Quand le Grand Rabbin sépharade d’Israël suscite la controverse

Le grand Rabbin sépharade d’Israël, Yitzhak Yossef

“Il y a beaucoup de goyim en Israël. Certains sont des communistes, hostiles à la religion, des ennemis de la religion (…). Je l’ai dit clairement et je vais le redire: quiconque laisse ces goyim venir travailler en Israël pour des considérations superflues agit à leur égard de manière malhonnête (…). Ces goyim russes ont été amenés chez nous pour que lors d’élections rien ne soit laissé aux ultra-orthodoxes. Des goyim vraiment complets. Désormais, un amendement à la Loi du retour est une priorité majeure (…).”

Ces propos décapants sur les olim de Russie, prononcés dernièrement par le Grand Rabbin sépharade d’Israël, Yitzhak Yossef, ont suscité un énorme tollé en Israël.

Le président et le premier ministre d’Israël, Reuven Rivlin et Benyamin Netanyahou, ont condamné vigoureusement ces déclarations, qu’ils ont qualifiées de “scandaleuses”.

Quelque 430 000 citoyens israéliens originaires de l’ancienne Union soviétique ne sont pas considérés comme Juifs par le Grand Rabbinat d’Israël.

Nous avons recueilli les réactions de deux personnalités rabbiniques israéliennes: le Rabbin Haïm Amsalem, ancien député du Shass, évincé de ce parti ultra-orthodoxe sépharade à la suite d’un profond différend avec sa direction, et auteur de plusieurs ouvrages de Halakha, et le Rabbin Moché Eliyahou Bousso, petit-fils d’une illustre figure du judaïsme marocain, le Rav Baba Salé, et Roch Yéchiva de la Yéchiva Maor, sise à Jérusalem.

Deux points de vue antinomiques.

Les propos du Grand Rabbin Yitzhak Yossef sur les olim russes vous ont-ils choqués ?

Rabbin Haïm Amsalem: Je l’ai dit publiquement et d’une façon claire: le Grand Rabbin Yitzhak Yossef se trompe complètement. Il y a longtemps qu’il s’est écarté du chemin tracé par son père, feu le Grand Rabbin Ovadia Yossef. Il a choisi le désastreux chemin emprunté par les Rabbins lituaniens ashkénazes extrémistes. Il est en train de causer de graves dégâts au sein du peuple juif, en Israël et dans la diaspora. Pourtant, le Grand Rabbin Ovadia Yossef avait bien dit qu’il fallait accueillir les olim provenant de l’ex-URSS à bras ouverts et ne pas soupçonner de mauvaise foi ceux qui voulaient absolument faire partie intégrante du peuple juif. Les olim russes sont montés en Eretz Israël grâce à la Loi du retour promulguée en 1948, au lendemain de la création de l’État hébreu. Aujourd’hui, près d’un demi-million d’Israéliens russes ne sont pas considérés comme Juifs halakhiquement par le Grand Rabbinat d’Israël. Un bon nombre d’entre eux souhaitent ardemment être reconnus comme Juifs. Ils sont parfaitement bien intégrés dans la société israélienne: ils parlent l’hébreu, servent dans Tsahal, étudient dans les meilleures universités du pays, œuvrent dans tous les secteurs professionnels, payent leurs impôts… Ils veulent absolument faire partie du peuple juif en se convertissant mais se heurtent aux nombreux obstacles que leur pose le Grand Rabbinat d’Israël. Quand ces Russes vivaient en URSS, Israël les considérait comme des patriotes juifs. Aujourd’hui, après avoir fait leur Aliya, les dirigeants du Grand Rabbinat d’Israël les qualifient de goyim. Quelle grande ironie!

Rabbin Moché Eliyahou Bousso: Mon opinion est très claire à ce sujet: j’approuve non pas à 100 % mais à 1000 % les propos tenus par le Grand Rabbin Yitzhak Yossef au sujet des olim russes. Un très grand nombre d’entre eux vouent une haine profonde aux Juifs et au judaïsme. Ils constituent un grand fléau dont nous devons nous débarrasser au plus vite. Ces Russes, qui ont amené avec eux en Israël l’héritage sinistre du communisme et de l’idéologie stalinienne, ont fait leur Aliya par pur opportunisme, pour profiter pleinement des avantages que l’État d’Israël offre aux nouveaux olim. Ceux qui sont nés Juifs, partiellement ou entièrement, ont un certain respect pour le judaïsme. Mais, malheureusement, ils ne constituent qu’une infime minorité. Quant aux autres, Israël n’a pas besoin d’eux. J’approuve entièrement le Grand Rabbin Yitzhak Yossef lorsqu’il dit qu’il est impératif de changer la Loi du retour. Nous nous devons de combattre fougueusement tous ceux qui haïssent Israël et les Juifs. Qu’ils retournent vivre en Russie. Ce n’est pas parce qu’ils vont à l’armée et payent leurs impôts qu’ils peuvent se permettre de profiter honteusement des avantages que leur prodigue Israël tout en continuant à dénigrer, sans le moindre scrupule, le judaïsme.

