israéliens n’ont voulu l’entendre. Comme ils refusent d’entendre aujourd’hui le même discours porté par la plupart des médias et des dirigeants palestiniens.

Quelles seront les répercussions au niveau politique et social de la loi dite de l’“État-nation” promulguée récemment par la Knesset?

À mon sens, cette loi est essentiellement symbolique. Elle vise à prévenir toute tentative de déjudaïsation d’Israël, comme il y en a eu notamment de la part de la Cour suprême dans les années 90. La majorité au pouvoir semble soucieuse d’empêcher par exemple toute partition de Jérusalem ou la remise en cause de la loi du Retour, qui permet à tout Juif dans le monde d’obtenir automatiquement la nationalité israélienne. Dans un sens, cette loi s’inscrit clairement dans le processus que je viens de décrire: un renforcement de la souveraineté sur tout le territoire, le fameux Grand Israël. Car pour absorber des millions de Palestiniens, l’État juif devra non seulement s’assurer une nette supériorité démographique, il devra aussi définir clairement son identité nationale.

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Le plan de paix pour le Moyen-Orient que Donald Trump s’apprête à rendre public modifiera-t-il les paramètres traditionnels du conflit israélo-palestinien?

Je ne connais pas les détails de ce plan, mais il sera probablement rejeté par les Palestiniens car ils ont rejeté les plans de paix d’Oslo et d’Annapolis qui leur étaient infiniment plus favorables. En transférant leur ambassade à Jérusalem, sur l’injonction du lobby évangéliste, les Américains ont clairement fait comprendre qu’ils reconnaissaient la souveraineté juive sur toute la ville. Pour les Palestiniens, c’est évidemment inacceptable. D’ailleurs, je vous rappelle que les accords d’Oslo ont échoué précisément sur la question du partage de Jérusalem, et notamment de l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple. Croire que les Palestiniens se contenteront d’une Cisjordanie amputée des principales zones d’implantation juive et d’une lointaine banlieue de Jérusalem en guise de capitale, c’est se bercer de dangereuses illusions.

Comment envisagez-vous les perspectives futures des relations entre Israël et les Palestiniens?

Contrairement à une idée reçue, les relations entre les deux peuples sont relativement bonnes. A l’intérieur des frontières reconnues d’Israël vivent un million et demi de Palestiniens, soit 20 % de la population. Ils sont citoyens de l’État juif, représentés à la Knesset et au gouvernement. Ils sont plutôt bien intégrés. On compte des milliers de médecins, de pharmaciens, d’ingénieurs, des professeurs d’université et même des juges et des policiers. Les Arabes israéliens prennent petit à petit toute leur place dans la mythique Start-up nation. Ainsi, le numéro deux d’Apple, bras droit de Tim Cook, Johny Srouji, est un Arabe de Haïfa formé au Technion.

En Cisjordanie, la situation est bien sûr moins réjouissante puisque deux millions de Palestiniens vivent sous occupation militaire depuis plus d’un demi-siècle. Cette occupation génère quantité d’entraves à la circulation, d’atteintes aux droits de l’Homme, de ressentiments. Mais somme toute le niveau de violence reste très faible et je ne doute pas que cette population s’intégrera au fil des décennies au sein d’un grand État démocratique.

Reste Gaza. Tout semble indiquer qu’Israël et l’Égypte cherchent à lever le blocus afin de permettre à ce territoire de respirer économiquement et d’évoluer vers un État indépendant. Il est notamment question de la construction d’un port, ou même d’un aéroport, assujettis à de strictes mécanismes de contrôle afin de prévenir toute tentative de réarmement. En contrepartie, le Hamas s’engagerait à signer une trêve de longue durée avec Israël. L’avenir n’est donc pas si désespérant.