Quand Donald Trump “révolutionne” la politique américaine

U.S. President Donald Trump

Qui est réellement Donald Trump, un “clown”, un “showman”, un “raciste”, un “narcissique”, un “écervelé”… ou un “génie” en voie de “révolutionner” l’univers politique américain?

Dans un essai brillant et solidement documenté, Révolution Trump (Éditions Robert Laffont, 2020), le politologue Rafael Jacob retrace le parcours politique anticonventionnel de Donald Trump et déboulonne une kyrielle de mythes ayant la vie dure relatifs au 45e président des États-Unis et à son style de gouvernance politique hors norme.

Rafael Jacob (Martin Girard-Shoot Studio photo)

Spécialiste de la politique américaine, Rafael Jacob est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et analyste de l’actualité américaine pour des médias québécois majeurs.

Il nous a accordé une entrevue.

Le procès visant à destituer Donald Trump mis en branle par les démocrates ne risque-t-il pas d’avoir un effet boomerang, c’est-à-dire de renforcer sa popularité et d’accroître ses chances de réélection en 2020?

Je doute que ce procès en destitution renforce ou affaiblisse énormément Trump. Ce qu’on constate depuis le début de cette affaire, c’est que le taux d’approbation de Trump dans l’opinion publique américaine n’a pas vraiment bougé. Il n’a ni augmenté, ni fléchi. Il demeure inélastique, se situant toujours aux alentours de 45 %. Rien n’indique que ce procès en destitution changera fondamentalement le niveau d’appui dont Trump bénéficie auprès du public américain. Par ailleurs, il faut garder en tête que le Sénat, contrôlé par le Parti républicain, requiert dans ses règles deux tiers des voix pour destituer un président. Peu importe que le Sénat soit à majorité républicaine ou démocrate, il faudrait que 67 sénateurs sur les 100 que compte cette institution votent en faveur de la destitution de Trump. C’est une barre excessivement haute. Ce qui explique pourquoi ce scénario ne s’est jamais réalisé dans l’histoire politique des États-Unis. Je ne pense pas qu’on soit à la veille de sa concrétisation.

Selon vous, Donald Trump a “révolutionné” la manière d’exercer le pouvoir politique aux États-Unis.

J’explique longuement dans le livre à quel point Trump est un “révolutionnaire” qui réinvente chaque jour la manière d’exercer le pouvoir. Dès le début de sa campagne présidentielle, en juin 2015, il a révolutionné la façon de faire campagne, aux antipodes des méthodes et des stratégies employées jusque-là par ses prédécesseurs. Une fois élu à la Maison-Blanche, il a continué à transformer et à révolutionner la façon d’exercer le pouvoir. Il a instauré des dynamiques particulières qui caractérisent sa présidence: le poids de la famille Trump dans les cercles du pouvoir, la bisbille intestinale dans son entourage, des rapports acrimonieux avec les médias nationaux qui ne partagent pas ses opinions politiques… L’Amérique n’avait jamais eu un président de la sorte.

Selon vous, Donald Trump n’est pas le “clown”, le “narcissique” ou le “déséquilibré mental” que ses détracteurs, et certains médias nationaux, s’escriment à dépeindre.

Il y a indéniablement un aspect clownesque, voire ridicule, dans la manière dont Trump exerce le pouvoir. Mais cette image caricaturale ne correspond pas du tout à la réalité qui est certes beaucoup plus complexe. Il y a une expression anglaise qui dit: “It burns a method in the madness” (“Dans toute folie, il y a une méthode incandescente”). Il existe bel et bien une méthode Trump. Elle est à l’œuvre tous les jours ne serait-ce que dans l’utilisation qu’il fait des médias. Trump baigne dans la controverse quotidienne. Depuis sa campagne électorale de 2015, il emploie une méthode bien particulière dont l’un des principaux objectifs est de monopoliser l’attention médiatique. Ça a fonctionné jusqu’ici. Je le démontre largement dans le chapitre du livre consacré aux médias. Trump est allé chercher une quantité totalement disproportionnée d’attention médiatique dès l’annonce de sa candidature à la présidence des États-Unis, et particulièrement lors des primaires du Parti républicain. Cette méthode inédite lui a donné un coup de pouce incommensurable. La méthode Trump n’est pas du tout le fruit du hasard ou de l’improvisation. Tout est calculé. S’il est vrai que Trump est un personnage imprévisible et excessivement impulsif, ça ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a aucune réflexion dûment mûrie derrière ses décisions.

