Rencontre avec l’écrivain Marc Levy

Marc Levy

Le romancier Marc Levy est un véritable phénomène dans le monde de l’édition littéraire. Ses romans, traduits en 49 langues, se sont vendus à plus de 40 millions d’exemplaires à travers le monde. Son premier livre, Et si c’était vrai… (Éditions Robert Laffont, 2000), a été adapté au cinéma, en 2005, par le studio de production américain Dreamworks. Il est l’écrivain français le plus lu dans le monde. En Chine, où il est une star, il est le seul auteur français à caracoler en tête des listes des meilleures ventes de livres. En 2017, il était aussi le seul Français à figurer parmi les auteurs les plus vendus sur le marché américain.

Marc Levy, qui vit à New York depuis dix ans, vient de publier son 19e roman, Une fille comme elle (Éditions Robert Laffont/Versilio).

Une savoureuse comédie sociale qui a pour décor un petit immeuble cossu de Greenwich Village, sur la Cinquième Avenue de New York, encore doté d’un ascenseur antique aux commandes duquel on retrouve le liftier Deepak, confident des occupants de l’endroit. Ce vieil Indien côtoie tous les jours des personnages loufoques et hauts en couleur. Ils ne sont pas tous Américains, mais tous foncièrement New-Yorkais.

La vie de cette microcommunauté joviale est chambardée lorsque le collègue de nuit de Deepak se blesse à la suite d’une chute dans l’escalier. Sanji, le neveu de Deepak, qui vient de débarquer à New York pour affaires, sera le sauveur de son oncle quand il accepte de revêtir le costume de liftier. Personne ne peut alors imaginer que ce jeune entrepreneur originaire de Bombay est à la tête d’une immense fortune. Depuis son arrivée à New York, il essaye, en vain, de se dépêtrer d’une cascade de quiproquos. Chloé, l’habitante du dernier étage, une artiste se déplaçant en chaise roulante, tombera vite sous le charme de ce jeune Indien des plus galants, mais fort mystérieux…

Une fille comme elle est un roman enlevant qui célèbre avec éclat New York et sa riche diversité culturelle. Il recèle aussi une réflexion perspicace et salutaire sur la différence de l’Autre, qui arrive à point nommé à une époque nébuleuse où, dans de nombreuses sociétés, le vivre-ensemble est sérieusement menacé par le racisme et la marginalisation des immigrants.

Nous avons rencontré Marc Levy lors de son récent passage éclair à Montréal.

Conversation à bâtons rompus avec un conteur d’histoires hors pair, affable et humble, encore étonné de son méga succès planétaire.

Votre nouveau roman nous prend de court. On ne s’attendait pas à être plongés dans une comédie de mœurs très new-yorkaise. On constate que, d’un livre à l’autre, vous aimez changer de genre littéraire.

C’est la seule obligation à laquelle je m’astreins. C’est plus qu’une obligation, c’est un désir, celui de ne pas m’enfermer dans un seul genre littéraire. Je sais que je ne facilite pas le travail de mon éditeur parce qu’on vit à une époque où il est plus facile de cultiver et d’entretenir un sillon. J’aime tellement écrire, que je m’ennuierais beaucoup si je devais chaque année réécrire le même livre et rester dans le même sillon. Mais la chose qui me rend le plus heureux, c’est quand un lecteur me dit: “Avec vous, on ne sait jamais à quoi s’attendre!”

Comment est née l’idée de ce roman?

En entrant un jour dans l’ascenseur d’un immeuble de la Cinquième Avenue de New York, je ne m’attendais pas du tout à rencontrer un liftier en pleine maîtrise de sa manivelle. Tout d’abord, il y avait le côté exotique d’un ascenseur entièrement manuel que seul un liftier expérimenté peut faire fonctionner. Mais ce qui s’est imposé à moi très rapidement en voyant cet homme de dos, c’était sa grande discrétion. En fait, les occupants de cet ascenseur parlaient et ne le voyaient pas, mais lui voyait tout. Le liftier est tout le temps là, il est la colonne vertébrale de ce microcosme social très particulier qu’est un ascenseur public. Cet homme est témoin de la vie de toutes les personnes qui habitent l’immeuble où il travaille. Il doit tout savoir sur eux, mais eux ne savent rien sur lui. Je me suis alors dit que c’était un ressort de comédie sociale formidable.

Votre sens de l’observation acéré est-il l’un des principaux ingrédients de la recette littéraire à succès Marc Levy?

 Mon imagination de romancier est nourrie par l’observation de petits faits et gestes de la vie quotidienne. L’écrivain est comme le peintre. Il absorbe tous les petits détails et toutes les petites choses de la vie qui, en fait, ne sont pas si petites que ça. Et puis de fil en aiguille, il bâtit patiemment sa trame romanesque.

