Israël face à la menace nucléaire iranienne

La publication, le 3 décembre 2007, d’un nouveau rapport de synthèse des services de renseignement américains sur l’Iran constitue un sévère camouflet pour l’administration Bush.

Cette note du National Intelligence Estimate (N.I.E.), organisme regroupant les seize agences de renseignement américaines, affirme: 1- Que Téhéran a “gelé son programme nucléaire militaire clandestin à l’automne 2003”; 2- Que les services de renseignement américains “ignorent si la République islamique d’Iran a aujourd’hui l’intention de développer la bombe atomique”; 3-Que les dirigeants iraniens “ne sont pas des fous mais des leaders rationnels dont les décisions sont régies par une approche coût-avantage”.

Les Israéliens ont accueilli avec un grand scepticisme les conclusions de ce rapport. À Jérusalem, on admet qu’il est bien possible que, pour des raisons techniques, les Iraniens aient gelé leur programme militaire nucléaire en 2003. Mais le Mossad et les services de renseignements militaires israéliens estiment au contraire que ce programme clandestin a repris en 2005. Surtout, ils insistent sur un fait que le rapport américain ne remet en aucun cas en question: pour disposer d’une bombe atomique, il faut de l’uranium enrichi, un missile vecteur de la bombe elle-même. Or, Téhéran, qui continue d’enrichir de l’uranium tout en accélérant le développement de missiles de longue portée, sera assez vite capable de disposer aussi de la dernière composante d’un programme nucléaire militaire, c’est-à-dire la technique de fabrication de la bombe elle-même.

Si le rapport des services de renseignement de Washington écarte toute option militaire américaine dans l’immédiat, ne ravive-t-il pas l’hypothèse d’une frappe israélienne unilatérale?

“Il y a toujours eu une divergence de vue entre les responsables israéliens et l’administration Bush en ce qui a trait aux dossiers les plus prioritaires au Moyen-Orient, rappelle en entrevue le journaliste d’investigation français Éric Laurent, qui vient de publier un livre-enquête sur l’affaire nucléaire iranienne, Bush, l’Iran et la Bombe. Enquête sur une guerre programmée (Éditions Plon, 2007). Pour les dirigeants israéliens, l’Irak n’a jamais été la priorité. À leurs yeux, l’Iran est depuis longtemps le pays le plus dangereux de la région. Le chef du Mossad, Meir Dagan, un spécialiste chevronné de l’Iran, qui devait prendre sa retraite fin 2006, est resté en fonction à la demande du Premier ministre Ehoud Olmert. On dit qu’il y a des escadrilles aériennes israéliennes qui s’entraînent, mais, c’est très difficile de planifier une attaque contre l’Iran, pays non limitrophe d’Israël. Ça exige une logistique très pointilleuse et une vaste infrastructure.”

Il y a plusieurs mois, des fuites émanant du haut État-major israélien avaient fait état de préparatifs avancés en vue d’une attaque des sites nucléaires iraniens, y compris avec des armes nucléaires tactiques, des mini-bombes atomiques pour atteindre les centrales enfouies à plusieurs centaines de mètres sous le sol. Mais une frappe israélienne ne pourrait se faire que par voie aérienne, en survolant plusieurs pays où d’importants contingents américains sont déployés sous la protection de l’U.S. Air Force. Israël devrait donc, pour ce faire, disposer des codes de vols américains afin d’éviter toute méprise. Or, en 1991, lors de la première Guerre du Golfe et des tirs de Scud irakiens sur Tel-Aviv, les Américains avaient refusé de les fournir au gouvernement israélien.

D’après Éric Laurent, le problème, c’est qu’il y a énormément de sites qui ont été recensés par les services de renseignement américains et israéliens, mais personne n’a une idée exacte des lieux où ces installations militaires nucléaires sont  situées.

“Il y a des supputations, donc un choix de cibles extrêmement large. Il ne s’agit pas seulement d’ attaquer des sites nucléaires spécifiques, mais également de frapper toute l’infrastructure militaire iranienne, donc toute la chaîne de commandement.  On dit que ces bombardements pourraient durer plusieurs semaines. Des bombardements ininterrompus totalement aériens. Il n’est pas question d’une intervention terrestre que ni Israël ni les États-Unis ne souhaitent et ne peuvent mener de toute façon.”

Quelles seraient les conséquences d’une éventuelle attaque militaire israélienne, ou israélo-américaine, contre l’Iran?