Son utilisation abusive de Twitter et ses rapports avec certains médias sont sidérants.

Depuis sa campagne présidentielle de 2015-2016, Trump utilise frénétiquement son compte Twitter, par le biais duquel il distille en permanence des messages, peu amènes et bien souvent véhéments, à l’égard de ses adversaires politiques ou des médias avec lesquels il a maille à partir. Durant ses huit années de présidence, Barack Obama n’a envoyé qu’un peu plus de 300 tweets. Depuis le début de son mandat présidentiel, Trump en a émis plus de 2000. Il utilise régulièrement son compte Twitter aussi bien pour annoncer des décisions formelles de son administration que pour stigmatiser des personnalités politiques, des médias, des leaders politiques étrangers. On n’avait jamais vu ça. En ce qui a trait à ses relations avec les médias, elles sont très tendues depuis le début de sa présidence. Dans la logique de Trump, les “fausses nouvelles” (“fake news”) ne sont pas simplement produites par les médias majeurs: ces médias sont les “fausses nouvelles”. Il qualifie sans relâche certains médias de “médias de fausses nouvelles” (“fake news media”). Durant les élections de mi-mandat de 2018, il a envoyé un tweet dans lequel il a qualifié les médias majeurs américains d’”Ennemis du peuple”. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère!

Donald Trump s’apprête à dévoiler son plan de paix pour le Proche-Orient. Celui-ci sera-t-il le “deal du siècle”, comme l’ont annoncé ses principaux concepteurs, notamment son gendre, Jared Kushner, ou simplement une énième édition remodelée des plans de paix proposés dans le passé par des présidents américains pour dénouer le nœud gordien de l’interminable conflit israélo-palestinien?

Soyons prudents et attendons de voir ce que ce nouveau plan de paix pour le Proche-Orient contient. Vous avez raison. On n’en est pas au premier plan de paix proposé par une administration américaine. Concrètement, quand on parle d’absence de changements réels, le complexe dossier israélo-palestinien est un assez bon exemple. Je vous dirais d’emblée que je suis relativement sceptique par rapport à ce nouveau plan de paix, mais attendons de voir ce que Trump a à proposer de concret aux Israéliens et aux Palestiniens pour relancer un processus de paix qui stagne depuis plusieurs années.

Les États-Unis font face ces temps-ci à une forte recrudescence de l’antisémitisme. Nombreux sont ceux qui accusent Donald Trump, qu’on peut difficilement suspecter d’être antisémite, d’avoir attisé les braises de l’antisémitisme avec sa rhétorique populiste. Cette accusation est-elle fondée?

Je pense que c’est excessivement irresponsable d’établir un lien de cause à effet entre le regain d’antisémitisme aux États-Unis et la rhétorique de Trump. Si ce dernier était antisémite, peut-être alors qu’il serait justifiable ou raisonnable d’établir ce lien. Mais ce n’est pas le cas. La réalité est tout autre: alors qu’on dit que les alliances entre le gouvernement des États-Unis et certains gouvernements étrangers se sont affaiblies depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Trump, la relation avec Israël s’est nettement renforcée. Accuser Trump de la montée de l’antisémitisme, il faudrait qu’on m’en fasse personnellement la démonstration. Jusqu’ici, personne n’a été capable de la faire.

Un successeur de Donald Trump pourrait-il remettre en question la politique pro-Israël de ce dernier, notamment revenir sur sa décision fort controversée de déménager l’ambassade américaine des États-Unis à Jérusalem?

