L’Iran un nouvel Allié incontournable des Occidentaux?

Alexandre Adler

Depuis le début du Djihad lancé par l’État Islamique -appelé en arabe Daech-, un phénomène inusité s’est produit: le retour accepté tacitement par l’Occident de l’Iran comme grande puissance tutélaire de l’Irak, et sans doute aussi à terme de la Syrie, constate un spécialiste chevronné des questions géopolitiques du Moyen-Orient et internationales, l’historien et journaliste Alexandre Adler. 

Chroniqueur au grand quotidien français Le Figaro, fondateur de l’hebdomadaire Courrier International et auteur d’une quinzaine d’essais sur l’islamisme, le monde arabe et le conflit israélo-palestinien, Alexandre Adler vient de consacrer un essai remarquable et très éclairant à Daech Le Califat du sang (Éditions Grasset).

“Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que l’allié principal des États-Unis et de la Coalition militaire occidentale dans leur guerre contre Daech est l’Iran. Les Américains et leurs partenaires occidentaux ont compris que l’Iran est le seul pays capable d’enrayer les offensives militaires fulgurantes de Daech. Si l’Irak ne s’est pas totalement effondré, c’est parce que son armée est en passe d’être reprise en main et réorganisée sous commandement iranien”, explique Alexandre Adler en entrevue.

Les avions iraniens bombardent régulièrement les zones contrôlées par Daech en Irak et en Syrie, rappelle-t-il.

“Ce qui prouve qu’avant même la conclusion d’un accord sur la question nucléaire iranienne, il y avait déjà une coopération entre les Occidentaux et le régime de Téhéran. Pour éviter les incidents, avant d’effectuer des bombardements en Syrie et en Irak, pays où les forces de l’OTAN sont déployées, les Iraniens doivent se concerter minimalement avec les Occidentaux.”

L’accord-cadre sur le nucléaire que les grandes puissances et l’Iran ont signé à Lausanne le 2 avril dernier est-il un “très mauvais accord”, comme l’affirme catégoriquement le Premier Ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou?

“Pour l’instant, rien ne laisse présager que les Iraniens voudraient passer en force au stade nucléaire. Ils n’en ont aucun besoin. Si les Iraniens veulent créer une crise internationale et se retrouver dans l’isolement le plus complet, c’est à eux de voir. En tout cas, l’accord d’étape conclu le 2 avril entre le Groupe 5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne)  et le régime de Téhéran prévoit des mesures de vérification pointilleuses. Dans l’état de gel de leurs centrifugeuses, prévu dans cet accord, les Iraniens auraient besoin minimalement d’un an et demi à deux ans pour concevoir une bombe nucléaire opérationnelle. Pendant ces deux années, je peux vous assurer que l’Iran dégustera autant, et même un peu plus, que ce qu’il a déjà dégusté pendant l’application des sanctions économiques que les Occidentaux lui ont imposées, qui se sont avérées très efficaces.”

D’après Alexandre Adler, ceux qui fustigent l’accord conclu à Lausanne sont dans un “déni total de la réalité”. 

“Tous les opposants à cet accord devraient acheter des lunettes, mais pas des lasers. Il suffit de regarder pour voir. La société iranienne est en phase de démocratisation profonde. Il suffit de voir le cinéma iranien et l’ambiance effervescente qui règne ces jours-ci à Téhéran. Aujourd’hui, l’Iran est un pays qui a faim d’ouverture sur le monde. Les Iraniens, qui ont accueilli avec un grand enthousiasme la signature de cet accord sur le nucléaire, sentent bien que cette entente historique va permettre honorablement aux Occidentaux et à l’Iran de tourner définitivement une page noire de l’histoire tumultueuse de leurs relations. Cette page est déjà tournée!”

Benyamin Netanyahou “utilise massivement” la peur lancinante, “tout à fait compréhensible”, des Israéliens d’un Iran nucléarisé, estime Alexandre Adler.  

