Emmanuel Kattan un brillant romancier

Emmanuel Kattan publie un premier roman fascinant et de très grande qualité, encensé élogieusement par la critique littéraire québécoise lors de sa parution.

Nous seuls (Éditions du Boréal, 2008) se  lit comme un polar haletant sur fond d’histoire d’amour.

C’est l’histoire d’une passion amoureuse sulfureuse, qui finira par broyer Judith et Antoine, les deux personnages centraux de cette intrigue psychologique obsédante.

À l’aube de la quarantaine, le rejeton de l’un des plus illustres écrivains québécois, Naïm Kattan, a accouché d’une première oeuvre très originale, composée avec une dextérité littéraire remarquable.

Né à Montréal, Docteur en philosophie de l’Université de Montréal et lauréat de la prestigieuse Bourse Rhodes, qui lui a permis de poursuivre des études postdoctorales à l’Université Oxford, en Grande-Bretagne, Emmanuel Kattan est l’auteur d’un excellent essai sur la Shoah, Penser le Devoir de Mémoire, publié en 2002 aux Presses Universitaires de France.

Il a travaillé à la Délégation du Québec à Londres, où il était directeur  des Affaires universitaires et des Communications, et au Secrétariat du Commonwealth, à Londres, où il a rédigé les discours royaux. Il vit aujourd’hui à New York, avec son épouse et leurs deux enfants, où il assume les fonctions de directeur des Communications de l’Alliance des Civilisations, un ambitieux projet de dialogue interculturel parrainé par l’ONU.

Rencontre avec l’un des écrivains les plus prometteurs de la scène littéraire québécoise.

Canadian Jewish News: Comment est née l’idée de ce premier roman?

Emmanuel Kattan: Depuis longtemps, deux ou trois idées de roman trottaient dans ma tête. Mais, celle dont je me sentais le plus proche, c’est une histoire d’amour qui finit mal. C’est l’histoire d’un amour tragique, qui est aussi une forme de célébration de l’amour. J’ai commencé par avoir l’idée de l’intrigue. Il y a deux personnages principaux, Judith et Antoine. Ils se rencontrent, tombent follement amoureux, se séparent… Ils se rencontrent à nouveau neuf ans plus tard. Ils sont alors vraiment confrontés à leur passé. Ils sont éperdument amoureux l’un de l’autre mais, en même temps, ils veulent posséder pas seulement l’autre dans le présent, mais aussi le passé de l’autre.

Ça commence par le soupçon, ça passe par la jalousie et après, de fil en aiguille, ça devient une obsession. Ils veulent éliminer le passé, mais pas en rayant leurs souvenirs, en rayant l’objet de leurs souvenirs. Pour annihiler ce passé, Judith et Antoine s’engagent dans une logique criminelle, une logique de meurtre. À partir de là, je me suis retrouvé avec une intrigue qu’il fallait meubler aussi d’émotions, la rendre réelle parce que je ne voulais pas écrire un roman purement policier ou une sorte de roman d’humour noir avec des personnages en carton-pâte.

C.J.N.: La jalousie est l’élément central de la trame de ce roman?

E. Kattan: Oui, la jalousie est le moteur de ce récit. La jalousie est omniprésente parce qu’elle est le pendant de la passion. Je voulais parler d’une passion amoureuse, une passion qui se confronte à l’impossibilité d’elle-même à cause des autres, du passé, des souvenirs, qui continuent de meubler l’imagination de Judith et d’Antoine. C’est là où la jalousie intervient, de manière naturelle. C’est la jalousie qui les entraîne dans cette espèce de mise en habit. La jalousie est un thème éternel dont d’autres écrivains ont parlé de manière beaucoup plus éloquente que moi. Plutôt qu’analyser le phénomène de la jalousie, j’ai simplement voulu l’exposer. Quand on a lu Proust, on ne peut plus parler, ni écrire, sur la jalousie.

C.J.N.: Ce roman recèle de belles réflexions philosophiques sur la vie, la souffrance existentielle, la difficulté d’aimer et de vivre en couple… On a l’impression que durant l’écriture de ce roman vous n’êtes pas arrivé à vous départir du philosophe que vous êtes?

E. Kattan: On ne fait pas de la philosophie impunément. On finit par être habité par les idées philosophiques qu’on a côtoyées. La philosophie m’a fortement influencé. Elle a modelé mes idées, mes sentiments. Nombreux sont ceux qui pensent que la philosophie est une discipline très abstraite, mais en fait celle-ci influe sur la manière dont on vit les choses. C’est l’origine même de la philosophie, à savoir comment la pensée peut influer sur les choix qu’on fait dans la vie, aussi bien moraux que sentimentaux.