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Peut-on trouver des solutions halakhiques au problème de la conversion au judaïsme de ces olim russes ?

Rabbin Haïm Amsalem: Aujourd’hui, des milliers d’Israéliens d’origine russe souhaitant se convertir au judaïsme se heurtent à l’intransigeance du grand Rabbinat d’Israël qui leur impose un processus de conversion jusqu’au-boutiste rempli d’entraves. Ce processus de conversion n’a qu’un but: les décourager. Leur conversion est devenue quasi impossible dans l’actuel système rabbinique israélien. Pourtant, une solution à ce problème pourrait être trouvée. Dans le domaine des conversions au judaïsme, au niveau de la Halakha, il y a le système de Beth Hillel, le système de Beth Shamaï, le système instauré par le Rav Ben-Zion Uziel, Grand Rabbin sépharade dans la Palestine mandataire britannique, qui a été l’un des principaux fondateurs de la Rabbanout en Israël. Mais, les Rabbins ashkénazes ultra-orthodoxes ont fait une OPA (offre publique d’achat) sur le Grand rabbinat d’Israël. Ils contrôlent entièrement le système des conversions. Les Rabbins sépharades sont marginalisés dans ce dossier. Ils suivent à la lettre les injonctions halakhiques édictées par les Rabbins ashkénazes appartenant à la mouvance lituanienne. La conversion au judaïsme n’a pas commencé avant-hier. Nous qui venons du Maroc ou d’Algérie, on ne peut pas ignorer la contribution notoire de nos plus illustres Rabbanim dans ce domaine: Rabbi Yossef Messas, Rabbi Messod Cohen, Rabbi Shalom Abehsera… Ces ingénieux Rabbins ont toujours trouvé des solutions dans le cadre de la Halakha. Mais, aujourd’hui, le Grand Rabbinat d’Israël demande à ceux qui veulent adhérer au judaïsme ce qu’il n’oserait jamais demander aux Juifs. Si une personne est sincère dans son souhait de retourner à ses racines ancestrales — son père ou son grand-père était Juif —, elle est considérée comme la “semence d’Israël” (“Zera Israël“). Les Rabbins n’ont pas besoin de compliquer sa situation, au contraire ils doivent l’alléger. Le résultat de cette politique est catastrophique: de nombreux jeunes israélien(ne)s d’origine russe sont contraint(e)s de vivre en concubinage car ils, ou elles, ne peuvent pas se marier religieusement. Le mariage civil n’existe pas en Israël.

Rabbin Moché Eliyahou Bousso: Vous faites confusion entre les procédures religieuses inhérentes à la conversion au judaïsme et un grave problème de société: la haine viscérale que beaucoup d’olim russes vouent au judaïsme et au peuple juif. La question de la conversion au judaïsme n’est pas un enjeu de Sépharades versus Ashkénazes. Une seule Halakha doit régir cette question fondamentale. La procédure suivie par le Grand Rabbinat d’Israël en matière de conversion a un seul but: préserver l’intégrité du judaïsme. Si on ne facilite pas les choses à celui ou celle souhaitant se convertir, c’est parce qu’on veut s’assurer qu’il ou elle est vraiment sincère dans sa démarche. Adhérer au judaïsme par commodité ou pour rendre heureux son partenaire juif, c’est un affront aux traditions plurimillénaires du judaïsme. Il y a eu beaucoup d’abus dans certaines communautés juives, notamment dans la diaspora. Le judaïsme est une affaire de sincérité, pas de commodité. Les citoyens israéliens non juifs désireux de devenir pleinement Juifs doivent absolument accepter les règles en vigueur et se soumettre aux normes établies par le Grand Rabbinat d’Israël. On ne peut pas esquiver la réalité, ni la vérité.