‘Ma vie chez les Juifs Hassidiques’

La célèbre intervieweuse Sonia Benezra (à droite) a été l’animatrice la causerie littéraire qui a eu lieu lors de la Soirée de lancement du livre de la journaliste Lise Ravary, “Pourquoi moi? Ma vie chez les Juifs Hassidiques”, à la Librairie Olivieri.                                    [Photo: David Ouellette]

Figure marquante du Jour­na­lisme féminin québécois et canadien -elle a été pendant plusieurs années la Rédactrice en chef du magazine Châtelaine et d’autres périodiques féminins majeurs-, rien ne prédisposait Lise Ravary, Québécoise de souche, éduquée chez les Franciscaines et les Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, à adhérer un jour, avec une conviction inébranlable, aux Traditions juives. Le “coup de foudre” entre Lise Ravary et le Judaïsme a eu lieu il y a vingt ans au Kotel de Jérusalem. Cette rencontre des plus inopinées avec le Judaïsme bouleversera profondément sa vie. Elle souhaite se convertir au Judaïsme par la voie orthodoxe, non pas pour épouser un Juif mais tout simplement parce que l’“Ap­pel” de cette religion mono­thé­iste plusieurs fois millénaire ne cesse de l’habiter. Pour réaliser ce voeu, elle devra se plier scrupuleusement aux injonctions formulées par des Rabbins ultra-orthodoxes très dogmatiques. Avant d’être apte à épouser le Judaïsme, la future convertie devra vivre au sein de deux familles hassidiques, qui l’accueillent très cha­leu­reuse­ment dans leurs demeures aux portes généralement closes. L’intransigeance et le fanatisme des Rabbins ultra-orthodoxes chargés de superviser son processus de conversion au Judaïsme la contraindront à rompre définitivement ses liens avec ce monde juif hyperrigoriste. Lise Ravary finit par se convertir au Judaïsme dans une Synagogue libérale de Montréal.

Lise Ravary relate sa rencontre avec l’univers juif hassidique, le Judaïsme et Israël dans un livre auto­bio­gra­phique iconoclaste et bouleversant, Pourquoi moi? Ma vie chez les Juifs hassidiques, qui vient de paraître aux Éditions Libre Expression. Un récit très captivant, truffé d’anecdotes, plu­sieurs très hilarantes, relaté avec une verve percutante et un style littéraire très efficace. Un  véritable Abécédaire du Judaïsme par le biais duquel Lise Ravary met en charpie une kyrielle de préjugés tenaces qui sévissent dans la société québécoise au sujet des Juifs Hassidim, du Judaïsme et d’Israël. Un livre exceptionnel qui arrive à point nommé à une époque où les stigmates sociaux laissés dans la société québécoise par le tumultueux débat sur les Accommodements raison­nables sont malheureusement toujours vivaces. Un témoignage très salutaire à lire absolument, toutes affaires cessantes.

C’est dans l’Espace littéraire archi­comble -plus d’une centaine de personnes étaient présentes- de la Librairie Olivieri, sise sur Côte-Des-Neiges, que Lise Ravary a lancé son livre. La célèbre animatrice Sonia Benezra -Lise Ravary amorcera bientôt l’écriture d’une biographie de Sonia Benezra- fut l’animatrice de cet événement. Ce lancement a été organisé par le Centre Consultatif des Relations Juives et Israéliennes (C.E.R.J.I.), Instance représentative officielle des Juifs du Canada, en collaboration avec les Éditions Libre Expression.

Lise Ravary nous a accordé une entrevue.

Canadian Jewish News: Pourquoi avez-vous attendu vingt ans avant d’écrire ce livre autobiographique?

