Le conflit entre les Haredim et l’État d’Israël

Yaacov Loupo

“Je m’inquiète beaucoup plus de l’affaiblissement de la société israélienne provoqué par la guerre intestine délétère qui oppose aujourd’hui les Juifs ultraortho­doxes à l’État d’Israël que de la menace de la bombe atomique iranienne!”, lance à brûle-pourpoint en entrevue l’historien et sociologue israélien Yaacov Loupo.

Spécialiste reconnu du Monde juif ultraorthodoxe, Docteur en Sociologie de l’Université Paris-X, Yaacov Loupo, natif de Bucarest, Roumanie, qui a fait son Aliya avec sa famille en 1948, a enseigné l’Histoire et les Sciences politiques dans plusieurs Universités israéliennes. Il a été aussi Chercheur à l’Institut Floersheimer d’Études politiques de Jérusalem. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages très remarqués sur le Monde ultraorthodoxe israélien, dont The Shift in Haredi Society. Vocational Training and Academic Studies.

Dans un livre choc publié en hébreu en 2004, Chass deLita -la traduction française de cet ouvrage est parue en 2006 aux Éditions L’Harmattan sous le titre Métamorphose ultraorthodoxe chez les Juifs du Maroc. Comment des Sépharades sont devenus Ashkénazes-, qui a suscité des débats houleux en Israël, Yaacov Loupo fut le premier chercheur israélien à décrire, avec moult détails, le système de discrimi­nation dont les élèves d’origine sépharade sont victimes dans les Institutions scolaires ultraorthodoxes ashké­nazes d’Israël. Dans le cadre de ses Recherches universitaires, il a interviewé plusieurs fois l’ancien Grand Rabbin d’Israël et fondateur du Parti politique ultraorthodoxe sépharade, Shass, feu Ovadia Yossef.

Selon Yaacov Loupo, l’adoption prochaine d’une nouvelle Loi par la Knesseth, qui remplacera la Loi Tal, qui permettait jusqu’ici aux jeunes Haredim en âge de servir sous les drapeaux d’être exonérés du Service mili­taire ou d’un Service civil, attisera certainement les tensions, déjà très acrimonieuses, entre les Juifs ultraorthodoxes et l’État d’Israël.

“Beaucoup d’Israéliens sont très inquiets parce qu’ils croient que les affrontements entre les Communautés juives ultraorthodoxes et l’État israélien et ses Institutions seront à l’avenir de plus en plus violents. Les perspectives démographiques des Juifs ultraorthodoxes israéliens corroborent cette crainte. Aujourd’hui, ces derniers représentent environ 10% de la population israélienne, soit à peu près 850000 personnes. Dans le Système scolaire israélien, ils re­pré­sentent 25% des effectifs. Les démographes prévoient que d’ici une gé­né­ra­tion, les ultraorthodoxes représenteront environ 20% de la population israélienne et 40% des effectifs du Réseau scolaire israélien. Entièrement dépendants des subsides de l’État, puisque la majorité d’entre eux ne travaillent pas, les Haredim continueront à réclamer plus de subventions ­publiques pour financer leur vaste Réseau d’Écoles et de Yéchivot.”

Les Juifs ultraortho­doxes vivent dans un grand paradoxe, constate Yaacov Loupo: tout en exécrant le Système démocratique israélien, ils exploitent à fond ce Système par le truchement des Partis politiques religieux, omniprésents à la Knesseth, qui obtiennent des subsides gouvernementaux substantiels en faisant de la surenchère politique.

“Les Israéliens sont les seuls respon­sables de cette situation incongrue et très pernicieuse. Tous les Gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont été très conciliants envers les ultraorthodoxes, en acceptant de jouer à leur jeu perfide. Au lieu de leur apprendre à pêcher, nous leur avons fourni tous les jours le poisson! C’est pourquoi les Juifs ultraorthodoxes sont toujours complètement dépendants financièrement des con­tribu­ables israéliens. Aujourd’hui, on veut mettre fin à ce Système dysfonctionnel et abusif. Chose certaine: changer radicalement ce Système basé sur des prérogatives effarantes, ce ne sera pas une sinécure. Les Israéliens en sont bien conscients.”

Au début des années 2000, la révolte des Juifs ultraorthodoxes contre les décisions arrêtées par la Cour suprême d’Israël provoqua une grogne populaire anti-Hare­dim dans la société israélienne, qui a eu des répercussions dans l’arène politique israélienne, rappelle Yaacov Loupo. Le résultat de cette grogne contre les Haredim: l’entrée fracassante à la Knesseth de Yesh Atid, le Parti foncièrement anti-Haredim fondé par Yaïr Lapid, qui a obtenu 19 sièges lors des dernières élections législatives israéliennes.

D’après Yaacov Loupo, la guerre véhémente menée depuis plusieurs années par les ultraorthodoxes contre les Institutions laïques de l’État d’Israël est en train de miner la société israélienne.

“Si Israël est faible, il ne pourra pas assurer son avenir dans un Proche-Orient de plus en plus belliqueux. L’État d’Israël doit être fort et uni pour endiguer les me­­naces génocidaires que font peser sur lui ses ennemis arabes, l’Iran en tête. Aujourd’hui, le plus grand problème auquel Israël est confronté n’est pas l’Iran des Ayatollahs ou le Hamas, mais l’intégration des ultraorthodoxes dans la société israélienne. C’est un immense défi!”

In an interview, Israeli historian and sociologist Yaacov Loupo says the need to integrate the haredi community is the most serious challenge facing Israel.