J’ai beaucoup de difficulté à envisager, à court où à moyen terme, qu’un successeur de Trump à la présidence des États-Unis, républicain ou démocrate, revienne sur sa décision de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. La réalité, c’est que Trump n’a fait qu’appliquer une loi que le Congrès américain avait adoptée il y a une vingtaine d’années. Ni George Bush fils, ni Bill Clinton, ni Barack Obama n’ont appliqué cette loi. Ils n’ont fait que reporter à une date ultérieure sa mise en œuvre. Pourtant, il y avait une volonté très nette, tout du moins de la part du Congrès américain, pour que ce projet de déménagement se concrétise. Aucun président ne pourra renverser cette décision sans l’appui du Congrès. J’envisage difficilement la réalisation de ce scénario, du moins à court ou à moyen terme. Un tel geste serait perçu par une majorité d’Américains comme un pied de nez énorme à l’endroit d’Israël. Cette décision sera certainement l’un des legs de la présidence Trump qui ont de fortes chances d’être pérennisés.

Le dossier du statut légal des colonies de peuplement israéliennes sises en Cisjordanie semble être moins consensuel aux États-Unis. Un successeur de Trump pourrait-il remettre en question sa décision de répudier la position juridique américaine adoptée en 1978 selon laquelle les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens bafouent le droit international?

C’est vrai, c’est un dossier plus épineux et moins consensuel que celui du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Un successeur de Trump adoptant sur cette question une position moins pro-israélienne n’est pas un scénario à exclure totalement. Tout dépendra de qui va lui succéder à la Maison-Blanche. La question reste ouverte.

Donald Trump a recours à des procédés anticonventionnels, souvent basés sur la brusquerie ou l’intimidation, pour essayer de régler des dossiers complexes et chauds: l’Iran, la Corée du Nord, les relations commerciales avec la Chine… Son style de négociation est plutôt décapant.

Ce sont des dossiers complexes et différents qu’il faut examiner cas par cas. Pour l’Amérique, l’Iran et la Corée du Nord constituent des menaces militaires potentielles. La Chine représente une menace économique, politique, géopolitique, militaire et culturelle à court, moyen et long terme. Étrangement, le dossier chinois est celui dont on parle le moins, ceux de l’Iran et de la Corée du Nord étant plus tape-à-l’œil, plus sensationnalistes. Dans les dossiers iranien et nord-coréen, Trump a exercé de fortes pressions et employé une rhétorique très musclée afin de faire fléchir les régimes au pouvoir à Téhéran et à Pyongyang. Il est bien loin d’avoir gagné son pari. Par contre, il a changé fondamentalement la relation des États-Unis avec la Chine. Depuis plusieurs années, les Américains jonglent avec l’idée de confronter davantage la Chine pour modifier le rapport de force entre les deux pays. Trump est le premier président américain depuis le début du XXIe siècle à mettre à exécution, activement et agressivement, ce dessein, surtout sur le plan commercial. La Chine et les États-Unis viennent de signer la première phase d’un accord commercial. Jusqu’à quel point Trump sera-t-il capable de remodeler la relation commerciale avec la Chine, qui possède l’une des économies les plus gigantesques de la planète?

Dans le dossier des rapports commerciaux avec la Chine, Donald Trump n’y est pas allé de main morte. C’est à coup de semonces et de menaces qu’il est parvenu à contraindre le gouvernement de Pékin à signer un accord commercial.

Dans ce dossier majeur, Trump est parvenu à faire ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a pu accomplir: forcer la Chine à s’asseoir à la table des négociations. Pour y arriver, il a employé une méthode frontale et brusque: imposer une hausse des tarifs douaniers agressive. Les opposants à Trump et les prophètes de malheurs se sont empressés de claironner que cette mesure allait avoir des répercussions très négatives sur l’économie américaine. Or, l’économie américaine continue à se porter extraordinairement bien alors que l’économie chinoise s’essouffle.