Enjeux et défis des élections en Israël

Jacques Bendelac

L’économiste israélien Jacques Bendelac participera à un panel-débat sur les enjeux et les défis des élections israéliennes qui auront lieu le 9 avril prochain.

Ce panel se tiendra le mercredi 27 mars, à 20 h, à la Congrégation Or Hahayim, à Côte Saint-Luc. Les autres panélistes invités: le politologue Julien Bauer, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et auteur de plusieurs livres sur Israël et son système politique, et le politologue Sami Aoun, professeur à l’Université de Sherbrooke et auteur de plusieurs ouvrages sur les questions politiques du Moyen-Orient.

Cet événement est parrainé par le consulat général d’Israël à Montréal, la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ), la Congrégation Or Hahayim, la Fédération sépharade du Canada, le Centre Cummings pour aînés et la Claims Conference.

Jacques Bendelac donnera aussi une conférence sur l’économie israélienne à l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC).

Docteur en économie, enseignant et chercheur, spécialiste reconnu de l’économie israélienne et des relations économiques israélo-palestiniennes, directeur de recherche à l’Institut israélien de sécurité sociale, à Jérusalem, Jacques Bendelac est l’auteur de huit livres sur l’économie israélienne, la société israélienne, les Arabes d’Israël et les relations entre Israël et les Palestiniens.

Son dernier livre : Israël, mode d’emploi (Éditions du Plein jour, 2018).

Il nous a livré son analyse des enjeux du scrutin législatif du 9 avril.

Ces nouvelles élections sont-elles cruciales ou ont-elles un air de déjà-vu?

Si ces élections marquent la fin de l’ère Netanyahou, qui bat le record de longévité politique, alors oui, il s’agit d’un évènement crucial pour la vie politique en Israël et pour l’avenir de la démocratie tout entière. En fait, ce qui est nouveau dans les législatives du 9 avril prochain, c’est la redéfinition de la droite et de la gauche. Vues de Jérusalem, ces élections sont les moins idéologiques que le pays ait jamais connues. Ce qui oppose la droite et la gauche israéliennes en 2019, ce ne sont plus tellement les dossiers économiques, sociaux ou même sécuritaires. La ligne de partage politique s’est déplacée. Désormais, l’électorat israélien est divisé en deux clans, pour “Bibi” et contre “Bibi”. Ce ne sont donc pas des idéologies qui s’opposent, mais des personnes, et cela n’avait jamais été autant accentué dans le débat politique en Israël qu’aujourd’hui.

Je dirais même que dans l’Israël de 2019, être de “gauche” (c’est-à-dire contre Bibi) est devenu infamant: c’est une dénomination péjorative, presque une insulte. Or, être pour ou contre Bibi, c’est aussi choisir un type de société. Par exemple, les Israéliens devront se prononcer sur la place qu’ils veulent donner à la culture, aux médias ou à la justice dans leur pays, sur les relations entre Juifs et Arabes israéliens ou entre religieux et laïcs.

Quels sont les principaux enjeux de ce scrutin législatif ?

Il y a un décalage entre les enjeux que les candidats à la Knesset soulèvent — qui se résument souvent à soutenir Netanyahou ou à le faire tomber — dans leur campagne électorale et les préoccupations quotidiennes des Israéliens. Celles-ci sont les véritables enjeux du scrutin du 9 avril. L’Israélien de 2019 ne comprend pas pourquoi le coût de la vie est si élevé dans son pays, pourquoi les transports en commun fonctionnent si mal, pourquoi il doit attendre longtemps dans un hôpital pour être soigné, pourquoi il est difficile de se loger décemment et à un prix abordable, etc. N’oublions pas que 1,7 million d’Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit un Israélien sur cinq, et qu’Israël est encore une des sociétés les plus inégalitaires des pays occidentaux.

Si les enjeux quotidiens sont économiques et sociaux, c’est le choix de société qui est au centre du véritable débat électoral avec, par exemple, la question de la place de la religion, notamment l’ouverture des commerces le Shabbat. Sans oublier la paix avec les Palestiniens qui, étrangement, n’est pas à l’ordre du jour de la plupart des partis politiques alors que le plan de paix de Donald Trump va être prochainement dévoilé.

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Quel impact aura sur ces élections la décision du procureur général de l’État d’Israël, Avichaï Mandelblit, de déclencher une triple procédure d’inculpation contre Benyamin Netanyahou?

Nul doute que l’annonce du procureur général a changé la donne. Elle pourrait influencer autant le résultat des élections que la formation de la prochaine coalition. En revanche, c’est l’inconnu qui subsiste quant à l’ampleur des répercussions d’une inculpation: l’électorat israélien est volatile et diversifié, et les tendances qui apparaissent dans les sondages sont contradictoires, ce qui fait qu’une surprise dans un sens ou dans l’autre ne peut être exclue. Il y a d’abord les fans inconditionnels de “Bibi” qui lui pardonnent tout et qui voteront pour lui même s’il est en prison! La décision du procureur général n’aura donc aucun impact sur eux. En revanche, les électeurs de droite ou de centre droite qui avaient l’intention de voter pour lui pourraient changer d’avis au profit du centre gauche ou de la gauche. On ne peut pas dire combien d’électeurs seront influencés, mais comme le scrutin s’annonce serré entre les grands blocs, il suffira qu’un petit nombre d’électeurs se détourne de Netanyahou pour que l’opposition de centre gauche obtienne la majorité des voix et prenne le pouvoir.

