La littérature d’Israël à l’honneur à Paris

PARIS — Ils écrivent en hébreu moderne dans un pays sujet à tous les fantasmes et à toutes les fractures sociales. Trente-neuf écrivains d’Israël, invités d’honneur du prestigieux  Salon du Livre de Paris, qui s’est déroulé du 14 au 19 mars dernier dans l’un des imposants Halls d’exposition de la Porte de Versailles, localisée à la périphérie de Paris, ont présenté au public français, venu en très grand nombre les rencontrer et les écouter, les multiples identités et la richesse d’une littérature encore trop peu connue dans le monde francophone.

 EuroNews – Interview – Michael Bar-Zohar

Cette année, la littérature à l’honneur au Salon du Livre de Paris dépassait le cadre d’un seul pays. Héritière d’une culture millénaire et de la littérature hébraïque d’Europe centrale, mais aussi de traditions littéraires et narratives du Proche-Orient, la littérature israélienne de ce début du XXIème siècle est une littérature enracinée et engagée.

Le Pavillon d’honneur d’Israël 

Les oeuvres puissantes d’Amos Oz, d’Avraham B. Yehoshua ou de David Grossman, figures de proue des lettres israéliennes présentes à ce Salon du Livre, pour ne citer qu’eux, interrogent inlassablement la liberté de l’individu dans les entrelacs de la Mémoire et de l’histoire du peuple juif. Parallèlement à la présence de plus en plus remarquée d’auteurs reconnus dans les catalogues des éditeurs français, il est apparu une nouvelle génération d’écrivains, dont les préoccupations se détachent de l’expérience singulière de la société israélienne, de la spécificité de l’histoire de ce  jeune pays et de ses problématiques sociales, religieuses ou ethniques. Des préoccupations lancinantes qui se rapprochent de celles des écrivains européens ou américains, avec les ouvrages d’auteurs iconoclastes et très talentueux, tels que Orly Castel-Bloom, Etgar Keret, Yehudit Katzir, Alona Kimhi… présents aussi à ce grand rendez-vous littéraire parisien.

Inauguré en grande pompe, le 13 mars en soirée, par le président d’Israël, Shimon Péres, qui concluait le même jour une visite d’État officielle en France, ce Salon du Livre, aux couleurs bleu et blanc de l’État juif, a connu un succès retentissant.

“Je suis contre les autodafés, contre le boycott des livres. Tous ceux qui lisent des livres, s’ils ne lisent que les livres qui leur plaisent, c’est une pure perte de temps”, a déclaré Shimon Péres lors de la soirée de vernissage de ce Salon littéraire.

Le boycott de la majorité des pays arabes, les manifestations anti-israéliennes aux abords du Hall d’exposition où se tenait cet événement et une alerte à la bombe, qui a obligé les organisateurs du Salon à vider les lieux, ont troublé quelque peu cette grande fête de la littérature israélienne sans pour autant la gâcher.

En dépit des mesures de sécurité extrêmes, le Pavillon d’honneur d’Israël ne désemplissait pas. Il fallait même par moments jouer des coudes pour se frayer un passage à travers la foule qui déambulait dans les allées congestionnées de ce Pavillon avant-gardiste conçu par les célèbres designer et architecte israéliens, David Tartakover et Aliza Arens. Le décor, rythmé par l’Arbre de la Connaissance (Etz ha-da’at en hébreu), jouait sur l’alphabet hébreu et la richesse de ses caractères à travers les âges.

Le libraire Gibert Joseph, qui gère traditionnellement le Pavillon du pays invité d’honneur du Salon du Livre de Paris, reconnaissait n’avoir “jamais vu ça auparavant”: 22000 livres traduits de l’hébreu ont été vendus en six jours, contre 17000 livres pour l’Inde, pays invité d’honneur l’an dernier. Ce record de ventes confirme un phénomène remarqué tout au long de ce Salon du Livre: l’extraordinaire intérêt porté par les lecteurs français pour la littérature israélienne.

Les salles de conférence, où avaient lieu les rencontres littéraires avec les écrivains israéliens, étaient pleines à craquer, débordant souvent dans les travées où des postes de télévision relayaient les débats-causeries.

L’écrivain Amos Oz, grande vedette de ce Salon du Livre, a dédicacé ses livres huit heures d’affilée, mardi en fin d’après-midi.

