Une entrevue avec le Grand Rabbin d’Israël

De gauche à droite: le Grand Rabbin Sépharade du Québec, le Rav David Sabbah, le Grand Rabbin Sépharade d’Israël, le Rav Shlomo Amar, et le Rabbin David Banon, leader spirituel du Centre Sépharade de Torah de Laval.

Illustre figure du monde rabbinique sépharade, le Rav Shlomo Amar, Grand Rabbin Sépharade d’Israël, a été l’invité d’honneur du Gala que le Centre sépharade de Torah de Laval a organisé le 4 juin dernier pour rendre hommage au fondateur et leader spirituel de cette Institution cultuelle, le Rabbin David Banon.

Le Rishon Letsion, qui a visité durant son séjour à Montréal plu­sieurs Institutions d’Études Tora­niques et Écoles juives, a été très touché par l’“accueil fraternel et très chaleureux” que lui a réservé la Communauté juive de Montréal, qu’il considère comme l’“une des plus belles Communautés juives du monde”.

“La Communauté juive de Mont­réal a évolué d’une manière impressionnante. Ce que j’ai vu durant mon séjour dans votre Communauté a dépassé de loin toutes mes attentes. J’ai rencontré une Communauté très soudée où les membres, Ashkénazes et Sépharades, se respectent beaucoup mutuellement et valorisent réciproquement les particularismes religieux et culturels de chacune des deux Communautés. Dans votre belle Communauté, les Rabbins collaborent étroitement dans une grande harmonie pour transmettre et perpétuer les valeurs de notre sainte Torah. La Communauté juive de Mont­réal est un modèle d’unité et de solidarité pour tout le peuple juif”, nous a dit le Grand Rabbin Sépharade d’Israël, le Rav Shlomo Amar, au cours de l’entrevue exclusive qu’il a accordée au Canadian Jewish News.

C’est le Rabbin Yaacov Elharar, Directeur du Bureau du Rishon Letsion, qui s’exprime fort bien dans la langue de Molière, qui a assuré la traduction de l’hébreu au français de l’entretien que nous avons eu avec le Grand Rabbin Shlomo Amar.

Cette rencontre a eu lieu au Grand Rabbinat du Québec, où le Grand Rabbin Sépharade d’Israël a été l’hôte de marque de cette Institution rabbinique et de son leader spirituel, le Rabbin David Sabbah, Grand Rabbin Sépharade du Québec.

Au moment où une révolution révulse le monde rabbinique orthodoxe israélien, le Grand Rabbin Shlomo Amar a affablement accepté de répondre à des questions d’une brûlante actualité.

Canadian Jewish News: Le 29 mai dernier, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a décidé officiellement que les Rabbins des courants Réformé et Conservateur d’Israël seront dorénavant payés sur fonds publics, à l’instar des Rabbins orthodoxes. Comment interprétez-vous cette décision qui a suscité l’ire des Rabbins orthodoxes israéliens?

Grand Rabbin Shlomo Amar: Pour Israël, le problème des mouvements Réformé et Conservateur est indéniablement un plus grand problème que le problème palestinien ou le problème que pose aujourd’hui l’abrogation de la Loi Tal.  Il ne faut pas se leurrer. Les mouvemements Ré­formé et Conservateur constituent un grand danger pour le Judaïsme et Israël. Ces mouvements ont fait énormé­ment de dégâts dans la Diaspora juive. L’assimilation d’une partie du peuple juif est la résultante de la politique très nocive de conversion au Judaïsme pratiquée tous azimuts par les mouvements Réformé et Conservateur.  Après la Shoah, le peuple juif comptait quelque 14 millions d’âmes. Aujourd’hui, le nombre de Juifs dans le monde a sensiblement décru à 13 millions. L’idéologie dangereuse prônée par les mouve­ments Réformé et Conservateur a grandement contribué à accentuer cette tendance démographique négative et fort alarmante. Jusqu’à présent, en Israël, ces deux mouvements n’avaient aucune force.  Soutenus financièrement par de riches mécènes Américains, les mouvements Réformé et Conservateur ont constitué en Israël un puissant lobby politique. Ils sont parvenus à obtenir une reconnaissance politique en soudoyant plu­sieurs politiciens israéliens. Chose certaine, en Israël, les mouvements Réformé et Conservateur ne repré­sentent rien du tout, ils sont très minoritaires. Si le gouvernement d’Israël ne se réveille pas, nous serons confrontés à un grand danger qui risque d’hypothéquer sérieusement l’avenir du peuple juif et du peuple d’Israël. On ne doit pas sous-estimer cet énorme danger qui pèse aujourd’hui sur le peuple juif.

C.J.N.: L’abrogation de la Loi Tal par la Knesseth, en juillet prochain, ne pose-t-elle pas un très grand défi aux milieux rabbiniques orthodoxes israéliens?