Marc Levy (Antoine Verglas Studio, 2018)

“Une fille comme elle” débute avec un quiproquo, qu’on ne dévoilera pas ici, entre l’héroïne de cette histoire, Chloé, et un autre personnage important, Sanji, un jeune Indien bien nanti en visite à New York pour affaires qui, par un étonnant concours de circonstances, va se retrouver liftier de l’ascenseur de l’immeuble où Chloé réside.

Comme dans toute comédie qui se respecte, j’avais envie que l’histoire commence par un quiproquo. Finalement, ce qui est magnifique dans la vie, c’est que les moments de bonheur entre un homme et une femme sont souvent engendrés par un quiproquo inattendu. Le grand chanteur et poète feu Leonard Cohen disait: “Heureusement que c’est par les failles que la lumière entre et sort” (“There is a crack in everything That’s how the light gets in”).J’avais vraiment envie, particulièrement à un époque où la xénophobie a pignon sur rue, de porter un éclairage sur la différence de l’Autre, sur les différences qui nous unissent et nous désunissent. La rencontre entre une héroïne purement Américaine et un Indien fortuné qui vient de débarquer aux États-Unis était certes, au départ, une idée assez improbable. Faire en sorte que tout le monde croit à leur histoire d’amour, c’était un grand défi littéraire.

Ce roman est aussi une ode à New York. C’est une ville qui vous fascine?

Absolument. J’ai la chance extraordinaire de vivre à New York, une ville qui n’a jamais cessé de me fasciner et de me donner le tournis. Je dirais même que c’est une ville avec laquelle ma femme, Pauline Levêque, et moi faisons presque ménage à trois! Nous avons, d’un commun accord, décidé de nous établir à New York parce que nous sommes profondément amoureux de cette ville. Nous l’étions avant même de nous connaître. Pauline a fait ses premières armes de journaliste au bureau new-yorkais du magazine Premiere et moi j’ai débarqué à 17 ans dans le New York des années 80, qui n’est pas celui d’aujourd’hui. J’avais donc déjà eu un premier grand coup de foudre pour cette ville subjuguante. Nous caressions tous les deux le rêve d’y vivre un jour. New York est une ville que vous adorez ou détestez. Chose certaine, ce n’est pas une ville qui peut vous laisser indifférent.

Pour vous, New York incarne la quintessence de la diversité culturelle et du vivre-ensemble.

Indéniablement. La diversité est le fil rouge de l’histoire que je raconte dans Une fille comme elle et aussi le fil rouge de toute ma vie. Je n’ai eu de cesse dans ma vie d’être passionné par la diversité du monde et d’avoir envie d’aller à sa rencontre.

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Cette diversité culturelle n’est-elle pas sérieusement menacée aujourd’hui dans l’Amérique de Donald Trump?

Étant profondément amoureux de l’Amérique, et pas depuis hier, un pays qui a toujours fait partie de ma vie, le regard que je porte sur l’Amérique d’aujourd’hui me laisse penser, et m’autorise à dire, que celle-ci traverse une période très noire et sombre de son histoire. À mes yeux, l’Amérique n’a jamais été aussi éloignée de ses valeurs fondamentales et de sa constitution. Elle est désormais à la frontière, très fragile, de l’État de droit. Le niveau de corruption de l’actuel gouvernement de Washington est tel que les fondements de la démocratie américaine sont vraiment en danger. La corruption est quotidienne et omniprésente dans l’administration Trump. L’Office de la protection de l’Environnement a été confié à Scott Pruitt, un antienvironnementaliste qui a été l’avocat des lobbys pétroliers. L’Éducation a été donnée à Betsy DeVos, qui a “acheté” ce ministère-clé moyennant cinquante millions de dollars de contribution à la caisse électorale de Trump. Partisane invétérée de l’enseignement privé, elle mène une croisade acharnée contre l’enseignement public. Les lobbys n’ont jamais été aussi omniprésents à Washington.

N’êtes-vous pas trop sévère envers l’Amérique de Donald Trump?

Il faut voir la réalité en face, sans complaisance. Quand le président de la République d’un pays, en l’occurrence Donald Trump, déclare sans la moindre gêne que l’une de ses propriétés en Floride est la “Maison Blanche d’hiver”, on ne peut être qu’effaré! Les Trump se sont servis de leur nom, de leur fonction et de leur pouvoir pour promouvoir leur marque commerciale. Trump n’a jamais été un constructeur, toute sa vie il n’a fait que du “branding”. Quand un chef d’État, quel qu’il soit, s’attaque à la presse et à la liberté de la presse, on est au bord de l’État autocratique.

Qu’est-ce qui vous motive donc à continuer à vivre dans l’Amérique de Trump?

