Un très grand Maître nous a quittés

Une des plus illustres figures de la musique classique arabo-andalouse, Salomon Amzallag, plus connu sous son nom artistique de Samy Elmaghribi, nous a quittés. Ce brillant chanteur et compositeur est décédé à Montréal le 9 mars dernier, à l’âge de 86 ans.

“La musique, c’est toute ma vie, toute ma passion. Tant que l’Éternel me donnera la force et me le permettra, je continuerai à chanter”, nous avait confié très ému Samy Elmaghribi au cours d’une entrevue qu’il nous avait accordée à l’automne 2002, à la veille d’entamer en Israël une tournée musicale organisée en son honneur pour célébrer son 80ème anniversaire de naissance.

Une tournée triomphale au cours de laquelle il a donné une vingtaine de récitals dans des villes israéliennes: Jérusalem, Tel-Aviv, Haïfa, Beer Shevah, Kfar Sabbah… Il était alors accompagné sur scène par le très réputé Orchestre andalou d’Israël, dont il fut l’un des fondateurs au début des années 90.

Samy Elmaghribi nous avait reçus très chaleureusement à son domicile, avec la courtoisie et l’affabilité qui l’ont toujours caractérisé. Il nous avait parlé avec un enthousiasme débordant de sa longue et brillante carrière artistique et de ses futurs projets de spectacles.

Né à Safi en 1922, Samy Elmaghribi a grandi au sein d’une famille religieuse, où la musique occupait une place prépondérante.

“Je suis né sous le signe du chant, le 7ème jour de Pessah, le jour où le peuple juif est sorti d’Égypte, nous a-t-il dit lors de cette rencontre. Or, d’après la tradition judéo-sépharade, Moshé Rabbénou a chanté quand les Hébreux ont traversé la Mer rouge. Le 8ème jour de ma naissance, mon père invita des Shilhat, des femmes chanteuses, pour qu’elles fredonnent des airs populaires près de mon berceau.”

Samy Elmaghribi a composé au cours de sa fructueuse carrière une centaine de chansons et enregistré des dizaines de disques. Il a donné des récitals dans de nombreux pays. La plupart de ses chansons font désormais partie intégrante du répertoire musical traditionnel arabo-andalou. Plusieurs de ses grands succès, notamment Omri ma nenssek ya mamma (Je ne t’oublierai jamais maman), sont devenus des chansons mythiques, aussi bien en Israël, dans les Communautés juives nord-africaines de la Diaspora que dans les pays arabes, où il comptait de très nombreux admirateurs.

Parallèlement au chant profane, Salomon Amzallag n’a cessé de cultiver son profond attachement à la liturgie juive. Outre celle de ses origines sépharades, il a découvert et interprété magistralement des morceaux choisis d’autres traditions liturgiques juives orientales et occidentales.

Il a été durant seize ans le Hazan de la Congrégation Spanish & Portuguese de Montréal. Il a été, pendant plusieurs années, le directeur pédagogique du Centre de Piyout Tikvaténou d’Ashdod. Il a assumé aussi les fonctions de Hazan à la Synagogue sépharade Beth Yossef, au New Jersey.

Il était très confiant en l’avenir de la tradition musicale judéo-andalouse.

“En Israël, cette riche tradition musicale se perpétue. Il y a des Académies qui s’évertuent à transmettre aux jeunes cette merveilleuse tradition musicale. Un énorme travail de conservation est fait pour perpétuer les piyoutim et les bakashot, qui sont le reflet de la musique andalouse. Les Paytanim interprètent les bakashot sur un air andalou”, nous rappela-t-il.

Très Sioniste, Samy Elmaghribi était viscéralement attaché à Eretz Israël. La musique, disait-il, est un “puissant moyen” pour rapprocher des peuples antagonistes.

Nous lui avions demandé si la recrudescence du conflit israélo-arabe n’avait pas amoindri l’engouement du public israélien d’origine nord-africaine ou orientale pour la musique arabe.

“Pas du tout, répondit-il sur un ton catégorique. Beaucoup d’Israéliens adorent toujours la musique arabe. Les Israéliens sont un peuple intelligent et épris de paix qui sait faire la distinction entre la beauté musicale d’une mélopée interprétée en arabe et le contentieux politique qui les oppose au monde arabo-musulman. La grande chanteuse égyptienne Oum Kaltoum était une ennemie jurée du peuple juif. Pourtant, les chansons de cette diva, notamment son mémorable succès Inta Omri, sont toujours très populaires en Israël. Je suis de ceux qui croient que la musique peut rapprocher des peuples qui se font la guerre.”

