Les Juifs de Catalogne à l’heure de l’incertitude

José Levy

Indéniablement, l’Espagne et la Catalogne sont confrontées à l’une des plus graves crises politiques de leur histoire.

L’affrontement sans merci entre le gouvernement de Madrid, dirigé par le dogmatique premier ministre, Mariano Rajoy, et le gouvernement de la Generalitat de Catalunya, présidé par l’intransigeant Carles Puigdemont, n’est pas à la veille de cesser.

Comment les Juifs de Catalogne vivent-ils cette bataille politique véhémente entre Madrid et les ténors du mouvement sécessionniste catalan?

Nous avons posé la question à José Levy, président de la communauté juive de Barcelone.

Né en 1936 à Melilla, une enclave espagnole jouxtant le Maroc, José Levy vit à Barcelone depuis 1968, après avoir vécu au Venezuela pendant vingt ans.

Il a été élu président de la communauté israélite de Barcelone en juillet dernier.

Présentez-nous la communauté juive de Barcelone.

La communauté israélite de Barcelone a une histoire des plus intéressantes. Elle a été la première communauté juive à se réinstaller dans la péninsule ibérique après l’expulsion des Sépharades, en 1492. Les premiers statuts de cette communauté ont été signés en 1918. Nous sommes donc à la veille de commémorer son premier centenaire. Un des faits caractéristiques les plus particuliers de notre communauté est la pluralité de ses membres, puisque celle-ci s’est nourrie de diverses vagues migratoires.

Au début, ce furent principalement des Juifs sépharades de Turquie qui établirent leurs pénates à Barcelone, suivis par d’autres Sépharades du litoral méditerranéen. Dans les années 30, avec l’avènement de la République espagnole et la montée du nazisme, beaucoup de Juifs du centre de l’Europe trouvèrent en Espagne, et à Barcelone en particulier, une nouvelle opportunité pour rebâtir leur vie. Des associations culturelles juives virent alors le jour. On parlait même le yiddish dans certains quartiers de Barcelone.

Tout cela changera durant la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale, périodes pendant lesquelles la communauté juive demeura fermée, se limitant à prodiguer une aide de première ligne aux membres qui en avaient urgemment besoin. Pendant la période d’ouverture du régime de Franco, on autorisa la communauté juive à rouvrir ses portes, dans des circonstances extraordinaires et après moult péripéties politiques. Depuis l’avènement de la démocratie, la communauté juive jouit enfin d’une pleine liberté. Elle a grandement bénéficié, dans les années 60, de l’apport d’une grande immigration d’Afrique du Nord, des zones espagnoles du Maroc, et, dans les années 70, de l’immigration de Juifs d’Amérique latine. Ces deux communautés constituent aujourd’hui les deux groupes majoritaires.

La diversité de la population juive a permis la création, à Barcelone, de nouvelles communautés, institutions et associations culturelles, dont un Festival du Cinéma juif, qui célébrera cette année sa 19ème édition.

Combien de Juifs vivent à Barcelone?

Il est difficile de déterminer le nombre puisque dans le recensement de l’État espagnol, on ne demande jamais la religion d’un citoyen. Mais nous estimons qu’il y a aujourd’hui environ 20 000 Juifs à Barcelone. Ces dernières années, un grand nombre d’Israéliens, attirés par la qualité de vie qui prévaut dans notre ville, s’y sont établis.

Le 17 août dernier, un brutal attentat terroriste, perpétré par des djihadistes, a semé la mort et le chaos en plein cœur de Barcelone. Comment votre communauté a-t-elle vécu cette journée noire?

À l’instar du reste de la société barcelonaise, nous avons été profondément bouleversés. Comme je vous l’ai dit précédemment, depuis que l’Espagne est devenue une démocratie, notre communauté participe activement au cadre institutionnel de Barcelone. Nous sommes Barcelonais et Juifs, ou Juifs et Barcelonais. Barcelone est une ville qu’il est facile d’aimer.

Bien que nous avons vu le terrorisme frapper avec force d’autres capitales européennes, nous n’étions pas préparés à subir une épreuve aussi douloureuse. Je suis très fier de la réaction des Barcelonais, et de ma communauté en particulier, qui s’est mobilisée pour offrir son aide à tout moment aux autorités publiques. Dans des moments comme ceux-là, il est très important de montrer que nous sommes tous unis.

Un autre engagement important de notre communauté est sa participation au dialogue interreligieux. Nous avons des contacts étroits avec les représentants attitrés des autres confessions. Les élèves de collèges barcelonais visitent chaque semaine la synagogue de notre communauté. Nous organisons aussi des événements publics pour montrer et expliquer à nos concitoyens non-Juifs ce qu’est le judaïsme. La réponse de ces derniers est très positive. Je suis résolument convaincu que nous devons poursuivre ce travail de rapprochement. Le terrorisme ne changera jamais notre manière de vivre notre judaïsme à Barcelone.

Comment les Juifs de Barcelone ont-ils vécu la journée tumultueuse et violente du 1er octobre dernier, au cours de laquelle les Catalans ont été conviés, via un référendum, à se prononcer sur l’avenir politique de la Catalogne?

Nous avons vécu cette journée avec une grande tristesse. C’est une situation délicate. Le dialogue et la volonté politique de trouver des solutions pour dénouer cette crise sont le plus urgent en ce moment. Notre communauté est une institution religieuse et culturelle. Au sein de celle-ci s’expriment toutes sortes d’opinions politiques. Nous aimons cette diversité d’opinions et la respectons. Ce qui nous unit, c’est le judaïsme dans toute sa richesse.

Les membres de la communauté juive de Barcelone ont-ils vécu dans l’effroi les affrontements violents qui ont eu lieu le 1er octobre entre des groupes indépendantistes catalans et les forces de l’ordre espagnoles?

Je ne peux pas m’exprimer au nom de tous les membres de ma communauté, mais je crois que les scènes auxquelles nous avons assisté le 1er octobre dernier ne sont pas représentatives de notre société plurielle. Le dialogue et le rapprochement des positions politiques sont la solution que nous souhaitons tous.

Les Juifs ont toujours été très réfractaires aux nationalismes. Comment les Juifs de Barcelone perçoivent-ils le nationalisme qui a aujourd’hui le vent en poupe en Catalogne?

Je crois que définir les Juifs comme étant réfractaires au nationalisme, c’est une affirmation assez généraliste. Le nationalisme catalan a, et a eu dans le passé, beaucoup de couleurs et de saveurs. Dans la communauté juive de Barcelone, nous trouvons aussi beaucoup de couleurs et de saveurs. Quant à l’attitude des partis politiques à l’endroit de notre communauté, là où nous avons rencontré le plus de problèmes, c’est avec les mouvements d’extrême gauche qui, assujettis à une pensée unique et monolithique, adoptent des positions intransigeantes, surtout en ce qui a trait à Israël, et, par ricochet, par rapport à tout ce qui est juif. La campagne anti-israélienne BDS —boycott, désinvestissement, sanctions— est un bon exemple. Sur ce point, force est de reconnaître que les extrêmes gauches catalane et espagnole coïncident.

Comment les Juifs de Barcelone envisagent-ils leur futur dans une Catalogne qui accéderait à son indépendance politique?

Ce n’est pas parce que nous sommes Barcelonais et Juifs que nous pouvons prédire le futur. Nous vivons notre singularité avec fierté à l’intérieur des valeurs universelles de liberté, de respect et de dialogue. Cela ne changera jamais.