Amos Oz et David Grossman ont été les invités d’honneur d’une grande soirée littéraire organisée  par le Centre culturel Pompidou de Paris. La grande Salle de conférence de cette réputée institution culturelle était pour l’occasion archicomble.

Le Canadian Jewish News a demandé à Amos Oz à la fin de son tête-à-tête littéraire avec Josyane Savigneau, ancienne directrice des pages littéraires du journal Le Monde, son point de vue sur la campagne de boycott de cette manifestation littéraire menée par les pays arabes, outrés qu’Israël ait été cette année l’invité d’honneur.

Voici la réponse de l’auteur de Mon Michaël et d’Une histoire d’amour et de ténèbres, dont l’oeuvre littéraire est traduite en quarante-deux langues:

“Je crois que ceux qui prônent le boycott de la littérature se punissent eux-mêmes au bout du compte. Ils s’isolent dans un genre de ghetto. Je m’oppose à tout type de boycottage de la culture ou de la littérature. On peut très bien ne pas être d’accord avec la politique d’un gouvernement. Moi, je ne suis pas d’accord avec mon gouvernement, que j’envoie souvent au diable! On peut très légitimement critiquer des choses qui se passent dans une société et qui nous déplaisent profondément. Moi, je suis le premier à critiquer certaines choses qui se passent dans la société israélienne. Même durant les journées les plus noires de la présence française en Algérie personne n’aurait pensé à boycotter les oeuvres de Sartre et de Camus. Vraiment, je pense que ceux qui prônent aujourd’hui le boycott de la littérature hébraïque se punissent eux-mêmes.”

Un point de vue partagé par Sayed Kashua, le seul écrivain arabe israélien écrivant en hébreu invité au Salon du Livre de Paris. Nous avons croisé près du Pavillon d’honneur d’Israël ce grand amoureux de la langue de Shmuel Yossef Agnon et d’Eliezer Ben Yehouda, qui signe toutes les semaines une chronique dans le supplément culturel du journal  de gauche de Tel-Aviv Haaretz.

“Je ne me suis jamais gêné pour critiquer durement la politique, souvent insensée, du gouvernement israélien. Mais c’est idiot de boycotter une littérature écrite par des écrivains dont la majorité sont favorables depuis longtemps à la création d’un État palestinien indépendant. Personne n’aurait appelé au boycott de la littérature britannique parce que aux yeux des Espagnols l’Angleterre “occupe” depuis plusieurs siècles le rocher de Gibraltar. Boycotter une littérature pour des raisons politiques, c’est une attitude mesquine totalement improductive. Pour preuve: le grand engouement du public français pour la littérature israélienne présentée pendant six jours consécutifs dans ce Salon du Livre.”

La bédéiste Sabra Rutu Modan, auteure d’une excellente bande dessinée sur la société israélienne, Exit Wounds, traduite déjà en vingt-six langues, regrette que les pays arabes, même les plus modérés, aient décidé de boycotter cette année le Salon du Livre de Paris pour “sanctionner” Israël.

“C’est une attitude déplorable. Les Israéliens et les Palestiniens sont capables de dialoguer d’une manière civilisée alors que les pays arabes ne peuvent parler aux Israéliens que derrière les rideaux, secrètement. Boycotter une littérature, c’est faire fi de la réalité du monde. La littérature a toujours été un puissant outil pour rapprocher des peuples ennemis. Les pays arabes ont loupé à Paris une occasion inouïe pour renouer un dialogue qui fait cruellement défaut depuis quelques années”, nous a  dit Rutu Modan.

Chose certaine, un constat s’est imposé durant ces six jours dédiés à Paris à la littérature israélienne: au-delà des images consacrées à cette littérature audacieuse -et à ses icônes mondialement  célèbres-, les prosateurs israéliens manifestent une effervescence et une vitalité remarquables. Quitte à ébranler les tabous les plus tenaces de leur nation.

Nous publierons au cours des prochaines semaines une série d’articles sur les principales rencontres et tables rondes littéraires fort animées qui ont eu lieu dans le cadre du Salon du Livre de Paris  2008. Une centaine de conférences, panels-débats, expositions… étaient au programme de cet événement.

Thirty-nine renowned Israeli writers were featured at the recent Paris Book Fair, a major literary event.