Samy Elmaghribi était une figure musicale légendaire dans le monde arabe, surtout dans les pays du Maghreb. L’annonce de son décès a suscité un profond émoi et une grande tristesse dans les Communautés juives sépharades du monde entier et dans des pays arabes, particulièrement au Maroc, en Algérie et en Tunisie, où il était très admiré. De nombreux messages de sympathie provenant des quatre coins du monde ont été adressés à sa famille affligée.

David Bensoussan, président de la Communauté sépharade unifiée du Québec, lui a rendu un vibrant hommage.

“Samy Elmaghribi a cristallisé l’expression même de la joie et du bonheur pour plus d’une génération. Sa musique était présente dans toutes nos fêtes et incarnait la quintessence de l’héritage musical judéo-marocain et andalou. Son interprétation de chansons populaires, les qçédas, et ses chansons au style reconnaissable entre toutes, sont restées à tout jamais gravées dans le cœur d’une Communauté dispersée de par le monde, et même dans celui de la nouvelle génération qui fredonne ses airs de musique, même si elle n’en saisit pas toujours les mots et le sens.”

Pour David Bensoussan, Samy Elmaghribi avait une érudition musicale unique qui puisait son essence dans sa parfaite maîtrise de l’hébreu et de l’arabe classique.

“Il fut le premier à transcrire la musique andalouse. Il en a étudié le répertoire pour former des mélomanes dans la tradition de la poésie chantée judéo-marocaine des piyoutim, du malhoun et du matrouz, des noubas du gharnati, du moual marocain, du chaâbi algérien et du haouzi. Il a réussi à unir ensemble Juifs et Musulmans grâce à l’amour du chant, égayant ainsi des solitudes qui ne demandent qu’à s’unir et à projeter leur âme dans l’amour et le respect. Il a ainsi contribué à la vision de paix des temps futurs.”

Joseph Gabay, ancien président de la Communauté sépharade du Québec et du Congrès Juif Canadien-Région du Québec, suivait admiratif depuis qu’il était enfant, au Maroc, la carrière mythique du célèbre chanteur.

“C’était en 1951, je faisais partie des privilégiés qui avaient accès à la vedette de Casablanca, Samy Elmaghribi. En effet, mon oncle comptait parmi ses intimes et j’adorais lui rendre visite… surtout pour côtoyer l’artiste! Déjà, à l’époque, il avait été très “sympa” avec moi. Croyez-le ou non, Samy m’emmenait à Radio Maroc pour assister à ses enregistrements et à ses concerts! Un orchestre imposant, hyper rodé, définissait le rythme sur lequel Samy allait intervenir et… la magie opérait! D’une voix claire, chaude, posée, structurée, avec une diction parfaite, il égrenait les syllabes sur la musique… Qu’il chante l’amour, la nostalgie, l’hommage à sa mère, qu’il vante les beautés de New York ou qu’il fantasme sur ce qu’il ferait s’il avait des millions, Samy avait toujours le même regard, la même posture: il était tout entier investi dans ce qu’il faisait. Il ne communiquait ni par le regard ni par les expressions du visage, mais à travers le chant, c’est-à-dire les paroles et la musique. N’allez surtout pas croire que Samy Elmaghribi était un homme austère! Loin de là! Aussitôt son Oûd déposé, il se mettait à blaguer! Mais là aussi, il s’imposait des limites. En un mot, il chantait, il blaguait et il vivait avec classe. Samy était un aristocrate”, raconta Joseph Gabay au cours de l’émouvante allocution qu’il a pronocée lors des funérailles de ce grand Maître.

Dans le registre de la liturgie, Joseph Gabay garde en mémoire les offices de jeunes auxquels Samy Elmagribi apportait son concours.

“C’était à “Moinier”, un office religieux de jeunes à Casablanca, vers la fin des années 50, Samy était assis en face de moi, à environ deux mètres. Lorsqu’il chantait en solo, mon livre vibrait! Et c’est cette même sensation d’intensité que son Kahal ressentait lorsqu’il officiait en tant que Hazan à la Synagogue hispano-portugaise de Montréal.”

Le monde judéo-sépharade vient de perdre l’un de ses plus ardents ambassadeurs artistiques et l’une de ses plus belles voix.

Salomon Amzallag laisse dans le deuil son épouse Messody, son fils  André, ses filles, Freha, Esther, Renée, Myriam et Yolande, et ses petits-enfants.

Montreal Cantor Salomon Amzallag, a Judeo-Andalusian musician  known by his stage name of Samy Elmaghribi, died March 9 at the age of 86.