Après l’annonce du résultat des élections, la décision du procureur général aura aussi une incidence sur la formation de la prochaine coalition gouvernementale. Même si Netanyahou obtient la majorité des voix et parvient à former le prochain gouvernement, sa mise en accusation aura une influence sur ses futurs alliés politiques. Déjà, les deux leaders de la nouvelle alliance (la liste Bleu-Blanc), le général Benny Gantz, chef du nouveau parti Ossen Le Israël (Israël Résilience), et le centriste Yair Lapid, chef du parti Yesh Atid, ont annoncé qu’en aucun cas ils ne participeraient à une coalition avec le Likoud. C’est aussi ce qui a poussé Netanyahou à chercher des alliances sur sa droite, voire son extrême droite.

La décision de Benyamin Netanyahou de sceller une alliance politique avec une petite formation raciste, Force juive, dirigée par les héritiers du Rabbin xénophobe et foncièrement anti-arabe, Meïr Kahane, est-elle un signe de régression démocratique dans l’État d’Israël de 2019 ?

C’est un signe que la démocratie israélienne est malade, ou en tout cas malmenée. La dérive populiste de la droite israélienne n’est pas nouvelle. On se souvient qu’en 2015, Netanyahou avait déjà brandi la menace arabe. En 2019, le premier ministre cherche à consolider son flanc droit en s’alliant à une formation raciste que personne n’osait fréquenter ouvertement puisqu’elle revendique l’héritage du parti Kach, entré à la Knesset en 1984 puis interdit en 1988. C’est pourquoi, le sursaut de la démocratie est aussi un enjeu majeur du prochain scrutin. Les Israéliens devront affirmer leur attachement à leurs institutions démocratiques et à leurs contre-pouvoirs et se dresser contre toutes les formes de corruption.

Quelle est la probabilité que le tandem Gantz-Lapid forme et dirige le prochain gouvernement israélien?                                                                                 

Les chances de la liste centriste (Bleu-Blanc) sont bonnes puisque la plupart des sondages la donnent en tête du scrutin. Les intentions de vote des Israéliens en sa faveur se sont aussi renforcées avec la décision du procureur général d’inculper Netanyahou. Mais en Israël, il ne suffit pas d’obtenir le plus de voix aux élections pour être sûr de former un gouvernement. Il faut aussi être en mesure de réunir une coalition qui regroupe une majorité des 120 députés de la Knesset. En fait, tout dépendra de l’avenir personnel de Netanyahou puisque le duo Gantz-Lapid a annoncé qu’il ne siégera pas avec lui dans un gouvernement de coalition. Pour former le prochain gouvernement, la liste centriste devra élargir son alliance à tous les partis de centre droite et de centre gauche, y compris au Parti travailliste et peut-être aussi aux partis religieux et à certains partis arabes. Mathématiquement c’est possible, mais cela dépendra des scores obtenus par chacun de ces partis et de la volonté des politiciens de mettre de côté leurs ambitions personnelles au profit des intérêts nationaux.

Quel sera le poids des électeurs arabes dans ces élections ?

En 2019, les Arabes d’Israël constituent 20 % de la population israélienne mais ils n’ont que 13 députés à la Knesset, soit 10 % des sièges. Leur poids politique est inférieur à celui de leur population car la participation des électeurs arabes est généralement inférieure à la moyenne nationale. Pour le prochain scrutin, les quatre partis arabes (ou judéo-arabes) qui existent en Israël n’ont pas réussi à faire liste commune comme en 2015. La communauté arabe présente deux listes séparées, ce qui risque de diviser les voix et de réduire encore sa représentativité au parlement israélien. Toutes les enquêtes d’opinion confirment que cette fois-ci encore la participation des Arabes sera faible, ce qui montre le désintérêt de ces derniers pour la politique israélienne. Du reste, les listes arabes ont presque toujours eu une attitude neutre: elles restent en dehors du jeu politique en refusant de participer à une coalition. Tout au plus, les députés arabes peuvent soutenir une loi sans être membres de la coalition gouvernementale.

En fait, les Arabes d’Israël sont en pleine évolution politique. Ils font de moins en moins confiance à leurs représentants à la Knesset qu’ils accusent de s’occuper davantage de la question palestinienne que de leurs difficultés quotidiennes. En 2019, beaucoup d’électeurs arabes vont donner leurs voix aux candidats qui promettront d’améliorer les problèmes de la société arabe: le chômage, la violence, l’éducation, la santé, le logement, le statut de la femme, etc. Ils ont appris à apprécier la démocratie israélienne et n’hésiteront plus à voter pour une liste sioniste qui les aidera à mieux s’intégrer à la société.