L’Amérique de Trump est une Amérique extrêmement turbulente et violente qui a fait régresser le pays. Mais ce n’est pas pour autant que je regrette d’y vivre parce que quand on aime quelqu’un, on ne s’en va pas quand il ne va pas bien, au contraire. Le monde libre espère que la présidence Trump n’est qu’une parenthèse dans l’histoire des États-Unis qui ne durera qu’un temps très court.

La vague de populisme qui déferle aujourd’hui sur les États-Unis n’est pas l’apanage exclusif de ce pays.

C’est vrai. Cette vague de populisme, d’autoritarisme est d’autocratie est un phénomène mondial qui ne cesse de se répandre. C’est un paradoxe frappant qui nous rappelle le grand paradoxe de la révolution russe d’Octobre 1917. Les déçus du libéralisme imaginent qu’en confiant le pouvoir à des milliardaires, c’est-à-dire à ceux qui ont le plus bénéficié du libéralisme, ils serviront mieux leur cause. C’est un grand leurre!

La différence de l’Autre est le thème central de ce roman.

Oui, c’est le fil rouge du roman. La différence de l’Autre est aussi notre propre différence. La façon dont nous prenons conscience très jeune de cette différence, qu’elle soit affective, sentimentale, physique, émotionnelle, ou un mélange de tout cela, et la façon dont la société perçoit cette différence et nous la fait ressentir, vont toute notre vie durant définir notre propension au bonheur ou au malheur. C’est la façon dont la société met en lumière nos différences qui va, quoi qu’on en dise, déterminer notre comportement dans la vie.

La défense de la liberté d’expression est un thème prépondérant dans vos romans.

Les nationalismes ethniques et autocratiques m’horripilent. J’ai toujours abordé dans mes romans les thèmes de la liberté d’expression et de la différence de l’Autre. C’est une question d’héritage. La pomme ne tombe jamais trop loin de l’arbre. On ne peut pas avoir la mémoire courte quand dans sa propre famille on a été victime de la différence —le père de Marc Levy, feu Raymond Levy, a combattu les nazis dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. On ne peut donc pas rester insensible au traitement accordé à la différence des Autres, ou alors on est devenu tout simplement un sale égoïste! Malheureusement, les dictateurs sont toujours légion dans le monde. Certains comptent même des adeptes zélés dans les pays occidentaux. C’est tout du moins le cas de Recep Tayyip Erdogan, un dictateur impitoyable qui n’hésite pas à envoyer des milliers de Turcs libéraux dans ses geôles. En France, dernièrement, des partisans échevelés d’Erdogan ont forcé des kioskistes à retirer les affiches d’un numéro du magazine Le Point présentant, à la une, Erdogan comme un dictateur. Ces fanatiques nous rendent service parce que leurs actes antidémocratiques éclairent les Français sur les méthodes abjectes employées par le président turc. Erdogan et ceux qui le soutiennent ont vraiment des tendances dictatoriales fascisantes.

Chaque printemps, vos très nombreux lecteurs attendent impatiemment l’arrivée de votre nouveau roman. La pression est-elle de plus en plus plus forte d’année en année?

Un écrivain a un énorme avantage par rapport à un cinéaste disposant d’un budget de plusieurs millions de dollars pour réaliser un film. Au montage, si le film ne lui plaît pas, il ne pourra pas se permettre le luxe de dire: “Comme je ne suis pas satisfait du résultat final, ce film ne prendra jamais l’affiche. Jetons-le à la poubelle!” Un cinéaste n’aura jamais cette prérogative. Écrire, c’est un exercice qui ne coûte rien, mis à part votre temps de travail. Au pire, si vous n’êtes pas satisfait du produit final, vous pouvez “deleter” intégralement le texte de votre manuscrit de votre ordinateur. Moi, j’ai failli mettre en charpie mon dernier roman. On n’est jamais satisfait dans le métier d’écrivain! J’étais constamment dans le doute pendant l’écriture de ce roman, qui pourtant est mon dix-neuvième. C’est le prix à payer quand vous n’avez pas cultivé un genre littéraire spécifique. Ce n’est pas le bouquin précédent qui me met de la pression, c’est le fait de redémarrer chaque fois à zéro, devant une page blanche. Dans un restaurant, du lundi au dimanche, il y a un plat du jour différent. Rendu au 19e, le chef cuisinier se dit: “Il faut que je travaille!”

Les critiques littéraires n’ont pas toujours été tendres à votre endroit. Certains journalistes vous ont même qualifié de “chef de file de la littérature de gare”. Ces critiques vous offusquent-elles?

Sincèrement, les critiques me laissent indifférent. Par contre, les critiques que ma femme m’adresse, surtout quand je cuisine, m’affectent terriblement! Pour le reste, je ne me prends pas assez au sérieux. Les critiques de ma femme et de mes amis, notamment en ce qui a trait à mes “talents” culinaires, je les vis très mal!