Lise Ravary: J’ai patienté vingt ans avant d’écrire ce livre parce que je ne voulais pas trahir les deux Communautés hassidiques qui m’ont accueillie très affablement pendant les cinq années où j’ai suivi le processus de conversion au Judaïsme. Je ne voulais pas non plus leur demander la permission pour écrire ce livre. C’est une histoire très personnelle qui impliquait aussi des personnes, membres de ces deux Communautés hassidiques que j’ai fréquentées. J’avais l’impression qu’en écrivant ce livre j’allais les trahir. Mais le temps a fait son oeuvre, les gens changent. Le climat de tension interculturelle qui sévit au Québec depuis la crise des Accommodements raisonnables m’a fortement interpellée et motivée à écrire ce livre. Quand a vécu au sein d’une minorité conspuée, comme le sont les Hassidim, on voit les choses différemment. Je me suis dit que c’était une occasion extraordinaire pour faire un travail quasi pédagogique à travers la narration d’un moment majeur et très marquant de ma vie personnelle. J’ai eu une chance unique de passer autant de temps à l’intérieur de la Communauté hassidique. Je tenais à raconter ce qu’est réellement la vie au sein de cette Communauté juive ultra-orthodoxe avec des  références culturelles québécoises. J’ai essayé d’être le plus objective possible, même si je suis très critique par rapport à certaines choses qui m’ont beaucoup déçue dans la Communauté hassidique.

C.J.N.: Avez-vous bon espoir que votre livre puisse contribuer à réhabiliter l’image sérieusement écornée des Juifs Hassidim de Montréal?

Lise Ravary: Oui, j’espère que mon livre fera réfléchir les esprits obtus. À travers mon histoire, j’ai essayé de créer une passerelle entre deux mondes, qui se méconnaissent complètement. Si, aujourd’hui, dans certaines rues d’Outremont, au lieu de croiser des Juifs Hassidim habillés en noir et leurs femmes accoutrées de robes montantes aux manches longues et portant une perruque, on voyait déambuler des Moines Bouddhistes arborant de grandes robes roses, ayant fait le voeu de vivre entre eux dans le silence, la majorité des résidants d’Outremont trouveraient ces derniers très cool! Il y a des monomaniaques à Outremont, Pierre Lacerte et consorts… Si on se fie à certaines nouvelles relayées par les médias québécois, la Communauté hassidique se résume à une question de stationnement en double file où à un Eruv, un fil accroché en haut des poteaux téléphoniques pour dé­li­mi­ter le secteur pendant le Shabbat. C’est caricatural et très grotesque!  On ébouillante les vieux dans les C.H.L.D., mais on est outré lorsqu’on voit un fil suspendu à un poteau de téléphone! Entre un repère de Hells Angels ayant établi ses pénates à côté de notre domicile et une famille hassidique vivant en face de chez nous,  qu’est-ce que la majorité des Québecois choisiraient?

C.J.N.: On vous rétorquera certainement que les Hassidim, surtout les hommes, ne se distinguent pas particulièrement par leur affabilité, ni par leur savoir-vivre en société.

Lise Ravary: Vous avez entièrement raison. Les hommes Hassidim ne sont pas très sympathiques, ni gentils, ni très polis entre eux. Ce sont des gens plutôt brusques. Les Hassidim sont un peu à l’image d’Israël, qui comme vous le savez n’est pas le pays de la politesse, des manières élégantes et du tact.  Le service à la clientèle et les Juifs dans une même phrase, c’est plutôt une antinomie! C’est comme avoir dans une même phrase “Gastronomie” et “Ashkénaze”! Je dois vous avouer qu’en Gastronomie, les Sépharades s’en sortent beaucoup mieux que leurs coreligionnaires Ashkénazes. Bien que je me considère comme une Ashkénaze d’adoption -c’est la Tradition juive qui m’a accueillie lors de mon processus de conversion au Judaïsme-, je me délecte beaucoup plus avec les boulettes de poissons sépharades qu’avec le giltefish ashkénaze!

C.J.N.: Le mode de vie de la Communauté hassidique a-t-il désarçonné la Québécoise très laïque que vous étiez?

Lise Ravary: Dans les Communautés hassidiques, tout est réglé comme du papier à musique: la vie quotidienne, la vie religieuse, la vie familiale… J’ai été stupéfaite d’apprendre que quand une jeune fille Hassidique se marie, si elle est vraiment bien “entraînée” par sa mère, elle va faire ses menus pour les 30 prochaines années. Elle achètera 50 caisses de petits pois pour en avoir suffisamment en réserve jusqu’à la fin des temps! Chez les Hassidim, il n’y a pas de place pour l’improvisation.

C.J.N.: À la fin de votre livre, vous racontez que ce qui vous a poussée à rompre définitivement vos liens avec la Communauté hassidique c’est un événement des plus inattendus qui vous a profondément troublée: lorsque l’époux d’une femme membre d’une des deux Communautés hassidiques qui vous ont accueillie, et dont vous étiez devenue une proche amie, vous déclara qu’il était tombé amoureux de vous. Cette frasque sentimentale de la part d’un Juif ultra-orthodoxe a dû vous paraître des plus irréelles?

