Une réplique au Rapport Goldstone

“Le Rapport Goldstone, mandaté par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, avait pour mission “d’établir les faits” de l’Opération militaire “Plomb Fondu” -la traduction française la plus courante est “Plomb Durci”.

Shlomo Trigano

Cependant, la traduction littérale de l’hébreu est “Plomb Fondu”- menée par Israël à Gaza du 27 décembre au 18 janvier 2009. Ses graves conclusions -qui portent contre l’État d’Israël l’accusation de “crimes contre l’humanité” et de “crimes de guerre”- ne sont pas fondées sur une enquête conforme à une déontologie juridique rigoureuse, ni sur une neutralité idéologique sans défaillance”, explique l’universitaire et essayiste Shmuel Trigano dans l’introduction du Numéro spécial que l’excellente Revue d’idées Controverses vient de consacrer au Rapport Goldstone (Controverses, No.13, mars 2010).

Professeur des Universités et directeur du Collège des Études Juives de l’Alliance Israélite Universelle, Shmuel Trigano est le fondateur et directeur de la Revue Controverses.

D’après cet intellectuel très engagé, il y aurait beaucoup à dire sur les présupposés politiques et les circonstances qui inspirent le Rapport Godstone.

“Ces présupposés politiques et ces circonstances s’inscrivent dans un climat général et un processus international qui éclairent les tenants et aboutissants des accusations majeures que ce Rapport instrumente. Le fait le plus étonnant concerne, sans nul doute, l’absent du tableau que ce Rapport peint de l’Opération de Gaza: le Hamas et le régime qu’il a mis en place, consécutivement au coup d’État de son chef, Ismaïl Haniye, contre l’Autorité Palestinienne. Un régime fondamentaliste et policier, belliqueux, dont la situation est si bien documentée sur le plan international que l’élision de ce côté du conflit par le Rapport Goldstone est criante. Quelques schémas et une recension des événements rappellent la nature militaire du Hamas”, souligne Shmuel Trigano.

Cette absence, ajoute-t-il, se comprend cependant, plus profondément, en vertu d’un autre cadre de référence, qui n’est plus étroitement lié à Israël mais concerne l’évolution des catégories du Droit international et la culture politique qui la sous-tend.

“L’extension du domaine des Droits de l’homme, conjuguée au recul de la référence étatique, prend une couleur différente dans le cas d’un conflit asymétrique, comme c’est le cas: les brigades palestiniennes sont immergées dans la population civile, elle-même enrégimentée, et jusqu’aux enfants, comme l’a souligné le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’utilisation des enfants dans les conflits armés. Ces soldats d’une armée semi-formelle visent des civils israéliens de façon préméditée, programmée et déclarée. Lorsque l’armée israélienne les poursuit, pour protéger les villes de Sdérot et Ashkelon de leurs attaques, Israël se voit donc accusé de crimes perpétrés contre des civils, dans la méconnaissance la plus totale des actions armées ennemies.”

Puisqu’il n’y a, en effet, que des “civils”, et plus d’ennemis, puisqu’il n’y a qu’une “société civile internationale”, une “Communauté internationale”, un territoire dénommé “Israël-Palestine”, et plus d’États, il n’ y a plus, dans cette perspective, de “guerres” et il n’y a plus d’États pour la faire…

“Toute réaction à une agression devient alors la véritable agression, puisqu’elle met en scène un État face à des “civils”. Exit l’armée du Hamas et la stratégie de destruction de l’État d’Israël dans laquelle cette formation idéologico-guerrière se reconnaît, à l’instar d’autres courants palestiniens, y compris le Fatah et l’Autorité Palestinienne.”

Comme le démontre l’étude de l’historienne et spécialiste des organisations internationales, Malka Marcovich, c’est en raison de ce prisme déformant et erroné que les catégories fondamentales du jugement, tant moral que juridique, se retrouvent dévoyées. Cette situation sera demain le lot de tous les États de droit mais elle a une portée spécifique quand il est question d’Israël -menacé dans son existence même- car, dans nombre de situations semblables, voire moins graves, les États incriminés ne connaissent pas un tel sort dans l’arène des institutions internationales, rappelle Malka Marcovich.

D’après Shmuel Trigano, “le recul du principe de responsabilité,” consécutif au déséquilibre dans la considération des situations de guerre, “entraîne nécessairement l’obscurcissement de la réalité”.

“Ce recul encourage l’affabulation sur les causes réelles du conflit. Il essentialise les acteurs, autant de faits qui engendrent un relativisme moral et juridique généralisé.”

Dans ce numéro de Controverses consacré au Rapport Goldstone, deux juristes, Jacques et Stéphanie Amar, se sont attachés à la perspective juridique. D’après eux, ce Rapport fonde ses accusations sur une conception problématique du Droit international humanitaire. Il refuse de prendre en considération la situation juridique et politique résultant de la décision d’Israël de se désengager de la Bande de Gaza et les conséquences d’une situation de guerre sur le respect des Droits de l’homme.

“En transformant en crime, relevant de la juridiction de la Cour pénale internationale, tout manquement aux Conventions de Genève, le Rapport Goldstone se livre à une interprétation critiquable du statut de cette Cour et pose la question de l’avenir d’une justice pénale internationale”, constatent Jacques et Stéphanie Amar.

La politologue Anne Lifsitz-Krams, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique de France (C.N.R.S.), démontre combien il est paradoxal pour les rapporteurs “de tirer des conclusions définitives d’une enquête bâclée qui n’établit réellement aucun fait”.

D’après Shmuel Trigano, les nombreuses lacunes du Rapport Goldstone doivent être considérées comme l’indice d’une mutation affectant l’ensemble des démocraties, et pas seulement comme un acte d’accusation à l’encontre du seul État d’Israël.

“L’examen des assertions étayées dans ce Rapport à la lumière des faits réels devra un jour être conduit, et il l’est déjà -cf. Ethan Bronner, “Israel poised to Challenge a U.N. Report on Gaza”, The New York Times, 23 janvier 2010-.  Notre propos, dans ces études, n’est pas de réfuter ce Rapport point par point, mais de montrer à quel point sa référence aux critères de droit et d’impartialité est indue.”

Shlomo Trigano, founder and director of the journal Controverses, has devoted the March issue to the Goldstone report.