Grand Rabbin Shlomo Amar: Pour parvenir à une entente sur cette question capitale, toutes les parties concernées par l’abrogation de la Loi Tal devront s’asseoir autour d’une table pour dialoguer et trouver un accord satisfaisant et équitable pour tous les Juifs Israéliens, indépendamment de leur degré de pratique religieuse. Il faut absolument trouver une solution dans le calme et le respect mutuel. Le remplacement de cette Loi a fait grand bruit parce que la majorité des Israéliens étaient résolument convaincus que des élections générales étaient imminentes. Chaque Parti siégeant à la Knesseth a voulu alors se faire du capital politique en instrumentalisant la Loi Tal. Chaque Formation politique s’est mise à aigui­ser ses couteaux. La Loi Tal est rapidement devenue un grand enjeu politique et électoral. Des positions ­extrêmes, aux antipodes de la réalité, furent défendues avec poigne par des politiciens soucieux d’engranger des voix électorales potentielles. Mais, maintenant que le scénario de nouvelles élections législatives a été écarté et qu’un gouvernement d’union nationale dirige Israël, nous espérons que le calme va revenir et qu’on pourra trouver dans la concorde une solution équitable pour dénouer ce problème. Dans le passé, Israël est arrivé à résoudre des problèmes beaucoup plus complexes que celui posé aujourd’hui par l’annulation de la Loi Tal. Pour le bien de tout le peuple d’Israël, il faut absolument qu’une solution à ce problème soit trouvée dans le consensus et l’harmonie nationaux.

C.J.N.: Aujourd’hui, quelque 350000 Olims Russes sont considérés par le Grand Rabbinat d’Israël comme non-Juifs d’un point de vue Halakhique. Bon nombre d’Israéliens estiment que le refus catégorique du Grand Rabbinat d’Israël de convertir au Judaïsme ces citoyens qui se sont parfaitement bien intégrés dans la société israélienne est une position déplorable, radi­cale et incongrue. Comment le Grand Rabbinat d’Israël compose-t-il avec ce grand problème?

Grand Rabbin Shlomo Amar: La conversion au Judaïsme n’est pas une question politique, ni sociale, mais une question religieuse qui relève de la Halakha. Ce problème n’est pas nouveau. Tout au long de son Histoire, le peuple juif a été confronté à ce problème. Lors de la sortie du peuple hébreu d’Égypte, des Égyptiens qui s’étaient insinués dans la masse des Hébreux qui suivaient Moïse revendiquaient aussi d’être reconnus comme Hébreux. La conversion au Judaïsme est une question complexe qu’on ne pourra pas résoudre d’un coup de baguette ma­gique. C’est un long et exigeant pro­ces­sus qui requiert de la part de la personne non-Juive qui a décidé d’adhérer à la religion juive de la ré­flexion, de la persévérance et beaucoup de patience. Il faut donner du temps au temps. Se convertir au Judaïsme, ce n’est pas se voir décerner une Titre honorifique ou une Carte d’identité israélienne. Être Juif, c’est accepter d’adhérer avec conviction à un certain nombre de règles halakhiques plusieurs fois millénaire.

J’ai souvent discuté de cette question avec Ariel Sharon lorsqu’il était Premier ministre d’Israël. Deux questions majeures préoccupaient particulièrement Ariel Sharon: la Sécurité d’Israël et l’Aliya de plusieurs dizaines de milliers d’Olims de Russie non-Juifs. Ariel Sharon était conscient que la présence en Israël d’un grand nombre de Russes non-Juifs constituait une réelle menace pour la pré­serv­ation à long terme de la spécificité juive de l’État d’Israël.

Il y au­jour­d’hui en Israël quelque 300000 citoyens Israéliens d’origine russe dont le père et la mère ne sont pas Juifs. Un bon nombre d’entre eux sont des adultes âgés de 30, 35 ou 40 ans. On ne peut pas exiger de ces derniers qu’ils changent radicalement leur mode de vie en se convertissant au Judaïsme, une religion qui leur est étrangère. Qu’est-ce qui pourrait motiver ces Israéliens Russes, qui jouissent déjà pleinement de tous les droits civiques conférés par Israël à ses ci­toyens, d’épouser une religion avec laquelle ils n’ont pas d’affi­ni­tés? La procédure de leur conversion au Judaïsme aurait dû être amorcée en Russie et non après leur Aliya. Ceux qui voulaient absolument émi­grer en Israël auraient été alors motivés à se convertir au Judaïsme en bonne en due forme, dans le plus strict respect de la Halakha.

C.J.N.: Mais un nombre non négligeable de ces Israéliens d’origine russe non-Juifs hala­khiquement souhaitent se convertir au Judaïsme.

Grand Rabbin Shlomo Amar: Cette question ne pourra être résolue que dans le cadre de la Halakha. Il n’y a pas un autre chemin. Des conversions à la va-vite et bâclées créeraient des divisions au sein du peuple d’Israël. En effet, la majorité des Israéliens ne reconnaîtront jamais des conversions boiteuses faites à l’extérieur du cadre de la Halakha. Il faut comprendre qu’on ne peut pas convertir une personne non-Juive au Judaïsme en ­l’espace d’une journée ou de quelques jours. La conversion au Judaïsme est un processus très exigeant qui demande du temps. Il est impératif que ces conversions soient faites dans le cadre de la Halakha et dans un esprit consensuel. Nous n’avons pas besoin de créer en Israël un autre peuple, qui ne sera pas reconnu unanimement par tous les Israéliens.

C.J.N.: En Israël, la Tradition religieuse sépharade peut-elle contribuer à rapprocher les Juifs orthodoxes et les Juifs laïcs?

Grand Rabbin Shlomo Amar: L’unité du peuple juif a toujours été l’un des principes fondamentaux de la Tradition religieuse sépharade. Le Sé­phar­disme a toujours prôné la paix, la tolérance et le respect d’Autrui. Les Sépharades ont toujours marché sur le chemin lumineux empreint de sagesse patiemment tracé par leurs Rabbins au fil du temps. C’est ce chemin que doit emprunter aussi le peuple juif.