“Netanyahou laisse entendre que l’accord conclu avec les Iraniens est un caprice de Barack Obama et le résultat des sympathies islamistes de ce dernier. Il n’y a aucun doute qu’Obama n’est pas très favorable à Israël. Mais là où Netanyahou se trompe radicalement, c’est quand il affirme, avec une assurance déconcertante, que la position défendue aujourd’hui par les États-Unis dans le dossier nucléaire iranien n’est pas celle des Américains mais uniquement celle d’Obama. C’est faux. C’est l’establishment stratégique américain qui est arrivé unanimement à la conclusion que la seule alternative à la poussée de Daech était de revenir en force au Moyen-Orient. Une option que l’opinion publique américaine, républicaine comme démocrate, rejette vigoureusement. Donc, la seule option qui reste aux Américains est de bâtir des alliances sur le terrain de combat. L’Iran est ainsi devenu un allié incontournable des États-Unis et des autres pays occidentaux dans leur guerre contre Daech.” 

Évoquer l’éventuel succès de Daech est, dès lors, commettre “une vaste erreur de jugement”, estime Alexandre Adler. 

Le Chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, et ses séides ne parviendront pas à atteindre leurs objectifs macabres pour quatre raisons principales, explique Alexandre Adler:

1-L’État Islamique ne mord sur aucune “région utile” de la Syrie ou de l’Irak. Il est parvenu à unifier seulement les terrains vagues semi-désertiques des deux pays, à l’exception de Mossoul qui est, certes, une grande ville de culture arabe.

“Les régions contrôlées par Daech en Syrie et en Irak sont trop faibles sur le plan de la densité de population pour permettre à cette organisation islamiste terroriste de constituer une “Base verte” réellement stable et indépendante de l’aide de ses voisins.”

2-Les bases financières de la guerre menée par Daech sont déjà fortement compromises. Baghdadi et ses proches ont pris le pouvoir avec de l’argent provenant essentiellement du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de riches investisseurs Sunnites égyptiens et du Golfe persique. Or, aujourd’hui, les principales sources de financement de Daech se sont taries.

“Il n’y a presque plus de pétrole exploitable en territoire sunnite syrien, et il n’y en a pas du tout dans la partie irakienne. En outre, la revente du pétrole de contrebande en Turquie s’avère de plus en plus difficile avec des groupes d’insurgés kurdes dressés partout contre Daech.”

3-Malgré l’afflux de volontaires se joignant à leur Djihad, les combattants de Daech n’ont plus d’alliés véritables à proximité. Le Hamas sympathise avec leur combat mais ses troupes, cantonnées à Gaza, sont loin des champs d’opération de Daech. Et, tout le reste du monde musulman officiel leur est plus ou moins hostile: les Kurdes, l’Iran, les régimes irakien et syrien, l’Arabie Saoudite et le nouveau régime égyptien dirigé par le Maréchal al-Sissi. Une seule exception: la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

“Mais ce soutien de la Turquie d’Erdogan aux miliciens de Daech semble peu durable au regard des pressions exercées par l’Arabie Saoudite sur le régime actuel d’Ankara et du regroupement de plus en plus résolu des oppositions turques laïque, musulmane conservatrice et kurde que les Américains et les Européens ne pourront qu’encourager, sans doute discrètement pour commencer”, explique Alexandre Adler.

4-La faiblesse stratégique du mouvement Daech, qui ne sait plus dans quel sens il doit aller s’étant piégé lui-même dans le “contrôle improductif d’un territoire trop grand pour continuer l’offensive et trop petit pour assurer l’extension de la conquête de nouveaux territoires”.

Mais, en dépit de ces failles opérationnelles importantes dans la stratégie militaire de Daech, la menace que constitue cette organisation islamiste ultra-radicale doit être prise “très au sérieux” car les combattants de Daech sont aujourd’hui les plus structurés et les plus déstabilisateurs des divers mouvements islamistes, avertit Alexandre Adler.