L’avenir des Juifs selon Adin Steinsaltz

Qu’est-ce qu’être Juif? Quel est le lien qui unit les Juifs? Sont-ils une nation ou une religion? Comment le judaïsme influence-t-il la pensée humaine?

Maître incontesté de la pensée religieuse juive contemporaine, célèbre dans le monde entier pour ses traductions du Talmud, le Rabbin Adin Steinsaltz aborde les questions auxquelles le monde juif est aujourd’hui confronté dans un livre passionnant, Les Juifs et leur avenir, qui vient de paraître aux Éditions Albin Michel -Collection “Présence du judaïsme”-.

Chemin faisant, Adin Steinsaltz explore des éléments essentiels de la tradition juive, comme l’idée du messianisme ou le motif de la lumière, et se livre à une méditation sur le Cantique des Cantiques, s’interroge sur le conflit entre la foi et la raison, entre la Torah et la science…

Dans sa préface de ce livre remarquable, l’écrivain Jean Blot écrit: “Nul mieux que le Rabbin Steinsaltz, dans sa fragilité physique et sa vigueur intellectuelle, ne m’a accordé une telle accalmie. Quand il parle de la Maison d’Israël, c’est un peu comme si un toit pareil à des ailes protectrices se déployait au-dessus de ma tête. Pareille protection qu’une parole apporte est d’évidence entièrement intérieure et conduit à la paix. Le Rabbi est celui qui, mieux qu’un autre, sait apaiser l’angoisse. Mais il commence par l’identifier. Car l’angoisse qui habite la Maison d’Israël transforme chacun de ses fils en une douloureuse interrogation.”

On veut penser le croyant orthodoxe à l’abri, ajoute Jean Blot. Il n’en est rien, et Adin Steinsaltz désigne sans crainte l’abîme qui se creuse et qu’il faut chaque jour combler entre une foi permanente et un savoir qui change de jour en jour et ruine celui qui l’a précédé.

“On veut croire l’Israélien sûr de lui-même, et que son âme, s’étant dépouillée des hardes de l’exil, habite Sion réinventé sans crainte ni tremblement. Mais le Rabbin Steinsaltz montre bien comment chaque jour apporte son démenti à l’unité promise et révèle la distance cruelle qui sépare le Sion de la foi et celui de la rue. Le savant parviendra-t-il à s’entourer d’assez de livres et de savoir, apprendra-t-il à prier si fort et si bien que l’histoire, qu’elle soit personnelle ou publique, ne viendra le troubler jamais?”

C’est dire que, ainsi que nous l’enseigne la vie et que le répète le livre de Steinsaltz, poursuit Jean Blot, à toutes les questions que le fils de la Maison d’Israël se pose, il lui faut répondre par la négative.

“Non, il n’est pas le citoyen d’une nation même s’il sait (et doit) en construire une. Non, il n’est pas le membre d’un peuple puisqu’il est dispersé sur toute la terre et parle presque toutes les langues. Non, il n’est pas le fidèle d’une religion puisqu’il peut sans quitter sa maison croire ailleurs, autrement ou ne croire en rien… Mais qui est-il enfin, lui qui reste lui-même, quels que soient ses reniements, ses masques, ses apostasies, ses fuites, ses haines? Juif toujours, aussi grands que soient les efforts déployés pour le rester, le devenir ou le fuir. Steinsaltz, avec cette douceur psalmodiée que la traductrice a bien su restituer, avec une tendresse implacable qui n’est qu’à lui, répond: le Juif est et demeure le membre d’une famille, le fils de la Maison d’Israël. Quels que soient ses infidélités, ses fautes, ses péchés, aussi féroces que deviennent ses reniements, ses trahisons, le même amour tranquille l’y attend et il ne pourra jamais se libérer de cet amour, ni du reproche silencieux qu’il lui adresse”, écrit Jean Blot dans sa préface.

Les Juifs et leur avenir recèle des pages éblouissantes, d’une immense érudition et d’une grande perspicacité, consacrées à une pléthore de sujets qui interpellent avec force tous les Juifs: l’assimilation; le sens de la conversion au judaïsme; l’unité du peuple juif; les Juifs sont-ils une nation ou une religion?; la mission juive -réparer le monde-…

Voici les réflexions du Rabbin Adin Steinsaltz sur les Juifs assimilés.

-Q: Comment un Juif assimilé peut-il retrouver son originalité?

Réponse du Rav Steinsaltz: “La façon la plus évidente est de rejeter tous les masques et de se demander s’il reste quelque chose en dessous, un quelconque fondement. Cela ressemble au fait d’enlever le papier qui enveloppe un cadeau pour vérifier si la boîte contient bien quelque chose. S’il y a bien un cadeau dans la boîte, alors le fait d’enlever le papier va permettre de trouver l’objet. Mais cet objet, il faudra encore le faire vivre”.

-Q: Comment faire vivre l’objet? En lisant des livres? Grâce à des professeurs?

Rav Steinsaltz: “Oui, par des livres, avec l’aide de professeurs, par la contemplation, par tout ce qui va nourrir. Parfois on se trouve confronté à plus de questions que de réponses. Mais il faut aller vers la question essentielle, le problème principal, et tenter de le résoudre. Cela peut être une question ou un tout petit embryon de question qui n’a besoin que d’être nourri pour grandir”.

-Q: Cette originalité doit-elle être religieuse ou peut-elle être culturelle?

Rav Steinsaltz: “La cuture juive est une culture religieuse, dense, exigeante et très directive. Bien que, au sens formel, nous ne soyons pas une religion, la culture de notre famille est fondamentalement religieuse. Ce n’est pas en lisant tous les romans qui ont été écrits par des Juifs que l’on devient plus Juif”.

-Q: Êtes-vous donc en train de dire que le Juif assimilé qui veut tremper le bout de ses pieds dans le judaïsme ne peut espérer faire des progrès?

Rav Steinsaltz: “S’il veut simplement s’amuser, ce ne sera alors qu’un jeu de plus. Il “jouera” au bouddhisme, au judaïsme comme au poker, et aucun de ces jeux n’aura plus d’importance que les autres”.

-Q: On peut supposer que beaucoup de Juifs qui veulent découvrir leur identité juive se disent: “Je veux bien être Juif, mais je ne veux pas de tous ces trucs religieux”.

Rav Steinsaltz: “Le judaïsme, c’est un “truc religieux”. Ce ne sont pas seulement les kneidelach et le gefilte fish. Celui qui essaye de s’en sortir sans le “truc religieux” n’aura, au bout du compte, que du gefilte fish en conserve et du faux kneidel”.

Ces réflexions percutantes feront sans doute sourciller les Juifs qui tout en se réclamant de la tradition juive sont éloignés de la culture religieuse juive…

La pensée lumineuse du Rabbin Adin Steinsaltz a le grand mérite de nourrir positivement ce sempiternel débat.


In his most recent book, Torah scholar and writer Rabbi Adin Steinsaltz talks about the future of the Jewish People.