Ma démarche littéraire a consisté à faire de la philosophie à rebours, c’est-à-dire me libérer de tous les concepts philosophiques et revenir à une pensée qui a un rapport avec les sentiments, qui pour moi sont plus élémentaires que la philosophie. C’est essentiellement pour cette raison que je ne voulais vraiment pas écrire un roman de pensées, ni un roman à thèses, mais un roman qui suive les personnages dans leur évolution psychologique, sans que la pensée et les réflexions de l’auteur ou du narrateur viennent tout le temps tourmenter le lecteur et lui dire: “ Voilà ce qu’il faut penser, voilà comment il faut comprendre le récit…”

C.J.N.: La notion du visage de l’Autre est fortement omniprésente dans ce roman. Est-ce le retour du Levinassien refoulé en vous?

E. Kattan: Cette question sur l’idée du visage chez Emmanuel Levinas est fascinante pour moi parce que j’ai étudié pendant des années l’oeuvre de ce grand philosophe et érudit juif. Ça fait environ dix ans que je n’ai pas ouvert un livre de Levinas, peut-être à grand tort. Je devrais me ressourcer un peu. J’ai fait une thèse universitaire sur Wittgenstein et Levinas. C’est vrai que quelque part il y a un côté absolu, radical, dans l’idée de responsabilité que nous impose le visage de l’Autre dans la pensée de Levinas. Il y a chez Levinas quelque chose de non négociable dans le rapport à l’Autre qui m’a toujours beaucoup saisi. Je ne veux pas trop faire d’interprétations parce que ce n’est pas mon rôle. Moi, j’écris le livre, c’est après à l’Autre de le comprendre. Mais, peut-être qu’à travers ce livre, c’est cette espèce de relation absolue à l’Autre que j’ai essayé de comprendre, de décortiquer, mais dans une dynamique de l’extrême où le rapport à l’Autre, et à tout Autre à l’extérieur de cette relation de couple, s’efface et devient annihilé.

C.J.N.: Écrire un premier roman quand on est le fils d’un grand écrivain comme l’est Naïm Kattan, ça n’a pas dû être une sinécure?

E. Kattan: Mon père Naïm, qui occupe une place très importante dans la littérature québécoise et canadienne, m’a influencé à deux niveaux. Il m’a influencé tout d’abord au niveau très pratique de la discipline. Quand je vivais avec mes parents, je l’ai vu se réveiller tous les jours à six heures du matin pour écrire et produire, bon an mal an, un livre tous les ans. Faire ça depuis quarante ans, c’est toute une gageure. À part Jules Verne, je ne connais pas beaucoup d’écrivains qui ont réussi un tel tour de force. C’est quelque chose que je n’arriverais jamais à faire parce que je n’ai pas ce degré de discipline. Mais, en même temps, c’est quelque chose que j’admire énormément.

C’est vrai que l’écriture requiert de l’inspiration, il faut avoir la muse! Mais, contrairement à ce qu’on pense, 90% de l’écriture, c’est vraiment la discipline, s’astreindre à trouver le temps, l’énergie et la disponibilité d’esprit nécessaires pour écrire.

Mes parents m’ont transmis aussi une deuxième chose fondamentale à mes yeux pour devenir un écrivain. Beaucoup de mes anciens camarades d’école ont fait des carrières autres que littéraires. Parfois, on a des doutes, on se demande si la littérature nous ouvre une voie d’avenir prometteuse, si ça vaut vraiment la peine de poursuivre dans cette voie? Pour moi, l’écriture est un acte libérateur. Mon père, et ma mère aussi, m’ont démontré que la voie littéraire était une voie possible, qu’on pouvait faire ce choix comme un choix de vie en parrallèle avec beaucoup d’autres choses. Ils m’ont prouvé tous les jours que c’était possible de faire de l’écriture un projet de vie.

C.J.N.: Avez-vous d’autres projets littéraires en cours?

E. Kattan: Oui, j’écris actuellement un nouveau roman. Ce livre retracera une certaine démarche spirituelle, un rapport avec le religieux plutôt qu’avec la religion. L’histoire débute à Montréal et se poursuivra, probablement, à Jérusalem et dans le Nord d’Israël. C’est une histoire d’amour, moins cruelle que celle de Nous seuls. La dimension politique du conflit israélo-arabe sera abordée en filigrane. C’est l’histoire d’un Juif montréalais qui décide d’aller étudier à Jérusalem. Il essaye de trouver sa propre place dans un horizon spitituel et sa propre voix à travers une relation assez conflictuelle avec Dieu.

In an interview, author Emmanuel Kattan talks about his recently published first novel, Nous seuls.