“Personne n’en sait rien. Mais, je crois que les Iraniens n’ont pas une capacité de riposte susceptible de déstabiliser la région. Ils pourraient bien sûr, en guise de riposte, tirer des missiles balistiques de longue portée sur Israël. Mais ils savent très bien que si jamais ils mettent à l’oeuvre leur volonté d’anéantir l’État hébreu, les Israéliens ne resteront pas le bras croisés. Ce sera alors l’apocalypse. Tout le Moyen-Orient s’embrasera.”

Par contre, ajoute Éric Laurent, à défaut de riposter à une attaque militaire israélienne ou américaine, les Iraniens pourraient tabler sur “une stratégie de nuisance régionale”, qui pourrait sensiblement affaiblir la position militaire et géostratégique des États-Unis dans la région.

“Tout dépendra évidemment du déroulement des opérations militaires. Si les Iraniens sont mis en échec, ils pourraient bloquer le Détroit d’Ormuz. Action unilatérale délétère qui provoquerait immédiatement une hausse substantielle du prix du baril de pétrole et la panique dans les marchés financiers internationaux. Les indices des bourses mondiales chuteraient. La stratégie iranienne aurait un effet de boomerang. On est dans une logique asymétrique du conflit. Les Iraniens savent très bien qu’ils ne sont pas en mesure de frapper les États-Unis, ni Israël, car ils s’exposeraient à une riposte cinglante. Cependant, ils peuvent frapper tous les intérêts américains dans la région: en Irak, au Quatar, en Arabie Saoudite…”

S’ils attaquent l’Iran, les Américains seront aussi confrontés à un autre problème de taille, prédit Éric Laurent.

“Les États-Unis s’engageront indirectement dans un autre conflit ouvert avec leurs deux principaux régimes alliés dans la région: avec Bagdad, qui a un gouvernement à dominance chiite proTéhéran, et avec le gouvernement d’Amir Karzai en Afghanistan, qui est encore composé en majorité de membres de l’Alliance du Nord, où l’influence iranienne est très forte. Les Américains devront alors faire face à des difficultés accrues dans deux théâtres d’opération clés.”

Dans son nouveau livre, Éric Laurent détaille les luttes au sein de l’actuelle administration américaine. Avec un George Bush obsédé par le verdict de la postérité.

Mais après l’échec cuisant subi par les Américains en Irak, Washington a-t-il la latitude d’action nécessaire pour planifier une autre opération militaire d’envergure, cette fois-ci contre une puissance régionale, l’Iran d’Ahmadinejad?

“Dans le complexe dossier du nucléaire iranien, l’élément irakien n’est pas un élément à charge, croit Éric Laurent. Autant les critiques sur la piteuse gestion du dossier irakien et sur l’enlisement en Irak pleuvent sur l’administration Bush de la part des opposants démocrates, autant sur le dossier iranien tous les responsables démocrates se trouvent sur la même ligne que les républicains et tiennent quasiment les mêmes propos que le président Bush et son vice-président, Dick Cheney, un farouche partisan d’une intervention militaire contre l’Iran.”

Dans cette épineuse affaire, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, Barack Obama et Hillary Clinton, candidats démocrates à l’élection présidentielle de 2008, sont quasiment sur la même ligne que les républicains.

“Il n’est pas question, comme le dit le président Bush, d’admettre dans le concert des nations un Iran détenteur de l’arme nucléaire. Un conflit militaire avec l’Iran,  à quelques mois de la fin de la présidence de George Bush, ne serait pas une intervention impopulaire comme l’est aujourd’hui celle en Irak. Une attaque contre Téhéran paraîtrait même fondée. Dans un sondage récent, 50% des Américains se disent favorables à des frappes militaires aériennes contre l’Iran.”

D’après Éric Laurent, un Iran chiite doté de l’arme nucléaire constituerait une redoutable menace pas seulement pour Israël, mais aussi pour les pays arabes du Moyen-Orient.

“Si l’Iran a demain l’arme nucléaire, il sera en mesure de “finlandiser” toute la région. Les États-Unis auront alors de sérieux problèmes avec leurs alliés, surtout avec Israël et l’Arabie Saoudite. Ulcérés, les Saoudiens, principal fournisseur de pétrole de l’Amérique, pourraient dire à Washington: “L’accord qui existait entre nos deux pays n’est plus viable.Vous assuriez notre sécurité, en échange nous vous approvisionnions en pétrole. Vous n’avez pas respecté cet accord car vous n’avez pas été en mesure d’empêcher Téhéran de se doter de l’arme atomique”.  Deuxième point: le risque de prolifération ne peut pas être ignoré. Tous les autres pays arabes, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie… voudront à leur tour posséder aussi l’arme nucléaire. Le Traité de  non-prolifération nucléaire volera alors en éclats.”

In an interview, French journalist Éric Laurent talks about the possibility of Iran getting a nuclear bomb. He has recently written a book on the subject.