Lise Ravary: J’ai bien compris à ce moment-là que les Juifs Hassidim sont d’abord et avant tout des êtres humains en chair et en os. Ce ne sont pas des martiens! Ces derniers sont mûs par les mêmes pulsions que les autres êtres humains, sauf que les leurs sont encadrées. Au 19ème siècle, mes grands-parents Québécois Catho­liques auraient été probablement à l’aise avec la façon que les Hassidim ont de voir la vie. Ces Juifs très pieux sont déphasés par rapport à nous dans le temps, mais ne sont pas déphasés par rapport à nous en tant qu’être humains. Ils ont une peur noire de la modernité. À leurs yeux,  l’assimilation signifie la perte de tous leurs repères. Pour les Juifs Hassidim, notre monde, incarnation sauvage de la modernité, n’est qu’une une illusion, ce n’est pas la vie réelle.

C.J.N.: Le dogmatisme inflexible des Rabbins orthodoxes du Beth Din de Montréal a fini par vous contraindre à explorer une autre voie pour vous convertir au Judaïsme: celle d’un Judaïsme plus libéral et pragmatique.

Lise Ravary: J’aurais préféré que ça se termine autrement, mais ce que les Rabbins du Beth Din m’ont demandé comme condition préalable pour avaliser ma conversion au Judaïsme était inacceptable pour une mère. Ils m’ont dit sans ambages: “Nous avons un problème avec vos enfants. Nous ne voyons pas comment vous pourriez tenir une maison juive avec deux adolescentes non-Juives qui vivent avec vous. Nous aimerions que vos deux filles vivent en permanence avec leur père -j’étais déjà divorcée. Nous hésitons beaucoup à compléter votre conversion si vos filles continuent à vivre avec vous, même si ce n’est qu’une semaine sur deux”. Ces Rabbins étaient obsédés par les cheeseburgers. Ils craignaient avec effroi que mes filles ramènent ce fast-food non casher à la maison. Ce qui n’a jamais été le cas. Ils avaient aussi une obsession de l’“Arbre de Noël”. Ils craignaient que mes filles me demandent d’en ériger un à la maison durant les fêtes de la fin de l’année chrétienne. Elles ne me l’ont jamais demandé non plus. J’aurais dû me douter que les intentions de ces Rabbins à mon égard n’étaient pas du tout sincères lorsqu’ils m’ont de­mandé à mi-chemin de mon processus de conversion d’installer des cadenas sur les armoires où je gardais les aliments. Les membres des deux Communautés hassidiques que j’ai côtoyées pendant cinq ans étaient tout aussi révoltés que moi de la décision radicale arrêtée par les Rabbins du Beth Din. Des membres de ces Communautés sont intervenus pour demander aux Rabbins qu’ils reviennent sur leur décision. La Communauté hassidique m’a fortement soutenue durant cette éprouvante épreuve. Un autre événement très triste qui m’a aussi beaucoup révoltée, c’est d’avoir vu des membres et des Rabbins de la Communauté hassidique célébrer dans la liesse l’assassinat du Premier Ministre d’Israël, feu Yitzhak Rabbin.

C.J.N.: Que vous a apporté le Judaïsme?

Lise Ravary: Le Judaïsme m’a permis de mettre de l’ordre dans ma vie, aussi bien sur le plan spirituel que personnel. Le Judaïsme m’a aussi permis de réaligner mes valeurs et de trouver de vrais repères existentiels. Mes amis Hassidim m’ont appris à appartenir à un Groupe, à une Communauté, avec les responsabilités, les droits et devoirs qui incombent à celle-ci. Je les en remercie du fond de mon coeur. Aujourd’hui, je me définis comme “une Juive à la pige”! Comme la majorité des Juifs nord-américains, je ne vais pas souvent à la Synagogue. Mais, je fais attention à ce que je mange. Quand je triche et que je mange du bacon, je me sens très coupable!

In an interview, Québécois journalist Lise Ravary talks about her experience with two haredi communities and their rabbis when she decided to convert to Judaism, as recounted in her recent book.