Les Carnets d’Israël et de Jérusalem de Chantal Ringuet

Chantal Ringuet

Les livres consacrés à Israël et au conflit israélo-palestinien, en langue française, éclairants, pertinents et qui vont au-delà du simplisme des manchettes quotidiennes ne sont pas légion.

Celui de l’écrivaine, chercheuse et traductrice montréalaise, Chantal Ringuet, Un pays où la terre se fragmente. Carnets de Jérusalem (Éditions Linda Leith, Montréal, 2017), se démarque notoirement par ses réflexions fort stimulantes sur Israël, un pays aux multiples facettes mal connues, ses analyses nuancées d’un conflit centenaire et des plus complexes et sa grande qualité littéraire.

Ces dix dernières années, Chantal Ringuet a séjourné six fois en Israël. En 2012, elle a étudié l’hébreu pendant quatre mois à l’Oulpan de l’Institut Rothberg de l’Université hébraïque de Jérusalem.

Spécialiste de la littérature yiddish, Chantal Ringuet est l’auteure de plusieurs recueils de poésie, qui lui ont valu, en 2009, le prix littéraire Jacques-Poirier, et de livres sur le Montréal yiddish. Elle a codirigé, avec Gérard Rabinovitch, un ouvrage collectif dédié à Léonard Cohen et traduit, avec l’historien Pierre Anctil, du yiddish au français, l’autobiographie du célèbre peintre Marc Chagall.

Elle a été boursière au YIVO, Institute for Jewish Research, à New York, chercheuse en résidence au Hadassah-Brandeis Institute, au Massachusetts, et écrivaine en résidence au Banff Centre for Arts and Creativity, en Alberta.

Récusant les visions binaires et les analyses réductrices, Chantal Ringuet s’emploie, dans son livre, à déboulonner des mythes tenaces au sujet d’Israël, et du conflit qui l’oppose depuis plus de cent ans aux Palestiniens.

L’écrivaine a sillonné Israël du nord au sud. Elle a rencontré de grands écrivains, des femmes juives et musulmanes, religieuses ou laïques, des personnalités spirituelles du judaïsme, de l’islam et du christianisme qui lui ont raconté, avec une passion ardente, leur Jérusalem, des spécialistes réputés du conflit israélo-palestinien…

Les pages qu’elle dédie à Jérusalem, où elle relate ses rencontres insolites avec des Hiérosolomytains, surtout des femmes, de diverses confessions religieuses, sont magnifiques et poignantes.

Chantal Ringuet déplore que beaucoup de personnes, au Québec aussi, aient une image dénaturée d’Israël et une vision binaire du conflit israélo-palestinien.

“Bon nombre de gens expriment haut et fort leur opinion sur le conflit israélo-palestinien sans avoir une connaissance minimale de son histoire et de ses enjeux réels. Ce qui me choque dans ce type de discours, ce n’est pas l’appui à la Palestine et à la création d’un État palestinien, que je partage, mais la perception très négative d’Israël que certains tentent d’alimenter, au point de “démoniser” ce pays”, nous a dit Chantal Ringuet en entrevue.

Les médias occidentaux, particulièrement en France, véhiculent une “image stéréotypée” d’Israël et du contentieux israélo-palestinien, ajoute-t-elle.

“C’est une couverture médiatique très “black and white”, très dichotomique. Israël est le méchant et les Palestiniens la victime. La problématique de la désinformation relative au conflit israélo-palestinien, qui, à mon avis, est extrêmement importante, est rarement abordée. Dans mon livre, j’ai essayé de démythifier des questions fondamentales ayant trait à Israël et à la Palestine, traitées régulièrement par les médias d’une manière souvent biaisée.”

D’après Chantal Ringuet, beaucoup de Québécois francophones appuient la cause palestinienne plus par un réflexe nationaliste que par une conviction idéologique profonde basée sur une bonne connaissance des principaux enjeux de ce conflit.

“Les Québécois, en général francophones, notamment les universitaires, les intellectuels et les artistes, se rallient d’entrée de jeu à la cause palestinienne. C’est un vieux réflexe chez les peuples qui se considèrent opprimés. Je ne comprends pas ce réflexe très spontané. Mais quand on n’a pas les éléments de base pour saisir les tenants et les aboutissants de ce conflit passionnel et des plus complexes, on est alors enclin à jeter un regard simpliste, et trop souvent biaisé, sur celui-ci.”

 

La question sulfureuse des relations entre laïcs et religieux dans la société israélienne l’intéresse grandement.

“Jérusalem est une ville de plus en plus religieuse. Ces dix dernières années, un bon nombre d’Israéliens laïcs qui vivaient à Jérusalem ont, contre leur gré, quitté définitivement la ville pour s’établir à Tel-Aviv car ils ne supportaient plus l’emprise, selon eux de plus en plus étouffante, des orthodoxes sur Jérusalem. On m’a raconté toutes sortes de récits. C’est cent fois pire qu’à Outremont ! Des problématiques majeures divisent religieux et laïcs : les ultra-orthodoxes sont exemptés de service militaire, les femmes laïques ont maille à partir avec les autorités religieuses qui régissent l’accès au mur des lamentations de Jérusalem, la question du divorce religieux… Ce sont des questions cruciales qui font l’objet de débats virulents dans la société israélienne.”

Israël n’est pas une “société compacte et monolithique”, mais, au contraire, “hétéroclite et des plus diversifiées culturellement”, rappelle Chantal Ringuet.

L’écrivaine relate ses rencontres avec des femmes israéliennes et palestiniennes de diverses confessions religieuses et obédiences idéologiques, dont elle brosse les portraits.

Un jour, dans un restaurant de Jérusalem, elle a fait la connaissance d’Amira, une jeune palestinienne, habitante de Beit Hanina, une banlieue de Jérusalem-Est, qui étudie la littérature anglaise à l’Université de Bethléem. Elles ont poursuivi, par courriel, leurs échanges animés sur leur vision des femmes, de la religion, des rapports entre hommes et femmes et des relations entre Israéliens et Palestiniens.

“La vision de la vie et des choses d’Amira est à la fois nuancée et surprenante. J’ai intégré une partie de nos conversations dans mon livre, car son point de vue est des plus intéressants et prometteurs. Amira appartient à une nouvelle génération de Palestiniens, celle qui bâtira “l’avenir”. Je suis convaincue que les leaders israéliens et palestiniens qui parviendront un jour à faire la paix émergeront de cette génération.”

Un pays où la terre se fragmente. Carnets de Jérusalem est un livre percutant qui donne la parole aux femmes d’Israël et de Palestine, trop souvent marginalisée.